À l'heure où notre dernier voyage commence à dater et le prochain n'est malheureusement plus à l'ordre du jour, se replonger dans les aventures des grands explorateurs permet de voyager depuis son canapé. Aujourd'hui, on vous propose de partir sur les traces de Marco Polo, qui a passé une bonne partie de sa vie à arpenter la future route de la Soie pour rallier la Chine depuis sa ville natale de Venise en Italie. Il appartenait en effet à l'une de ces familles de commerçants aventuriers qui ont fait la gloire et la fortune de la Sérénissime à l'époque. Et qui a contribué à créer un lien entre Orient et Occident bientôt essentiel.

Le Devisement du Monde, une oeuvre majeure

En 1298, lors de la bataille de Curzola, les galères vénitiennes sont vaincues par la flotte génoise. Parmi les prisonniers se trouvait un certain Marco Polo, revenu d'Asie depuis seulement quatre ans. Le prisonnier est retenu jusqu'à l'année suivante dans les geôles génoises. Pour s'occuper, il dicte ses mémoires à un compagnon de captivité : Rusticien de Pise. Le récit qui en résulte est appelé Le Devisement du Monde. oeuvre majeure de Marco Polo, récit de plus d'un quart de siècle de voyage, c'est à la fois un conte foisonnant de personnages fantastiques et un roman d'aventure. On y parle de régions où les pierres précieuses se cueillent comme des fruits de mer, où les magiciens charment les requins pendant que les pêcheurs ramassent des perles... Le Devisement du Monde rencontrera à l'époque un énorme succès et fera de Marco Polo un personnage presque mythique.

La genèse d'un voyage hors norme

Les deux frères Maffeo Polo (1230-1309) et Nico Polo (1230-1294), le père et l'oncle de Marco (1254-1324), ont entrepris un premier voyage vers la Chine alors que le futur aventurier était encore enfant. On sait que, partis de Venise avec une cargaison de marchandises, ils rejoignirent Constantinople, passèrent à Soldaïa, en Crimée, chevauchèrent à travers les steppes contrôlées par Khubilaï Khan, séjournèrent trois ans à Boukhara en Ouzbékistan. Ils sont alors emmenés chez le grand khan lui-même, à Karakorum en Mongolie, qui leur offre la protection nécessaire pour leur voyage retour. Et les charge de communiquer au pape sa volonté d'accueillir une centaine d'érudits occidentaux dans son royaume pour se faire expliquer les mystères de la chrétienté. Les marchands se muent alors en ambassadeurs. Il leur faudra à nouveau trois ans pour rejoindre Saint-Jean-d'Acre, en 1269, où ils embarquent pour Venise quinze ans après leur départ. Ni le pape ni la chrétienté n'étant alors en état de répondre favorablement à cette requête, les deux Vénitiens organisent un nouveau voyage, emportant dans leurs valises des cadeaux et un message du pape. Nous sommes en 1271. Marco Polo a 16 ans, et il part avec eux. Ils sont aussi accompagnés par deux frères dominicains. Mais effrayés par les risques d'un tel périple, ces deux derniers ne tardent pas à faire demi-tour. Ce second voyage devait être fait en bateau, mais les guerres chinoises dans les mers du Sud les firent changer d'itinéraire et passer par l'Asie centrale.

En route vers l'Orient

C'est donc en tant que marchand et fils de marchands que Marco a quitté Venise pour l'Orient. Le tracé précis de la route suivie par les trois Polo demeure incertain. Dans son récit, Marco Polo évoque aussi bien les lieux qu'ils ont traversés ou bien où ils ont fait étape que ceux dont il a entendu parler, et sans jamais préciser vraiment s'ils y sont réellement passés ou non. On sait juste que le voyage allait durer près de quatre ans, qu'ils contournèrent la mer Caspienne par le sud, gagnèrent Samarkand en Ouzbékistan et franchirent la chaîne du Pamir au Tadjikistan jusqu'à Kashgar en Chine. Le Devisement du monde laisse supposer qu'ils auraient ensuite contourné le désert du Taklamakan par la voie du sud avant de repartir tout droit au nord-est, jusqu'à la Mongolie et Karakorum, la capitale du grand khan. Tous trois reviennent ensuite vers la Chine et puis rejoignent Ganzhou (Canton), à l'époque une étape importante sur la route des caravanes, où ils s'arrêtent un an. Le voyage reprend lorsque Kubilay Khan envoie une escorte pour guider les voyageurs jusqu'à sa résidence d'été, à Shangdu, au nord-est de Pékin : ils y parviennent en 1275. La réception des Vénitiens à Shangdu est fastueuse. Le khan interroge les trois hommes sur les moeurs et la science de l'Occident, il écoute attentivement leurs réponses, se fait raconter leur voyage et, surtout, se prend d'amitié pour Marco. C'est ainsi que, pendant que son oncle et son père font des affaires, le jeune homme va effectuer des missions pour le grand khan, chargé d'espionner les royaumes conquis par les Mongols, en particulier la Chine, et les hauts fonctionnaires qui le représentent sur place. Marco Polo restera ainsi dix-sept ans au service du khan, effectuant de nombreux voyages à Beijing (Pékin), Xi'an, dans le Tibet et au Yunnan, ou encore en Inde. Chaque fois, Marco Polo en rapporte de longues et précises descriptions, qui formeront les meilleures pages de son livre et permettront à l'Occident d'en apprendre, en une lecture, autant ou presque que dans un voyage de vingt-cinq ans.

Un retour par les mers

Le voyage de retour des Polo se fera par voie maritime. Là encore, Marco Polo décrit autant d'endroits où il a fait escale que de pays dont il a entendu parler au cours de ces escales. Néanmoins, il semble certain que le convoi de navires ait longé les côtes chinoises puis indonésiennes avant de traverser Sumatra puis le golfe du Bengale. Ils n'avaient plus ensuite qu'à longer les côtes occidentales de l'Inde, via Bombay, pour gagner Ormuz. Ils reprennent alors la voie terrestre, jusqu'à Tabriz, au nord de l'Iran actuel, avant de rejoindre Trabzon (Trébizonde), d'où ils embarquent de nouveau à destination de Constantinople, puis Venise, où ils arrivent en 1295. Le livre de Marco Polo sera achevé en 1299, inaugurant alors la légende du " grand voyageur ". Et, finalement, du premier auteur de guide de voyage !

Des mémoires qui inspireront aussi de façon décisive, cent cinquante ans plus tard, un Christophe Colomb qui part par la voie maritime occidentale à la recherche des terres fabuleuses qu'a décrites le Vénitien.