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Préhistoire et traditions

Les origines de l’Homme se découvrent sur les rives du lac Turkana, sur le site archéologique de Koobi Fora. Les nombreux objets présentés au musée du « berceau de l’humanité », là où vécut Lucy, retracent l’évolution de nos plus anciens ancêtres. Dans cet espace aride, des découvertes majeures ont bouleversé nos connaissances sur le quotidien des premiers représentants de l’espèce humaine. Le lac Turkana est un peu l’Eden des paléontologues. Le premier atelier de pierre taillée du monde a été mis au jour sur ces berges. Le site de Lokalalei a révélé pas moins de 2 000 vestiges remontant à 3 millions d’années. Parmi ces trouvailles, des couteaux qui seraient les plus anciens outils de pierre jamais découverts.

Pour admirer de l’art pariétal, il faut se rendre sur le site de Kwitone. Là, des peintures datées de 18 000 ans s’étalent sur une quarantaine de mètres. Entre les séries de spirales blanches et noires, des serpentins rougeoyants évoquent la course du soleil, du lever au coucher. Attribuées aux pygmées (Twa), ces œuvres restent pour les autochtones dotées de pouvoirs surnaturels. L’île kenyane de Mfangano, sur le lac Victoria, abrite d’autres créations de la tribu des Twa. Les 40 sites sacrés répartis sur l’île ont pour fonction première d’assurer le lien entre l’homme et le divin. Le langage pictural twa est dominé par les cercles concentriques et trois couleurs : noir, blanc et rouge.

A cheval sur le Kenya et la Tanzanie, le peuple Massaï perpétue la tradition de l’ornementation depuis plusieurs centaines d’années. L’histoire de l’art de la parure corporelle est encore méconnue. Il se manifeste par des objets qui symbolisent le statut social (masques rituels, bijoux, ceintures, etc.) ou directement sur la peau. Les scarifications soulignent la beauté d’un détail physique, comme les yeux. Cet art « direct » ou corporel fait appel à tous les matériaux disponibles dans l’environnement. Rappelons que ce que nous qualifions d’art africain regroupe des objets qui n’étaient à l’origine pas conçus comme des créations artistiques. Même si une volonté de produire une œuvre harmonieuse animait le sculpteur, les masques avaient avant tout une signification spirituelle, sociale ou politique. Leur fonction était d’entretenir l’équilibre et la survie de la société.

A l’extérieur du musée national de Nairobi, une sculpture en bronze représente l’évolution de l’espèce humaine en quatre étapes. A l’intérieur, le lieu rend compte de tous les peuples kényans et de leurs arts, présente des fossiles préhistoriques, la faune et la flore locales. Indispensable pour se familiariser avec le Kenya.

De l’art colonial à l’ère moderne

La rencontre avec les colons européens n’est pas sans conséquence sur la tradition picturale kényane. Au contact des Portugais, les portraits sculptés voient leurs traits se modifier. Le nez s’affine et une barbe est signifiée par des rangées de billes sur certaines sculptures. Les perles habituellement utilisées par les femmes pour agrémenter des éléments de la parure servent à présent de monnaie d’échange. Les sculpteurs ne signent toujours pas leurs œuvres, le collectif primant sur la notion d’individu.  Du côté de Mombasa, la culture swahilie née au IIe siècle s’enrichit au rythme des échanges, plus fréquents dans la ville portuaire. Cependant, les Swahilis ayant été islamisés très tôt n’ont pas recours aux images. Les motifs géométriques se répètent. L’héritage musulman se nuance toutefois d’éléments africains. On retrouve ce métissage au musée des ruines de Gedi de Mombasa qui accompagne le village du XIIe siècle.

Il faut attendre les années 1960 pour que les premières galeries d’art kényanes voient le jour, à la période de l’Indépendance (1963).

Sur la côte, la première galerie est la galerie d’art Diani Beach qui présente une collection extrêmement diversifiée d’art africain et kényan. Photographies, sculptures et peintures offrent un vaste panorama de la création actuelle. Particularité de Mombasa, son Sand Art Museum met à l’honneur une forme de sculpture naturelle, la sculpture sur sable. Avant de quitter la ville, offrez-vous des souvenirs uniques à la Coast Gallery of Arts. Située le long de la route Nyali Links, elle propose des peintures assorties de cadres artisanaux en matériaux bruts.

Emergence de la scène contemporaine

Nairobi s’impose depuis plusieurs décennies en tant que cœur battant de la création kényane. Devenue un point d’ancrage pour la population du continent qui fuit les conflits, la capitale a vu s’enrichir sa scène culturelle grâce à des artistes tels que le Soudanais Eltayeb Dawelbait, parti en quête d’un environnement plus favorable à l’expression de son talent. Les années 1960 ont vu éclore les premières galeries d’art kényanes dans le centre de la capitale, à proximité des hôtels et des lieux de vente. Parmi les pionnières, la galerie Paa Ya Paa Arts, réduite en cendres par un incendie en 1997 avant de renaître sous la forme d’un lieu d’échanges multidisciplinaires. A la même époque, la galerie Watatu devient sous la houlette de Ruth Shaffner la première à favoriser l’art contemporain au Kenya en défendant des scènes colorées réalisées par des autodidactes. Suivent des lieux tels que le Nairobi Museum, le Village Market ou encore la Maison française. Plus tard, le RaMoMa (Rahimtulla Museum of Modern Art) se démarque par son audace, manifeste dans sa collection d’art contemporain.

Un art collaboratif

Sur cette scène émergente, se regrouper permet aux artistes d’échanger et de s’initier à des techniques. Les deux associations les plus déterminantes sont la Ngecha Artists Association qui tient son nom du village de Ngecha, près de Nairobi. Dans un premier temps, la population entière se prête au jeu et expérimente toutes les disciplines artistiques, de la sculpture à la poterie. L’activité du lieu décline vers 2000, puis se déplace au Banana Hill Studio, dirigé par le peintre Shine Tani.  L’art figuratif garde la première place : joyeuses tranches de vie rurale et scènes au réalisme poignant montrent diverses facettes de la société kényane. Parmi les élèves issus de l’atelier, Joseph Cartoon, King Dodge ou encore Meek Gichugu exposent leur travail à l’étranger.

Plus récemment, l’association Kuona Trust, située dans le Musée de Nairobi, met l’accent sur la professionnalisation des plasticiens. Une trentaine d'artistes se forment ainsi sous la direction de Judy Ogana.

Chefs de file

Une peinture stéréotypée destinée à satisfaire les touristes règne sur le marché. Elle montre une Afrique idéalisée, des clichés sans âme. Plusieurs personnalités arrachent la peinture kényane à ce style commercial. Le précurseur de la peinture kényane est en réalité né en Ouganda (en 1940). Jak Katarikawe, surnommé le « Chagall d’Afrique de l’Est », débute sa carrière en autodidacte dans les années 1970. Son style empreint de tendresse fait appel aux tons pastel, aux formes estompées, aux vaches et aux poules. Ses motifs adoucis, de plus en plus brumeux le rapprochent clairement de l’abstraction au tournant du siècle. Katarikawé expose un peu partout dans le monde.

Seconde figure majeure de l’art contemporain, Sane Wadu naît au Kenya en 1954. Egalement poète et écrivain, il se démarque par son excentricité. Il peint à ses débuts à l’aquarelle sur du tissu ou des plaques de plastique, et représente la faune et la flore de son pays. Par la suite, il adopte l’huile sur toile pour peindre des paysages urbains qui deviennent progressivement plus abstraits dans les années 1990. Sane Wadu est à présent un artiste international.

Sur une scène artistique majoritairement masculine, quelques femmes poursuivent une belle carrière. La doyenne se nomme Rosemary Karuga. Formée à la School of Fine Art de Makerere College, elle remporte de nombreux prix et devient enseignante. Rosemary passe habilement de la peinture à l’huile au collage pour représenter le quotidien de son village ou des histoires d’animaux.

La seconde génération d’artistes est menée par le peintre et vidéaste Justus Kyalo. Né en 1972, il pratique plusieurs disciplines : la photographie, l’illustration, l’univers de la mode et de l’édition s’entrecroisent dans sa démarche. Citons ses grandes fresques en hommage à la femme, ses esquisses de danseurs saisis sur le vif, ses œuvres abstraites, presque monochromes peintes sur des plaques de métal. A Nairobi, il expose à la galerie Mam ainsi qu’à Circle Art Gallery, qui se veut le premier lieu d’exposition de toute cette partie du continent. Il est vrai qu’elle organise depuis 2013 la grande vente annuelle d'art d'Afrique de l'Est. Au fil du temps, l’événement a permis à la capitale kenyane de se hisser au rang de villes aussi renommées que Le Cap ou Lagos dans le paysage culturel.

De nos jours

L’énergie qui fait vibrer Nairobi reste quelque peu chaotique. Mais certains des jeunes talents locaux puisent leur inspiration dans ce désordre.

Wisetwo, pionnier de l'art de rue en Afrique centrale et orientale, a largement dépassé les frontières du pays. Exposé pour la première fois en France, il parcourt le monde, mêlant dans ses œuvres colorées la culture africaine, les rythmes, les codes, la symbologie, les objets mystiques et les rituels du continent. Le graffiti connaît de beaux jours dans les rues de la capitale. Ici, les artistes se mettent au service de la communauté depuis les années 1970. Ils sont considérés comme un modèle pour les plus jeunes. Des associations comme TICAH multiplient les initiatives collectives pour valoriser le paysage urbain. Daddo peint un peu partout lui aussi, mais de préférence avec d’autres graffeurs, tels que Ibra et en collaboration avec le Sanaa Center qui défend l’accès aux soins médicaux pour tous.

Sur la scène bouillonnante de Nairobi, les artistes de toutes les disciplines se retrouvent au GoDown Arts Centre et au Kuona Trust Art Centre de Nairobi. Espaces d’exposition et ateliers, ce sont des lieux de rencontre majeurs pour la relève artistique.