Sunnisme

Les musulmans sunnites représentent entre 75 et 80 % de la population du Kosovo. La communauté est composée de groupes « ethniques » bien distincts : les Albanais qui sont prédominants (plus de 1,1 million), les Turcs (de 30 000 à 50 000), les Roms, Ashkalis et Balkano-Égyptiens (environ 35 000), les Bosniaques (environ 28 000) et les Gorans (environ 10 000). Tous sont regroupés au sein de la Communauté islamique du Kosovo (BIK), fondée en 1993 et dont le siège se trouve à Pristina. Le sunnisme est l’une des deux grandes branches de l’islam avec le chiisme et regroupe environ 90 % des musulmans à travers le monde. Les différences théologiques entre les deux sont faibles et remontent à la mort de Mahomet en 632 : les sunnites reconnaissent les trois premiers califes (« successeurs ») du Prophète, alors que pour les chiites, la lignée des successeurs commence à partir du quatrième calife, Ali, cousin et gendre de Mahomet. Le clivage, profond, est en fait davantage culturel avec le sunnisme sous influence arabe et le chiisme sous influence perse. En théorie, le chiisme est absent du Kosovo. Pour autant, il est présent ici de manière diffuse depuis 1389, date de la bataille de Kosovo Polje qui marque le début de la domination ottomane et de l’islamisation de la province. Les Turcs ottomans, bien que sunnites, sont alors imprégnés de culture perse et chiite. De plus, l’élite politique, artistique et militaire de l’Empire est, elle, dominée par les confréries soufies qui intègrent plusieurs éléments du chiisme à leurs doctrines quand elles ne sont pas elles-mêmes chiites. Si l’on ajoute la forte imprégnation chrétienne des populations converties, le résultat est que le sunnisme au Kosovo et dans les Balkans possède une identité particulière au sein du monde islamique. Par exemple, la majorité des conversions se sont faites tardivement, par opportunisme et sans adhésion religieuse profonde : à partir du XVIe siècle et pour échapper aux taxes visant les non-musulmans. D’une manière générale, on peut aussi dire que l’islam balkanique demeure « modéré » et cantonné à la sphère privée. Ainsi, au Kosovo, la majorité des sunnites suivent les grandes fêtes musulmanes (Aïd al-Adha et Aïd al-Fitr), se rendent à la mosquée pendant le Ramadan, mais affichent peu de signes distinctifs (les femmes sont rarement voilées) et s’autorisent en parallèle à boire de l’alcool, à célébrer Noël ou à fréquenter les tekkés des soufis. Autre caractéristique du sunnisme kosovar : il est très morcelé. Les Albanais, les Turcs, les Bosniaques et les Gorans possèdent chacun leurs propres mosquées et ne se mélangent guère. L’unité de façade est également remise en cause par des mouvements internes et externes. À partir des années 1970, plusieurs dizaines de milliers d’Albanais et de Roms ont coupé les ponts avec le sunnisme pour rejoindre les confréries soufies. Depuis la guerre de 1998-1999, on constate un nombre important de conversions au catholicisme et au protestantisme, mais surtout l’ingérence de puissances musulmanes étrangères. Les États arabes du golfe Persique et la Turquie ont favorisé la diffusion d’un islam plus radical en finançant la construction de mosquées, la formation d’imams et l’ouverture d’écoles. Dans une société engluée dans des problèmes de chômage, d’identité nationale et de corruption, on constate la montée d’un intégrisme sunnite, en particulier de la part de groupes albanais se réclamant du wahhabisme ou du salafisme (environ 1 % de la population sunnite). D’autres se tournent vers des mouvements musulmans plus pacifiques, comme en témoigne le récent essor de l’ahmadisme, qui propose une lecture « humaniste » du Coran.

Soufisme

Les musulmans soufis sont de 200 000 à 300 000 (10-15 % de la population). Albanais ou roms, ils sont répartis entre neuf confréries (tarikat) et résident principalement au sud-ouest du pays, dans les municipalités de Prizren, Rahovec/Orahovac, Peja/Peć et Gjakova/Đakovica. Ils appartiennent au courant mystique de l’islam : le soufisme, né en Irak au VIIIe siècle, et dont la confrérie la plus connue est celle des mevlevis (Turquie, Chypre, Syrie et Égypte), avec ses derviches tourneurs qui cherchent à atteindre un état de transe en tournant sur eux-mêmes. Depuis 2017, les neuf confréries du pays sont regroupées au sein de la Communauté des tarikats du Kosovo. Siégeant à Pristina, celle-ci est indépendante de la Communauté islamique du Kosovo (sunnite). Si la plupart des soufis se disent sunnites, ils empruntent des éléments au chiisme (vénération du calife Ali, etc.), au christianisme ou au judaïsme et célèbrent chaque 21 mars le nouvel an iranien (Norouz). Souvent décrites comme « tolérantes », les confréries placent la méditation, l’ascèse et la poésie au cœur de leurs pratiques. Les fidèles, les sympathisants et les derviches (ascètes) se réunissent pour prier, discuter et parfois vivre de manière monastique dans un tekké en suivant les enseignements d’un cheikh. Le soufisme s’est implanté au Kosovo dès l’arrivée des Ottomans en 1389. Les confréries ont en effet joué un rôle prépondérant dans la conquête des Balkans avec leurs soldats, leurs missionnaires et leur philosophie dont certains aspects proches du christianisme peuvent expliquer l’islamisation massive des Albanais. Mais elles ont connu un fort déclin lors du virage rigoriste sunnite pris par les Ottomans au début du XIXe siècle. Le soufisme demeure d’ailleurs souvent perçu comme une pratique élitiste non conforme à l’islam par une majorité de musulmans. Pour autant, une partie des sunnites a maintenu des liens avec les confréries, fréquentant aussi bien la mosquée que le tekké et considérant comme des sages les cheikhs et les derviches. Le soufisme a pu ainsi renaître au Kosovo à partir de 1975. Grâce au soutien des autorités socialistes, qui ont permis aux confréries de s’émanciper de la tutelle des imams, la ville de Prizren est devenue le centre du renouveau soufi en Yougoslavie. Dès les années 1980, le Kosovo comptait 40 000 adeptes du soufisme, et 100 000 en 1997. Malgré une opposition toujours très vive de la part des instances sunnites, les chiffres ne cessent de progresser. Parmi les neuf confréries du pays, les deux plus importantes sont celles des rufaïs et des kaderis. Toutes deux originaires d’Irak, elles partagent différentes pratiques mystiques (prières scandées, danses) menant à la transe avec comme aboutissement un spectaculaire rituel qui consiste à se transpercer les joues avec une aiguille. Viennent ensuite les halvetis, originaires d’Afghanistan et qui constituent une des plus vastes confréries au niveau international, puis les sadis, provenant de Syrie, et les bektashis. Ces derniers, originaires d’Iran, se réclament du chiisme. Très influents en Albanie, ils sont réputés les plus ouverts : hommes et femmes prient ensemble dans les tekkés, tolérance vis-à-vis de la consommation d’alcool, etc. Plus rigoristes et provenant d’Ouzbékistan, les nakshibandis forment quant à eux la confrérie la plus récente, arrivée seulement ici au XIXe siècle. Enfin, les trois plus petites confréries au Kosovo sont celles des melamis (chiites), des sinanis et des shazilis.

Orthodoxie

Les chrétiens orthodoxes sont environ 120 000, soit 6 % de la population. Principalement serbes (100 000 fidèles) et monténégrins, ils sont aussi pour quelques-uns albanais ou roms. Ils sont rattachés à l’Église orthodoxe serbe et dépendent de l’éparchie (diocèse) de Raška et Prizren qui couvre le sud de la Serbie et l’ensemble du Kosovo avec comme siège la cathédrale Saint-Georges de Prizren. Ils sont surtout concentrés dans les enclaves serbes du Kosovo, au nord de Mitrovica, à Gračanica/Graçanica et à Štrpce/Shtërpca. À l’inverse des Albanais pour qui la langue est le principal facteur d’unité, les Serbes et Monténégrins ont pour premier dénominateur commun la religion orthodoxe. Celle-ci les distingue des autres Slaves du Sud de même langue que sont les Croates (catholiques) et les Bosniaques (musulmans). L’orthodoxie (littéralement « la droite opinion » en grec) est l’une des principales branches du christianisme et celle qui est restée la plus fidèle aux principes fondateurs de l’Église. Théologiquement, les différences sont infimes avec l’Église catholique romaine et portent surtout sur la nature de l’Esprit saint (querelle du Filioque). Dans les faits, une profonde division culturelle persiste depuis les conflits qui ont opposé les chrétiens d’Occident (sous influence germanique) et d’Orient (sous influence byzantine) au Moyen Âge. Sans autorité unificatrice, hormis une primauté honorifique reconnue au patriarcat œcuménique de Constantinople (grec et situé en Turquie), les Églises orthodoxes sont organisées par « nations » et indépendantes les unes des autres. L’Église orthodoxe serbe a ainsi juridiction en ex-Yougoslavie et dans tous les pays où résident de fortes communautés serbo-monténégrines (États-Unis, Autriche, Allemagne…). Comme la majorité des Églises orthodoxes, elle suit le rite byzantin, autorise le mariage des prêtres, reconnaît le caractère sacré des icônes et interdit les ordres religieux (les moines sont soumis à la hiérarchie ecclésiastique comme les prêtres), mais la liturgie (messe) se fait en serbe ou en slavon d’Église (vieux-slave). Le Kosovo est considéré comme le berceau de l’orthodoxie serbe avec la fondation du patriarcat de Peć comme siège de l’Église serbe en 1219. La province (ou le pays) demeure particulièrement chère au cœur des Serbes du fait de la présence de certaines des plus précieuses églises médiévales serbes, classées au patrimoine mondial de l’Unesco, dont le monastère patriarcal de Peć. D’ailleurs, le chef de l’Église serbe, qui siège à Belgrade (Serbie), porte toujours le titre de patriarche de Peć.

Catholicisme

La personnalité la plus célèbre du pays est la sainte catholique mère Teresa (1910-1997). Cette Albanaise canonisée en 2016 fait la fierté de la communauté chrétienne catholique du Kosovo. Actuellement en expansion, celle-ci compte environ 70 000 fidèles (3 % de la population), essentiellement des Albanais ainsi qu’environ 500 Croates et un millier de Roms. Ils sont surtout concentrés au sud-ouest, dans les municipalités de Klina, de Gjakova/Đakovica et de Prizren. Appartenant à l’Église catholique romaine et placée sous la juridiction directe du Vatican, cette communauté dépend du diocèse de Prizren-Pristina (fondé en 2018), dont le siège est partagé entre les cathédrales Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours de Prizren et Sainte-Mère-Teresa de Pristina. L’origine de la présence catholique remonte au Moyen Âge, lorsque le Kosovo et le nord de l’Albanie ont progressivement été perdus par les Byzantins (orthodoxes), favorisant l’implantation de missionnaires franciscains venus de Croatie et du Monténégro. Après la conquête ottomane, la vaste majorité des Albanais catholiques s’est convertie à l’islam, en particulier pour échapper aux taxes visant les non-musulmans. Toutefois, une partie d’entre eux a continué à célébrer les fêtes chrétiennes en secret. Le nombre de ces crypto-catholiques ou laramanë (« bigarrés » en albanais) est inconnu. Mais depuis l’indépendance du Kosovo, des centaines reviennent chaque année dans le giron de l’Église. En parallèle, le diocèse organise d’autres baptêmes de musulmans convertis au catholicisme. Non sans susciter de violents débats dans la société, certains dirigeants albanais estiment que l’étiquette de « pays musulman » est un frein à l’intégration du Kosovo au sein de l’Europe et encouragent ces conversions. Ce fut notamment le cas d’Ibrahim Rugova, premier président déclaré du Kosovo (1992-2000), qui a reçu le baptême peu avant sa mort en 2006.

Protestantisme

Les chrétiens protestants sont environ 20 000 (1 % de la population) et sont regroupés au sein de l’Église évangélique protestante du Kosovo, dont le siège est à Pristina. Parmi eux, on trouve surtout des baptistes et des pentecôtistes, mais aussi des presbytériens (calvinistes). Ils sont pour la plupart des Albanais, et pour certains des Roms. Leur présence remonte au XIXe siècle, lorsque des missions britanniques furent autorisées à s’implanter dans l’Empire ottoman. Toutefois, leur nombre est resté très faible (environ 200 dans les années 1990). Juste après la guerre du Kosovo, l’arrivée de nouveaux missionnaires et d’associations religieuses américaines et britanniques a provoqué la conversion rapide de familles sunnites au protestantisme, principalement dans les municipalités de Pristina, Gjakova/Đakovica et Prizren.

Judaïsme

Les Kosovars juifs sont une cinquantaine, soit trois familles habitant Prizren. Parlant albanais et turc, ils sont les descendants de Juifs chassés d’Espagne et accueillis par les Ottomans à la fin du XVe siècle. Au nombre de 550 en 1940, environ 300 ont survécu à la Shoah. Parmi ces derniers, plus de la moitié a émigré en Israël après la Seconde Guerre mondiale. La communauté juive de Pristina (environ 50 personnes) a trouvé refuge en Serbie après la guerre du Kosovo. Seule subsiste désormais celle de Prizren, qui dispose d’une petite synagogue depuis 2020.

Athéisme

Les athées et agnostiques sont extrêmement rares au Kosovo, puisqu’ils représenteraient entre 0,1 et 1 % de la population, peut-être moins encore selon un sondage paru en 2017 : celui-ci indiquait que le Kosovo faisait partie des cinq pays dans le monde où 100 % des personnes interrogées disaient croire en Dieu. La diminution du nombre d’athées et d’agnostiques est une tendance générale en ex-Yougoslavie depuis les années 1990 : la montée des nationalismes et les guerres ont provoqué un retour à la religion comme symbole d’identité pour chaque peuple. Mais aucun autre pays de l’ancienne Fédération socialiste n’atteint le niveau du Kosovo. Sans doute du fait du poids des traditions, de la pression sociale et de la nécessité de s’identifier dans une nation, certes laïque, mais au futur incertain et aux communautés très divisées. Le peu de Kosovars s’affichant athées ou agnostiques disent être mal perçus, voire rejetés par leurs concitoyens. Cela peut s’entendre dans le cas de minorités comme les Serbes ou les Bosniaques qui se définissent avant tout par rapport à leur religion. Dans le cas des Albanais, largement majoritaires et généralement peu pratiquants, le rejet de l’athéisme est moins facile à comprendre. Mais il explique sans doute en partie pourquoi, au cours des dernières décennies, 300 000 Albanais ont changé de « chapelle » plutôt que de renoncer à croire en Dieu.