Découvrez le Cap-Vert : Musiques et Scènes (Danse / Théâtre)

Lorsque l’on pense au Cap-Vert, vient immédiatement à l’esprit l’image de Césaria Evora. Et le simple fait que cette madone de la sodade soit un emblème de l’île raconte mieux que mille mots à quel point elle est une terre de musique. Au Cap-Vert, cette dernière est omniprésente, dans la rue, aux fenêtres des maisons et bien sûr dans les bars et clubs. Pour savourer pleinement le Cap-Vert, laissez-vous aller aux rythmes langoureux de la morna ou à ceux, endiablés, du funana. En les écoutant attentivement, vous entendrez l’histoire métissée de l’île et pourrez apercevoir au loin l’Afrique dans le rythme et les percussions du batuku, ou sentir l’Amérique latine – si loin si proche – dans le funana, ou encore retrouver l’Europe et plus précisément le Portugal dans les airs de famille que cultivent morna et fado. Le patrimoine musical local est un vrai trésor et l’on comprend mieux pourquoi le pays compte de plus en plus sur lui pour attirer les voyageurs.

La musique traditionnelle

Existe-t-il meilleur moyen de sonder l’âme du Cap-Vert qu’en écoutant sa musique ? Métissée, elle est tissée d’influences africaines, portugaises, arabes et brésiliennes qui forment le socle identitaire du Cap-Vert. Plus on écoute la musique cap-verdienne, plus l’archipel se découvre. Et il n’y a pas meilleure porte d’entrée dans le domaine que la morna, le genre national (souvent chanté en kriolu, le créole cap-verdien). Probablement originaire de l’île de Boa Vista, la morna apparaît aux alentours des années 1800. Pétrie de mélancolie, elle évoque l’amour, mais aussi et surtout la nostalgie et semble avoir été façonnée par les épisodes d’esclavage, de sécheresse, de faim et d’émigration contrainte. Née de la traite des esclaves, elle s’est forgée à partir d’influences diverses, convoquant l’Angola et son rythme ancestral appelé lundum, l’Argentine avec le tango ou encore le Portugal avec le fado dont le genre est un lointain cousin. La morna est un trésor national qui, en 2019, fut enfin reconnu par l'UNESCO comme un patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Si Eugenio Tavares a popularisé le genre dans les années 1920, c’est bel et bien l’immense Cesária Evora qui a le plus contribué à faire connaître cette musique dans le monde entier. On ne présente plus celle qui fut la meilleure ambassadrice du Cap-Vert à l’étranger. Elle est la « Diva aux pieds nus », celle qui est devenue une star à 50 ans, révélant au monde, avec son succès, la beauté de la culture cap-verdienne. Elle s’éteint en 2011, laissant orphelin le pays qu’elle a contribué à faire connaître. Ce dernier lui rendra hommage dans de grandes et émouvantes funérailles nationales. S’il faut rendre à Cesária ce qui lui appartient, il ne faut pas pour autant oublier la quantité d’artistes qui ont fait la morna dans l’archipel et dans la diaspora. C’est amplement le cas de Bana, véritable monstre sacré, et une des plus grandes pointures de la morna et de la coladeira. Citons également B. Leza, surnom donné à Francisco Xavier da Cruz, qui reste dans les esprits pour avoir fait évoluer la morna classique et Ildo Lobo, l’une des voix les plus chaudes du pays, très appréciée en Europe. Loin d’être un genre purement patrimonial, des groupes de la jeune génération comme Cordas do Sol s’emparent de la morna pour lui offrir une seconde jeunesse.

Dans les années 1930 et 1940, la morna évolue vers une forme de musique plus rapide, légère et humoristique et sensuelle appelée coladeira. Très rythmée, à mi-chemin entre les rythmes africains et brésiliens, elle est apparue dans les milieux populaires, tenus à l’écart des cercles et des cafés où l’on chantait la noble morna. Plus canaille, plus frivole, la coladeira aime aussi aborder avec dérision et sarcasme des sujets de société. Le genre a connu quelques grands compositeurs qui l’ont emmené vers un large public tels que Ti Goy, Frank Cavaquim ou Manuel de Novas. Moins associées au genre, citons tout de même les chanteuses Nancy Vieira, Fantcha et Maria de Barros qui ont elles aussi quelques jolies coladeiras à leur répertoire. Et puis, évidemment, avec des morceaux comme Sangue de Beirona, Nutridinha ou Terezinha, la diva Cesária Evora a elle aussi contribué à faire connaître le genre aux quatre coins du monde.

Autre genre traditionnel incontournable de l’archipel : le funaná. Typiquement africain, le funana est devenu, après l’indépendance, l’un des symboles de l’affirmation de l’identité cap-verdienne. Basé sur l'accordéon, le rythme est généralement donné par le ferrinho, idiophone frotté en forme de barre ressemblant souvent à un simple morceau de ferraille que l’on gratte. Fiévreux, festif, portant une énergie contagieuse, le funana a beaucoup évolué avec le temps avant de connaître son renouveau actuel. La première icône du genre fut Bulimundo dans les années 1980, groupe porté par Carlos Alberto Martins, alias Catchás (ou Katchas). C’est vraiment ce dernier qui a popularisé le genre en l’électrifiant (guitare, synthétiseur, basse), lui ouvrant ainsi les portes des discothèques. Dans les années 1990, c’est Finaçon, groupe né d'une scission avec Bulimundo, qui a internationalisé le genre. Outre la musique, le funana est aussi emblématique pour sa danse exécutée collé-serré vigoureusement.

Dernier genre emblématique du Cap-Vert, le batuque (ou « batuku »). Originaire de Santiago, il était et est encore pratiqué aujourd’hui lors des fêtes populaires ou de cérémonies comme les mariages et les baptêmes. Si son rythme est importé d’Afrique par les esclaves, le batuque trouve son origine dans le travail des femmes dans les champs sous la domination coloniale portugaise. Outre la voix des chanteuses, les seuls instruments utilisés sont des morceaux de chiffons et de sacs plastiques tassés, formant ce que l’on appelle la tchabeta. Les femmes, accroupies ou assises, les placent entre leurs jambes et s’en servent de tambours, en tapant dessus d’une manière saccadée et très rapide. Une chanteuse entame alors un chant qui ressemble à une complainte (le finaçon), repris en chœur par le reste du groupe. Les femmes dansent à tour de rôle, le bassin orné d’un pagne, en balançant les hanches de chaque côté sur un rythme extrêmement rapide et saccadé. La chanteuse et compositrice de batuque la plus populaire de Santiago s’appelle Naciâ Gómi. Elle est au batuque ce que Cesária Evora est à la morna. Après l’indépendance, dans les années 1980, un homme s’est tout particulièrement intéressé au batuque, en le jouant à la guitare et en créant des thèmes inédits : Orlando Pantera. L’artiste reste un mythe pour la jeunesse de Santiago, mythe renforcé en 2001 avec sa mort soudaine à quelques jours de l’enregistrement de son premier album. Après lui, on a pu assister à l’apparition d’une génération de jeunes musiciens de Santiago – Mayra Andrade, Tcheka, Princezito et surtout Vadu – suivant le sillon tracé par Pantera en jouant un batuque qu’ils font eux aussi évoluer chacun à leur manière. Etonnamment, le batuque a connu un coup de projecteur inattendu en 2019 grâce à… Madonna. La chanteuse a écrit un batuque (« Batuka ») pour son album Madame X, le clip conviant même l’Orquestra De Batukadeiras de Portugal, célèbre groupe féminin lisboète de batuque.

Au Cap-Vert, la musique est une affaire quotidienne. On l’entend et la danse partout, tout le temps. Mais certains évènements dédiés permettent de voir la crème des musiciens locaux. C’est par exemple le cas de la Semana da Morna à Boa Vista, semaine consacrée au genre national sur son île de naissance. Sinon, pour voir les têtes d’affiches et autres légendes locales, que ce soit dans la musique traditionnelle ou les formes plus modernes, il n’y a pas meilleur endroit que le Kriol Jazz Festival de Praia. L’endroit où voir Mayra Andrade comme Bulimundo ou Tito Paris.

La musique populaire

Passé les légendes de la musique traditionnelle précédemment mentionnées, quelques noms sont aujourd’hui particulièrement populaires auprès du public. A commencer par Mayra Andrade. Résidant désormais à Lisbonne après avoir passé dix ans à Paris, Mayra est sans nul doute, après Cesária, la Cap-Verdienne la plus connue dans nos frontières. Déjà grande star internationale, elle a acquis sa notoriété en mettant sa voix envoûtante au service de très beaux textes sur des rythmes traditionnels, très bien modernisés. Son premier album Navega (2006) est incontournable pour tout amateur de musique cap-verdienne. Les suivants le sont tout autant pour tout amateur de musique (tout court). Autre grande héritière de Cesária Evora, Mariana Ramos incarne aujourd’hui la morna dont elle chante le spleen avec une grande tendresse. Dernier nom très apprécié du public, Lura, réunit tous les rythmes populaires de l’archipel cap-verdien, du funana à la morna en passant par la coladeira, avec une magie toute personnelle.

Autre genre particulièrement populaire dans l’archipel : le zouk !  Directement importé des Antilles françaises et plus particulièrement de Martinique, le style a conquis les jeunes Cap-Verdiens dans les années 1990 avant de devenir ici un incontournable. A force de l’entendre sur les ondes des radios locales ou sur les pistes des discothèques, le pays a offert un cousin purement cap-verdien au genre, le langoureux cabo-love (ou « cabo-zouk »). Par un curieux retour à l’envoyeur, le style connaît un beau succès au sein de la communauté antillaise. Gil Semedo est considéré comme un des pionniers et piliers du cabo-love, devenant même un des artistes les plus importants de l’Afrique lusophone. Parmi les autres noms à connaître, citons To Semedo, Suzanna Lubrano, Mika Mendes, trois stars du domaine. Des noms que l’on retrouve aussi, pour la plupart, dans un autre dérivé local du zouk : le cola-zouk. Dans les années 1980, la diaspora cap-verdienne a commencé à marier la coladeira traditionnelle avec le kompa (genre haïtien) pour créer un style parent du zouk appelé « cola-zouk ».

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