Découvrez le Portugal : A l'écran (Cinéma / TV)

Le Portugal occupe une place singulière, à l’extrême pointe du continent européen, tourné vers l’Atlantique. Alors que les frères Lumière faisaient la loi en Europe, les premières projections de films sur le sol portugais ont eu lieu grâce à une machine inventée par un Britannique, R. W. Paul, comme un premier pas de côté d’un cinéma qui a toujours fait figure d’exception. La production de films y est toujours assez maigre : environ une vingtaine par an. Pourtant, le cinéma d’auteur fait preuve d’une vigueur remarquable, ce qu’il faut mettre sur le compte d’une politique longtemps volontariste, via des lois ou des concours publics, permettant de financer les projets de cinéastes à l’expression très personnelle. Austérité, économie de moyens, tendance à l’expérimentation, ainsi qu’une certaine propension à la mélancolie semblent être les mots d’ordre d’un cinéma très littéraire, placé sous la figure tutélaire de Manuel de Oliveira.

Maria de Medeiros au 65e Festival du Film de Cannes. (c) Andrea Raffin- shutterstock.com.jpg

Enfance d’un art et fin de l’innocence

La première société de production du Portugal, Invicta Film, naît à Porto en 1910. Une mode consistera dans les années 1920 à aller chercher des réalisateurs étrangers, notamment français, pour diriger des productions locales : Georges Pallu, Roger Lion, Maurice Mariaud sont quelques-uns de ces cinéastes qui sont allés voir si l’herbe était plus verte au Portugal et ont participé, ce faisant, au développement de son industrie cinématographique. Ce dernier est notamment l’auteur d’O Fado (1923), court-métrage inspiré d’un tableau du même titre de José Malhoa. Le début de carrière de Manoel de Oliveira coïncide, à peu de choses près, avec l’arrivée au pouvoir d'António de Oliveira Salazar. Son premier film Douro, Faina Fluvial (1931) est consacré à sa ville natale, Porto, et au fleuve qui la traverse, mais se veut déjà une critique du pouvoir militaire et policier. Près de dix ans plus tard, Aniki-Bóbó (1942), dont Porto est à nouveau le principal protagoniste au travers des aventures d’un gamin des rues, est son premier long-métrage de fiction, et aujourd’hui l’un des classiques du cinéma portugais. Hasard amusant, l’un des premiers films parlants portugais, A Canção de Lisboa (José Cottinelli Telmo, 1933), se veut, ainsi que son titre l’indique, un hymne à Lisbonne et constitue une autre réussite du cinéma de l’entre-deux-guerres. La production soutenue a valu à cette période le surnom d’âge d’or du cinéma portugais. On peut voir dans la prédilection pour les films historiques ou les sujets ayant trait au folklore local l’effet d’une propagande nationaliste discrètement entretenue par le régime de Salazar. Les comédies populaires mettant en scène une population colorée, volontiers gouailleuse, connaissent alors une fortune particulière comme O Pátio das Cantigas (Francisco Ribeiro, 1942) situé dans les faubourgs de Lisbonne, preuve qu’un cinéma populaire de qualité subsiste, et qui aura droit à un remake à succès signé Leonel Vieira (2015).

Le Novo Cinema et le début de l’exception portugaise

En réaction à la censure de la dictature et aux productions lénifiantes qu’elle engendre émerge au début des années 1960 ce qu’on appelle aujourd’hui le Novo Cinema, mouvement inspiré par la Nouvelle Vague française et les velléités émancipatrices qui se font alors jour en Europe. Les Vertes années (1963) de Paulo Rocha, réalisateur emblématique du Novo Cinema, garde la trace des changements qui touchent alors à la fois la société portugaise et la ville de Lisbonne. Son deuxième film (Changer de vie, 1966) évoque en creux la guerre menée par le Portugal en Angola en racontant le retour d’un conscrit dans son village de pêcheurs. La révolution des Œillets en 1974 permet définitivement à un cinéma portugais d’expression personnelle d’échapper à la marge ou aux allusions pour aborder de plein front des thèmes politiques ou s’affranchir des codes du cinéma traditionnel. Les cinéastes portugais, dans le sillage de Oliveira ou de Rocha, deviennent les chouchous des festivals, à l’instar de João César Monteiro, critique devenu réalisateur à l’excentricité sans égale, mais dont la trilogie de Dieu (Souvenirs de la maison jaune en 1989, La Comédie de Dieu en 1995 et Les Noces de Dieu en 1998) est également typique de cette tendance à l’expérimentalisme de certains cinéastes portugais. Comme exemple d’un cinéma hautement littéraire, on citera aussi João Botelho dont l’œuvre se place dès son premier film sous le patronage de Fernando Pessoa (Moi, l'autre, 1981) et qui donnera en 2010 une version du Livre de l’intranquillité ou adaptera ce classique de la littérature portugaise du XIXe siècle qu’est Les Maia (2014). Oliveira signe ce qui est parfois considéré comme son chef-d’œuvre, Non, ou la Vaine gloire de commander (1990), qui consiste en une exploration ambitieuse du passé militaire du Portugal, et en particulier de ses plus retentissantes défaites, de l’Antiquité aux guerres coloniales. Le producteur Paulo Branco, né à Lisbonne puis installé en France dans le courant des années 1980, joue un rôle essentiel dans l’essor de ce cinéma, il convient de le dire, un peu difficile d’accès. Dans le même temps, l’étranger retrouve Lisbonne, son port, son caractère à part. Dans la ville blanche (Alain Tanner), et L’État des choses (Wim Wenders), tous deux sortis en 1982, montrent que la ville exerce une attraction nouvelle et mystérieuse. C’est aussi la ville où a choisi de se retirer l’espion incarné par Sean Connery au début de La Maison Russie (Fred Schepisi, 1990). Wenders, nullement lassé, rend un nouvel hommage à la ville avec Lisbonne Story (1994).

Entre ambitions commerciales et visions d’auteur

Le septième art continue sur sa lancée dans les années 1990, faisant preuve d’une envie nouvelle, quoique timide, d’un cinéma plus accessible : Três Irmãos (Teresa Villaverde, 1994) révèle, la même année que Pulp Fiction (Quentin Tarantino), l’actrice Maria de Medeiros que l’on retrouve un an plus tard dans Adam et Eve (Joaquim Leitão), dont les 250 000 entrées sont une anomalie au sein de la décennie. C’est cette même Maria de Medeiros qui consacre un film, dans un style hollywoodien, à la révolution des Œillets, Capitaines d'avril (2000). Les noms de Pedro Costa, dont la filmographie est largement dédiée aux laissés-pour-compte et immigrés qui peuplent la capitale portugaise, ou de João Pedro Rodrigues viennent s’ajouter à cette longue tradition de lenteur et d’expérimentation, partagée entre réalisme et embardées baroques, hantée par son passé colonial, si caractéristique du cinéma portugais et dont Miguel Gomes reprend le flambeau à la fin des années 2000 avec Tabou (2012) ou encore Les Mille et une nuits (2015). L’aspect artisanal ou minimaliste de ces films va paradoxalement de pair avec l’ambition de réaliser des œuvres fleuves. Les Mystères de Lisbonne (Raoul Ruiz, 2010) en offre une version moins aride en nous plongeant dans une Lisbonne romantique et pleine d’histoires à tiroirs. Nuit de Chien de Werner Schroeter (2008) vaut pour la vision fantastique qu’il offre de Porto, campant le rôle d’une ville imaginaire en proie à la violence d’un coup d’État. Les amateurs de fado et d’Amália Rodrigues, immense vedette locale, verront volontiers le film qui lui a été consacré en 2008 par Carlos Coelho da Silva tandis que le succès de Variações (João Maia, 2019), biopic du chanteur éponyme mort du sida à 39 ans, semble indiquer à quel point la veine est fructueuse et que le Portugal est désormais mûr pour mettre à nouveau à l’honneur, outre sa tradition « auteurisante », un cinéma grand public.

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