À l’heure des tapas

Comme dans le reste de l’Espagne, les tapas occupent une place prépondérante dans la cuisine andalouse. Cette région se partage avec l’Estrémadure la production d’une grande partie de ce que nous appelons le jamón ibérico, dont la zone de fabrication déborde également sur le sud du Portugal. Ce terme est vaste et inclut de nombreuses spécialités dont le jamón dit « pata negra », dont le nom fait référence à la couleur des sabots des cochons de race ibérique qui sont noirs. Il existe trois qualités. Le bellota correspond à des porcs vivant en liberté et se nourrissant principalement de glands, produisant le jambon le plus prisé. Les porcs recebo vivent en semi-liberté et mangent de l’herbe, des glands, mais aussi des céréales. Enfin, les porcs cebo sont nourris uniquement de céréales. En Espagne, il existe quatre Appellations d’Origine (AO) de jamón ibérico : Jamón de Jabugo, Jamón de Guijuelo, Dehesa de Extremadura et Los Pedroches. Le jamón serrano est un jambon de montagne, serrano faisant référence à la Sierra Nevada qui traverse le sud-est de l’Andalousie. Le plus prisé est le jamón serrano de Trevélez, produit dans une commune à plus de 1 700 m d’altitude où l’air très sec des montagnes permet une maturation optimale des jambons, suspendus dans des secadores entre 6 et 12 mois.

On retrouve d’autres embutidos – comprendre « charcuterie » – en Andalousie comme les incontournables chorizo et salchichón. Mais également le morcón, une épaisse saucisse parfumée à l’ail et au paprika. Le lomo embuchado, très peu gras, se rapproche d’un filet mignon séché. La zurrapa de lomo ressemble un peu à nos rillettes, mais parfumées avec du pimentón qui donne une couleur orange vif à la couche de saindoux dont les Espagnols raffolent, étalé sur du pain. Parmi les fromages on peut citer diverses variétés de fromages de montagne (sierras d’Almería, de Grenade, de Ronda et de Grazalema), principalement de chèvre et de brebis. La plupart se présentent sous la forme de grosses tommes rondes. Dans les alentours de Jaén, il existe un excellent fromage curado dont l’intérieur est imbibé d’huile d’olive. Parmi les autres tapas froides, on retrouve des ingrédients tout simples comme les olives (aceitunas), les anchois (boquerones) ou poivrons (pimientos) marinés à l’huile d’olive.

Les tapas chaudes comptent quelques spécialités andalouses intéressantes comme les chicharrones, des petits cubes de lard de porc frit. Les albondigas a la andaluza sont des boulettes de bœuf en sauce tomate. On déguste également les croquetas de jamón, des petites boulettes panées garnies de jambon cru – serrano ou ibérico. Les espinacas con garbanzos sont tout simplement un savoureux mélange d’épinards et de pois chiches confits dans l’huile d’olive et l’ail. Enfin les boquerones fritos, des anchois frits se servent toujours avec un quartier de citron.

La cuisine régionale andalouse

L’Andalousie est la deuxième plus grande communauté autonome d’Espagne. Si on retrouve à travers son terroir beaucoup de spécialités largement répandues, comme le gaspacho, le célèbre velouté froid de légumes, la diversité de ses paysages offre un grand nombre de cuisines régionales au sein même de l’Andalousie.

La Province d’Almería est connue par exemple pour les énormes gambas de Garrucha, souvent citées parmi les meilleures crevettes du monde. On y prépare de nombreux plats simples, mais savoureux comme la olla de trigo (un ragoût de pois chiches et de blé garni de viande) ou encore les gurullos de Almería (des petites pâtes en forme de grains de riz, parfumées au safran et accompagnées de lapin). Côté Atlantique la Province de Cadix offre un choix quasi illimité. Les almejas a la marinera (palourdes en sauce tomate), les tortillitas des camarones (galettes de crevettes frites), les puntillitas fritas (jeunes calamars frits), la berza gaditana (ragoût de haricots blancs, de légumes et de saucisses) ou les riñones al jerez (rognons au xérès) sont des plats communs de Cadix. Plus montagneuse, la Province de Cordoue se compose d’une grande diversité de plats de viande et de légumes. Le salmorejo (gaspacho épais avec des morceaux de jambon sec) est sûrement la spécialité la plus connue de Cordoue. Parmi les autres recettes on peut citer le rabo de toro (queue de taureau confite dans une sauce au vin), le cordero a la miel (agneau au miel) ou encore le flamenquín (rouleau pané de jambon fourré au fromage, servi généralement avec des frites). Si la Province de Grenade détient quelques-uns des plus hauts sommets d’Espagne, elle s’étend également jusqu’au bord de la Méditerranée, offrant ainsi des mets très variés. Le plato alpujarreño (assiette mixte de saucisses, chorizo, boudins grillés, pommes de terre), les truchas rellanas de jamón (truites grillées farcies de jambon sec) ou encore la tortilla de Sacromonte (omelette aux abats) sont typiques de la cuisine de la Sierra Nevada. L’ajoblanco (soupe froide à l’ail et aux amandes) est une entrée très populaire. Complètement orientée vers l’océan, la Province de Huelva présente de belles spécialités de produits de la mer, dont les très prisées gambas blanches d’Huelva. On se régale donc de arroz caldoso marinero (riz servi avec un riche bouillon de fruits de mer) ou encore de chocos con habas (seiches aux fèves). Traversée par le Guadalquivir la Province de Jaén offre des spécialités proches de la cuisine castillane. On peut y déguster une carne de monte en adobo (sanglier en sauce), la morcilla de Jaén (une saucisse proche du boudin noir, souvent grillée) ou encore la perdiz escabechada (perdrix dans une sauce vinaigrée aux légumes). S’étirant le long de la Méditerranée, la Province de Málaga propose de nombreuses spécialités de poissons et de fruits de mer avec la fritura malagueña (une assiette de friture mixte) ou la cazuela de fideos (un bouillon de pâtes et de fruits de mer). D’autres plats plus rustiques tels que le puchero (sorte de pot-au-feu aux pois chiches) ou les callos a la malagueña (tripes en sauce tomate). La Province de Séville est la plus grande et la plus peuplée d’Andalousie. Parmi les entrées populaires on retrouve les huevos a la flamenca (œufs cocotte au chorizo et au jambon sec) ou encore les revueltos de espárragos (œufs brouillés aux asperges). Le ternera a la sevillana (veau en sauce aux olives) ou le cocido (ragoût de pois chiches au chorizo et au jambon sec) sont des plats principaux appréciés.

Desserts et autres divines douceurs

Un grand nombre de douceurs ou de desserts traditionnels andalous se présentent notamment sous la forme de biscuits ou de beignets. Parmi les spécialités les plus connues, on retrouve les piñonates, de petites boules de pâte à base d’amande, de sésame et de pignons, mais aussi les mantecados de Estepa des biscuits sablés, parfumés à la cannelle, au zeste de citron ou même au cacao. Très proches, les polvorones aux amandes sont originaires également de la région de Séville. Le saindoux leur donne une texture très friable, d’où leur nom : polvo qui signifie « poussière ». Les roscos de Loja se présentent sous la forme d’anneaux généreusement nappés d’un glaçage blanc. Issus de la région de Séville, les mostachones de Utrera sont des biscuits moelleux au citron. On retrouve d’autres douceurs plus consistantes comme les bizcochos borrachos (une sorte de baba), les torrijas (un pain perdu à la cannelle), le dulce de membrillo (pâte de coing), les cortadillos de cidra (des biscuits friables fourrés au citron) ou encore le tocinillo de cielo (un pudding aux œufs et au caramel). Le pan de Càdiz, est une nourrissante confiserie à base de fruits confits et de pâte d’amande. Impossible également de ne pas citer les churros. En Espagne, il est d’ailleurs commun de prendre au petit déjeuner du chocolat chaud bien épais et des churros (chocolate con churros).

De nombreuses spécialités sont aussi servies pendant les fêtes religieuses comme les roscos fritos, des beignets en forme de couronnes, couverts de sucre et consommés pendant la Semaine sainte. Ou encore les pestiños, des tubes de pâte frits parfumés au sésame, imbibés de miel, généralement préparés pour Noël et Pâques. Certains biscuits et autres préparations pâtissières peuvent d’ailleurs être achetés dans les couvents d’Andalousie. Une tradition qui remonte au Moyen Âge où les viticulteurs utilisaient du blanc d’œuf pour clarifier les vins. Ils faisaient ainsi don des jaunes d’œufs aux couvents. Les religieuses réalisaient en échange des pâtisseries qu’elles revendaient. On peut ainsi déguster des yemas de San Leandro, ces biscuits moelleux aux amandes, dont le couvent est situé à Séville. Dans la même ville on peut trouver les bollitos de Santa Inés, parfumés au sésame. À noter que certaines congrégations ont fait vœu d’isolement et ne sont pas en contact avec le monde extérieur. Pour acheter les pâtisseries, il faut donc utiliser un torno, une sorte de passe-plats qui permet de passer commande. On dépose l’argent et en échange la porte se tourne avec les pâtisseries, sans que l’on croise le regard des sœurs.

Influence maure dans la cuisine andalouse

Pendant huit siècles, l’occupation maure de la péninsule laissera une marque culturelle indélébile. Si la reconquête chrétienne s’organise progressivement, l’Andalousie est de loin la région la plus marquée par cette période, son nom venant même de l’arabe Al-Andalus. Cette région sera la toute dernière d’Espagne à être reprise lors de la Reconquista qui se terminera par la chute de l’Émirat de Grenade en 1492.

Une empreinte culturelle qui bien sûr passe par la cuisine et qui commence par l’introduction de nouveaux produits. De nombreuses recettes espagnoles aujourd’hui contiennent des ingrédients tels que le safran, les abricots, les artichauts, la caroube, les aubergines, les pamplemousses, les amandes, les carottes, la coriandre et le riz. Ces aliments sont pour la plupart originaires d’Asie ou du Moyen-Orient. L’introduction de la canne à sucre, originaire d’Inde, par les Arabes va fortement changer la conception des desserts en Espagne et plus largement en Europe.

De plus les Arabes étant passés maître dans les techniques d’irrigation en zone aride ils les introduisirent en Espagne, permettant de moderniser les cultures et améliorer les rendements de fruits et de légumes. Certaines techniques de conservation ont été également affinées comme la salaison des poissons et notamment du thon qui est connue en Espagne sous le nom de mojama, mais vient de l’arabe musama. Ce poisson séché au sel, toujours consommé aujourd’hui, est coupé en très fines lamelles et servi en tapas avec de l’huile d’olive. Les fritures de poisson finement enrobées au préalable de farine sont aussi une invention maure. Autre apport : l’utilisation du vinaigre pour la conservation des aliments se retrouve toujours aujourd’hui avec par exemple les anchois ou boquerones en vinagre.

De nombreuses recettes portent toujours cette influence avec notamment le sobriquet « moruno » (mauresque) comme les pinchitos morunos, des brochettes de poulet mariné avec safran, cumin et coriandre, le cordero a la moruna, un gigot d’agneau aux fruits secs et à la cannelle. Ou encore la sopa moruna, une soupe de pois chiches et d’agneau épicée qui n’est pas sans rappeler la chorba nord-africaine.

Huile d’olive : l’or liquide d’Andalousie

S’il ne fait pas de doute que l’Espagne possède une place centrale parmi les producteurs d’huile d’olive on ne réalise pas toujours que ce pays à lui seul contrôle la moitié de la production mondiale du précieux liquide. Et l’Andalousie fournit plus de 75 % de l’huile d’olive produite en Espagne. En bref, une seule région en Espagne produit plus d’un tiers de l’huile d’olive consommée dans le monde !

La province de Jaén est la plus grosse région de production et les huiles de cette région sont souvent considérées comme les meilleures du monde. Pas moins de 14 zones de production bénéficient d’une Denominación de Origen Protegida en Andalousie, soit presque autant que toutes les autres régions d’Espagne réunies : Antequera, Baena, Campiñas de Jaén, Estepa, Jaén Sierra Sur, Lucena, Montes de Granada Montoro-Adamuz, Poniente de Granada, Priego de Córdoba, Sierra de Cádiz, Sierra de Cazorla, Sierra de Segura et Sierra Mágina. Les villes d’Úbeda et de Baeza sont remplies de boutiques qui vendent des huiles d’olive de grande qualité et on trouve même un Musée de la culture de l'olivier aux environs de Baeza. La ville de Martos, connue comme le « verger d’oliviers de l’Espagne », possède sa propre variété d’olives appelée marteña à partir de laquelle est produite l’huile Picual. La ville accueille aussi le Festival de l’olive le 8 décembre. On retrouve d’autres variétés andalouses comme la verdial et l’hojiblanca.

Les olives arrivent à maturité entre novembre et février. Elles sont traditionnellement cueillies avec à un bâton grâce à la technique dite du vareo qui consiste à battre les branches pour en faire tomber les olives les plus mûres. Aujourd’hui les machines remplacent le bâton et font vibrer les troncs permettant aux olives de se détacher toutes seules. Elles sont ensuite récupérées dans un filet puis amenées dans une presse. La purée de pulpe et de noyaux est passée dans une centrifugeuse pour séparer l’huile du marc qui lui reste dans le tambour. La chaleur aide à l’extraction de l’huile, mais l’altère également, raison pour laquelle on emploie le terme « première pression à froid » pour les huiles de qualité. L’Andalousie produit également une huile d’olive très rare et donc très coûteuse appelée « flor de aceite » où l’huile n’est pas pressée ni centrifugée, mais s’écoule du marc naturellement grâce à la seule gravité. Le rendement est très faible, mais cette technique permettrait de préserver tous les arômes, les acides gras et les vitamines.

Au pays du Xérès

S’il y a un vin qui est indissociable de l’Andalousie, c’est bien le Xérès, Jerez en espagnol. Originaire de la province de Cadix, ce vin tire son nom, d’origine arabe, de la ville de Jerez de la Frontera. Après la période qui s’étend de l’Antiquité au Moyen Âge, durant laquelle le vin est élaboré de façon classique, la production s’oriente vers un autre procédé de fermentation plus complexe et dont le résultat va séduire une clientèle d’Europe du Nord. Les vins vont être exportés encore plus abondamment à partir du XVIIIe siècle, sous l’impulsion de négociants britanniques qui baptiseront le breuvage sherry, ne parvenant pas à prononcer « jerez ». Calcaire, argile et sable offrent des conditions idéales aux vignobles, sans compter les conditions climatiques de cette zone en bordure d’Atlantique, à la fois très chaude, mais également humide grâce aux vents qu’apporte l’océan. Les trois cépages utilisés sont le pedro-ximénez, le moscatel et le palomino. La fermentation est classique, mais les fûts ne sont pas remplis totalement, car une fois la fermentation achevée il est fortifié à 15,5 % avec une eau-de-vie neutre. Dernier procédé, la solera, consiste à mélanger des vins jeunes avec des vins plus vieux, permettant d’homogénéiser la production. Des plus secs aux plus liquoreux, les vins de Xérès s’étendent sur un large éventail, dont les Finos et les Manzanillas aux arômes délicats et fins, alors que les Olorosos présentent un profil aromatique plus prononcé.

On retrouve évidemment bien d’autres vins andalous réputés comme le Moscatel (muscat) de Malaga, le Montilla-Moriles de Cordoue, le Condado de Huelva qui est produit entre le Guadalquivir et la frontière avec le Portugal. Sinon, il y a de fortes chances que vous vous orientiez vers un Rioja, si vous demandez un rouge ou un Ribera del Duero si vous souhaitez un blanc. Le tinto de verano, à base de vin rouge, de limonade et de citron, servi glacé, est le cocktail estival par excellence. Enfin, le mosto est un jus de raisin pas totalement fermenté, très agréable en apéritif avec quelques glaçons et une tranche d’orange. Grâce à son climat permettant la culture de la canne à sucre, l’Andalousie possède une petite production de rhum. L’une des principales brasseries, le Ron Montero, est née en 1963 dans la région de Motril, entre Grenade et Malaga.