La cuisine kirghize, de nombreuses influences d’ailleurs

Comme dans la plupart des pays d’Asie centrale, la frontière entre entrée et plat principal est mince, au Kirghizistan les tables étant souvent généreusement garnies de toute sorte de plats : soupes, chaussons, riz, nouilles, ragoûts, grillades. On retrouve plusieurs types de pâtisseries salées comme les samsa dont le nom est évidemment une variation du mot indien samoussa. Ce sont des beignets triangulaires fourrés à la viande que l’on cuit dans des fours en terre. On en trouve partout dans les bazars d’Asie centrale, et ils sont parfaits sous forme d’en-cas pour les fringales impromptues. Au Kirghizistan, ils se déclinent au fromage ou aux légumes (chou, oignon, courge, pomme de terre), idéal si vous en avez assez de la viande.

Certains plats sont d’inspiration plus chinoise, ressemblant plus ou moins aux bouchées vapeur que l’on peut trouver de l’autre côté de la frontière. C’est notamment le cas des manti, très prisés également des Kirghizes. Ces raviolis vapeur (cuits dans des paniers appelés mantovarka) sont farcis à la viande de mouton et aux oignons. Ils peuvent être parfois très gras. Les pelmeni en sont une variante servie en soupe, héritée de la gastronomie russe. Dans différents endroits du Kirghizistan, on les savoure également frits avec une sauce épicée. À la différence des manti, les pelmeni sont en forme de demi-lune et non de bourse, et surtout ils sont cuits dans de l’eau frémissante et non pas à la vapeur. Dans les deux cas, ils sont souvent servis avec de la crème aigre et parfois avec du piment en poudre. Enfin, les oromo sont également de gros raviolis vapeur roulés en forme d’anneaux que l’on farcit de viande et de légumes. Ils sont ensuite coupés en rondelles.

Le plat national kirghize est le plov (en russe) ou paloo (en kirghize). Ce riz pilaf – cuit par absorption – peut être garni avec un nombre incalculable de légumes, fruits secs, viandes et herbes aromatiques. La version la plus commune au Kirghizistan est agrémentée de viande de mouton ou d’agneau et de carottes caramélisées. Mais il peut aussi être accompagné de pois chiches (plov noute), de raisins secs (plov baïram), de feuilles de vigne farcies (plov kovatok), de coing (plov chodibek) ou simplement d’ail (plov sarimsok piezli). On trouve du plov tous les jours pour le déjeuner dans les cantines des bazars, tandis que, dans les familles, il est cuisiné pour chaque grande occasion, comme un mariage et même pour la fin du ramadan. De grands plats sont apportés sur la table, et on mange à la main. Le beshbarmak pourrait être considéré comme le second plat national, il s’agit en fait du repas traditionnel des nomades kirghizes et kazakhs. Littéralement, on peut le traduire par « cinq doigts ». C’est un grand plat de viande de cheval (parfois remplacé par du bœuf ou du mouton) et d’oignons sur un lit de larges pâtes ressemblant un peu à des lasagnes. Comme son nom l’indique, ce plat se mange traditionnellement avec les doigts. Il est en général servi lors des banquets, pour les fêtes ou pour honorer un invité de marque.

Il existe également plusieurs spécialités de soupes, dont certaines – à base de nouilles – sont inspirées de la cuisine chinoise. La plus connue est le laghman. C’est l’un des plats les plus répandus dans la région, servis sur le pouce dans tous les bazars du pays. Il s’agit de nouilles, souvent servies dans un bouillon chaud agrémenté de légumes et de bouts de viande bouillie. Elles sont plus rarement sautées. L’ashlyam-fu, à l’inverse, est une soupe froide épicée généreusement garnie de nouilles, de viande et de légumes ciselés. Elle serait un remède naturel aux gueules de bois. Une autre soupe très populaire est la shorpa, faite de pommes de terre, carottes et mouton bouilli. La plupart des plats en sauce au Kirghizistan sont accompagnés de pain appelé lepeshka, qui possède une forme circulaire unique, plat au milieu avec un épais bourrelet sur le bord.

Une grande place pour la viande

Il existe en effet beaucoup de spécialités de viande au Kirghizistan. Le terme chachlik signifie « six morceaux », faisant référence à l’alternance de morceaux de viande et de gras. Au choix, on trouve de la viande de mouton – la plus courante –, de bœuf ou du poulet. Les chachliks peuvent également être à base de foie de mouton, ou de morceaux de gras issus de la queue du mouton, la partie la plus noble pour les connaisseurs, mais pas toujours digeste pour les estomacs occidentaux. Les chachliks sont cuits exclusivement par les hommes, ils sont toujours accompagnés d’oignons crus au vinaigre, et parfois d’une bonne quantité d’aneth. On peut également citer le kuurdak, à base de viande de mouton sautée avec beaucoup d’oignons. Assez proche, le jarkop est constitué de viande (mouton, bœuf ou volaille), sautée avec des pommes de terre, des tomates et de l’oignon. Ou encore le dimlama ou dymdama, ragoût fait avec diverses combinaisons de viande, de légumes et parfois même de fruits, mijoté lentement. Les légumes pour le dimlama peuvent comprendre, en plus des pommes de terre et des oignons, des carottes, du chou, des aubergines, des tomates, des poivrons, le tout parfumé d’ail, d’herbes aromatiques et de diverses épices. Le dimlama est généralement cuit au printemps et en été lorsqu’il y a un large choix de légumes. Il est servi dans une grande assiette et mangé avec une cuillère. Fruits et légumes sont produits en masse dans la vallée de Ferghana et inondent les bazars de tout le pays. Les crudités se limitent à la sempiternelle salade de concombres et tomates agrémentée d’une large dose de coriandre et d’oignons. Les fruits sont rares au Kirghizistan et sont la plupart du temps importés d’Ouzbékistan (pastèques, melons, abricots secs) ou du Xinjiang en Chine (raisins notamment).

Quelques curiosités culinaires

Mais la cuisine kirghize n’est pas sans quelques curiosités gastronomiques. On pourrait citer, par exemple, les kourout. Ces petites boules de fromage sec sont fabriquées à partir de lait caillé. Il en existe de différentes tailles. Le goût est assez fort et vous garantit une haleine corrosive pour quelques jours, mais les Kirghizes en raffolent et certains considèrent même que c’est leur plus belle invention (les Ouzbeks revendiquent eux aussi l’invention des kourout, mais il semblerait néanmoins que le caractère durable et facilement transportable de ce produit corresponde plus au style de vie nomade que sédentaire).

Si l’on vous offre, sans rire, un œil de mouton, ne le refusez pas. C’est un honneur et une marque de grande estime. Il sera découpé en petits bouts, mais l’on vous recommande de l’avaler tel quel, sans mâcher, et de laisser les sucs gastriques se débrouiller avec. Au Kirghizistan, c’est toujours l’aksakal, le vieillard le plus respecté de la famille, qui distribue les différentes parties du mouton aux convives en fonction des personnalités présentes autour du repas. Au moins intelligent de manger la cervelle, à celui qui a des problèmes de ventre, les intestins. L’œil donnerait un regard sur le monde et échoit en général aux distraits ou aux invités de marque !

On retrouve également le kurdyuk, qui désigne à la fois une race de mouton, mais également la masse de graisse qui entoure la queue de ces ovins bien particuliers. Cette bosse de graisse leur permet de subsister en cas de fortes sécheresses comme les bosses des dromadaires. Mais le kurdyuk est aussi un mets de choix et, si la graisse de queue de mouton est généralement utilisée comme matière grasse pour la cuisson, on la sert parfois crue en guise de hors-d’œuvre.

Les boissons locales

Parmi les boissons locales que l’on sert avec toutes ces spécialités on retrouve plusieurs breuvages fermentés issus directement du mode de vie nomade des premiers Kirghizes. Le kumiss est fabriquée au printemps et en été, et consommée tout au long de l’année. Il s’agit d’un alcool fait à base de lait de jument fermenté. Le kumiss est fabriqué en battant le lait versé dans une outre en peau de mouton, juste après la traite. Cette boisson est supposée avoir des vertus médicales. Elle est en tout cas redoutable pour la plupart des estomacs occidentaux. Le bozo est également très populaire. Ce sont cette fois-ci des grains de mil qui sont pilés et fermentés, ce qui confère un léger goût de bière à la boisson et un léger degré d’alcool. Tout comme le kumiss, elle est généralement fabriquée à la maison et circule dans des bouteilles de plastique récupérées à droite à gauche. Le bozo, très désaltérant, est particulièrement apprécié en été.

La bière russe comme la Baltika (3, 5, 7 ou 9 selon le degré d’alcool) est très appréciée au Kirghizistan. Mais le pays possède également ses propres marques dont la plus prisée est la Sibirskaïa. Une bière blonde très douce que l’on trouve en bouteille dans tous les supermarchés du pays et à la pression dans les bars de Bichkek ou de Karakol. La vodka, amenée par les Russes pendant toute la période coloniale, est restée solidement ancrée dans les mœurs des Kirghizes. Dans les banquets, les anniversaires, les mariages, elle coule à flots à coup de toasts enfiévrés. Au Kirghizistan, on peut encore la trouver sous forme de « dosettes », des verres de plastique fermés par un opercule d’aluminium. La qualité n’est pas souvent bonne et l’abus peut faire des ravages pour la santé. Achetez plutôt des marques russes.

L’art du thé et de la chaïkhana

Le thé est la boisson incontournable de tout repas et de toute manifestation d’hospitalité. Il est siroté à tout instant, mais reste entouré d’un cérémonial inébranlable. On prend toujours la théière et l’on offre les tasses de la main droite, parfois avec la main gauche sur le cœur. Avant d’être bu, le thé est versé à trois reprises dans une coupe ou une tasse, et reversé dans la théière. Les tasses ne sont jamais remplies à ras bord : ce serait un signe indiquant qu’il est temps pour l’invité de partir. Au Kirghizistan, on boit principalement du thé vert, même si certaines minorités comme les Russes et les Kazakhs préfèrent du thé noir, généralement accompagné d’un peu de lait.

Bien qu’il soit bu toute la journée, le thé sert aussi à déguster quelques desserts. On retrouve assez peu de douceurs au Kirghizistan. Souvent, on sirote sa boisson avec quelques fruits secs, notamment les abricots qui sont très appréciés dans le pays. On peut toutefois citer le çäkçäk, composé de petites brisures de pâte frite que l’on agglomère avec du caramel au miel avant de le couper en cubes. Plus simples, les boortsog sont des beignets de forme de losange que l’on sert avec de la confiture ou du miel.

Le thé au Kirghizistan est généralement bu dans des chaïkhana (de çay/thé prononcé « tchaï »). Ces lieux, inséparables de la culture du thé en Asie centrale, sont généralement associés aux bazars. Le mot chaïkhana signifie maison ou salon de thé. La cérémonie du thé occupe une grande place dans la vie quotidienne des peuples orientaux. On y consomme évidemment du thé, mais tout comme les cafés en Europe, le chaïkhana au Kirghizistan est aussi un lieu de détente et d’échanges sociaux. Dans ces lieux étonnants, richement décorés de tissus brodés, de coussins multicolores et de boiseries – pour les plus opulents – l’atmosphère paisible est entrecoupée par les discussions des clients et par le piaillement discret des cailles, ces oiseaux parfois utilisés pour des combats de volatiles, dont les cages sont souvent visibles sous les pergolas de vignes ou dans les vergers. Ces établissements possèdent souvent un petit jardin ou une cour plantée pour se mettre à l’ombre, en été, où les températures dans la région peuvent être féroces.

Pendant des siècles, alors que les journaux n’existaient pas encore, le chaïkhana est devenu le lieu où les hommes venaient pour obtenir les nouvelles du jour, se rencontrer, discuter de leurs projets, parler d’affaires, célébrer un événement et ainsi de suite. En effet, traditionnellement, dans les chaikhanas, seuls les hommes se rencontraient ; l’accès aux femmes étant strictement interdit. Les femmes avaient droit aux gap, où elles pouvaient se réunir autour d’une tasse de thé pour discuter comme bon leur semble.

La construction de chaïkhanas en Asie centrale a probablement commencé avec l’apparition du thé, des caravansérails et des bazars. Les récits des voyageurs traversant l’Asie centrale à la fin du XIXe siècle, marqués par l’engouement pour l’orientalisme, décrivent ces maisons de thé situées à chaque coin de rue, dans les caravansérails, au bord des routes reliant les villes et les villages, et bien sûr dans les bazars. On y retrouvait notamment des musiciens qui venaient se produire dans les établissements les plus prestigieux, jouant d’instruments traditionnels (rubab, dutar, chang).

Tout comme en Russie et dans le reste de l’Asie centrale, le samovar est au cœur du chaïkhana. Cette double bouilloire contient une cuve principale où l’on fait chauffer l’eau, couronnée d’une théière où le thé, concentré, infuse. Le client se sert alors du thé, qu’il dilue avec de l’eau à sa convenance avant de s’asseoir confortablement sur un topchan, une sorte de grand lit en bois, où l’on peut s’étendre, voire carrément s’allonger, pour siroter son thé, et même y manger. Il est normalement obligatoire d’enlever ses chaussures en entrant dans un chaïkhana. Le sol était traditionnellement en argile, recouvert de feutre et il n’est pas rare de s’asseoir à terre directement en tailleur sur d’épais matelas appelés kourpatcha qui entourent une large nappe que l’on surnomme dastarkhan au Kirghizistan, utilisée comme une table où l’on dispose une grande variété de mets salés et sucrés.