Le 7 juin dernier, le président azéri Ilham Aliev posait tout fier devant les journalistes, en tenue de sport et brandissant la flamme olympique. Un préliminaire à l'ouverture de la première édition des Jeux Olympiques européens, qui se tiendront à Bakou du 12 au 28 juin 2015. La plus jeune des compétitions de ce type (les Jeux Américains et Asiatiques existent déjà depuis de nombreuses années) trouve là un hôte de choix, qui n'a pas hésité à dépenser des fortunes pour embellir sa ville et séduire, en arrière plan, une population touristique qui traîne à prendre la route de l'Azerbaïdjan.

 

Et pour quelques milliards de plus...

Un peu plus de 7 milliards d'euros. C'est l'addition (officielle) de ce qu'a couté à l'Azerbaïdjan l'organisation des Jeux Olympiques Européens. Ou du moins ce que le gouvernement a bien voulu dépenser pour offrir une peau neuve à Bakou et la doter de nouvelles infrastructures sportives. Bakou n'en est pas à son coup d'essai. Vainqueur de l'eurovision en 2011, l'Azerbaïdjan avait été le pays organisateur de la manifestation musicale en 2012 et avait déjà, pour l'occasion, englouti des fortunes dans l'aménagement du front de mer, la rénovation des routes et des immeubles, la création d'un nouveau centre Heydar Aliev et la construction du Cristal Palace et ses 25 000 places (4 fois plus que le Zénith de Paris). Tout cela pour se faire pourfendre sur le si convenu sujet des droits de l'homme par des journalistes occidentaux ne connaissant rien à l'affaire et dont il avait lui-même payé les billets d'avion. On ne peut donc pas laisser sa population mourir de faim à l'ombre des palais de cristal ? Qu'à cela ne tienne, l'Azerbaïdjan remet ça quelques mois plus tard en accueillant la Coupe du Monde Féminine de football des moins de 17 ans (remportée par l'équipe de France, au passage). Là encore, le pays profite assez peu des retombées financières de l'évènement, 5 des 6 stades retenus par la FIFA se trouvant dans la capitale. Et puis l'opération de communication échoue et l'opinion internationale s'émeut, comme elle le fait de nouveau depuis quelques mois, de la misère sociale à quelques pas de l'entrée des stades clinquants et de leurs parkings emplis de limousines.

Mais pourquoi cet acharnement contre l'Azerbaïdjan ?

 

Du sang et de l'encre en ouverture des Jeux

C'est vrai quoi ! Le pays essaye juste de bien faire les choses. Mais la volonté d'embellir la ville se heurte à un constat : impossible de refaire tous les immeubles de la capitale ! C'est aussi simple que cela. Lors de l'Eurovision, l'Azerbaïdjan s'est donc souvent contenté, comme entre l'aéroport et le centre ville, de refaire la route et de dresser, devant les immeubles délabrés de l'époque soviétique, d'immenses panneaux en matériaux légers, faciles et rapides à installer, derrière lesquels la population locale et ses logements vétustes ne risquaient plus de heurter la sensibilité des dirigeants, chefs d'entreprise ou sportifs de haut niveau... Le problème de ces matériaux légers —on avait oublié de le dire à ladite population sans doute— c'est qu'ils sont aussi facilement inflammables, comme on a pu s'en rendre compte en mai dernier lorsqu'un immeuble s'est embrasé à une vitesse incontrôlable. Bilan, 16 morts dont 5 enfants, et une sacrée mauvaise presse pour un président trop occupé à choisir la couleur de son survêtement d'apparat. Heureusement, il lui reste les partenaires officiels, bien propres sur eux, pour cautionner les Jeux Olympiques et leurs 7 milliards d'euros de dépenses comme facteur de développement humain et social en Azerbaïdjan. Premier partenaire, British Petroleum. Bon, on ne peut pas toujours faire dans l'originalité quand le pétrole constitue les trois-quarts des revenus de l'État et 90% de ses exportations. Mais tâchez quand même de lire All that glitters (tout ce qui brille), qui sort en librairie ce même 12 juin et évoque les relations entre le pouvoir politique bakinois et le géant du pétrole. C'est aussi du sport ! Un autre ? Les montres Tissot bien sûr. Le suisse Tissot, qui doit bien essayer de concurrencer l'autre suisse Chopard, déjà largement implanté de l'autre côté de la Caspienne, en Ouzbékistan ou au Kazakhstan, où il a tissé de solides amitiés avec le 1% de la population locale qui vit en dépensant chaque mois le PIB du Yémen. Les horlogers suisses aiment les familles de dictateurs, l'argent et... les manifestations sportives à chronométrer ! Mais que fait la communication présidentielle azerbaïdjanaise bon sang ? On va finir par croire que les Jeux Olympiques n'ont rien à voir avec le sport !

 

Pourquoi les touristes évitent le pays ?

Une vieille ville classée au patrimoine de l'Unesco, une ville moderne construite dans les années 1920 par les premiers magnats du pétrole, une ville contemporaine plus proche de l'architecture d'un émirat, un champ de pétroglyphes à 60 km de la capitale, également classé, des petites villes de caractère, des palais, des ruines de caravansérails, des randonnées pour tous les niveaux et même des plages sur la Caspienne. Qu'est-ce qui retient donc les touristes sur la route d'un pays si entreprenant ? Tout de même pas la dictature... pardon, le régime présidentiel faisant la part belle à l'exécutif présidentiel. Finalement, on voyage bien en Ouzbékistan, au Kazakhstan ou en Chine et on a bien voyagé en Tunisie, au Vietnam ou en Birmanie sans se poser trop de questions. Et il faut bien admettre que jusqu'à présent, sur l'échelle des dictateurs des anciennes républiques d'URSS, Ilham Aliyev n'était pas le plus mal perçu. Comme en témoignent ses multiples réélections à plus de 80% d'ailleurs... Des gigantesques revenus du pétrole et du gaz, le fils Aliev (oui, son papa était déjà président avant lui) a toujours eu la bonne idée d'en faire croquer aussi au bas peuple. Une petite route par ci, une petite école par là, un hôpital ou deux. Et toujours dans un souci de liberté. Libre est effectivement la population de trouver de l'essence, des enseignants ou des médecins pour se servir de ses nouveaux jouets. Le problème, c'est que là, un chèque de 7 milliards, 3 fois le coût de l'organisation de l'Eurovision,  c'est pus difficile à encaisser, même avec des copains suisses. Au final, Ilham Aliyev va trouver bien chère son opération de com, qui ne fait que mettre en lumière les dérapages d'un régime corrompu et toujours aussi totalitaire envers les journalistes, les étudiants, les femmes, les intellectuels, les artistes, les réfugiés du Haut-Karabagh, les homosexuels... enfin, les azerbaïdjanais quoi.

Pourtant, on assure au Petit Futé cette année la 4ème édition du guide Azerbaïdjan. Eh oui ! Parce qu'on aime ce pays. On vous encourage même à y aller, parce que l'on sait bien qu'un boycott ou une condamnation "avec la plus grande fermeté" n'empêchera pas le dictateur de manger son caviar et boire son champagne. Alors attendez la fin des Jeux Olympiques : les bien pensants vous diront que ça n'a rien à voir avec la dictature ; mais en y réflechissant, ça n'a rien à voir avec le sport non plus. Et foncez découvrir ce pays et cette population tellement asservie et maintenue dans l'obscurantisme qu'elle ne sait même pas que la lumière existe. Et dites leur !