Les rythmes hypnotiques du rebétiko

Impossible de se rendre en Grèce sans se délecter du rebétiko, courant populaire datant de la première moitié du XXe siècle, puisé dans la culture ottomane et ramené par les Grecs chassés de Turquie après la guerre gréco-turque en 1922. Le rebétiko porte les couleurs de divers instruments traditionnels à cordes comme le bouzouki et le baglama (tous deux dérivés du luth), mais aussi le kanonaki et le qanûn (plutôt proches de la cithare). Ce style musical, accompagné la plupart du temps par de la danse, évoque, dans son chant, différents sujets comme les bas-fonds, la drogue, l’amour et est souvent associé à une attitude anarchiste. Parmi les grands noms du genre, les Grecs citent volontiers Vassilis Tsitsanis, virtuose du bouzouki, mais aussi Roza Eskenazi, chanteuse, surnommée la « reine du rebétiko », ayant grandi à Constantinople.

Sur le continent, le rebétiko a donné naissance au laïko, plus tard, dans les années 1950, en mélangeant cette esthétique traditionnelle et folklorique à des mouvements musicaux plus modernes tels que le rock ou la pop.

Des îles bercées par le nissiotiko et le rebétiko

Sur les îles de la mer Égée (Cyclades, Sporades, Dodécanèse, golfe Saronique), c’est le nissiotiko qui fait sa place : les grands compositeurs de rebétiko ont introduit des chants traditionnels dans les îles vers la fin des années 1970. Chaque île possède ainsi son propre style de musique et ses propres danses, faisant directement à l’histoire même de l’île. Le nissiotikó traghoudhi désigne ainsi le « chant insulaire » en grec et les sonorités font appel au violon et au laouto. Quant au rythme, il se définit en cohérence à la position géographique de l’île : si les îles ioniennes sont sous l’influence de l’Italie, les Cyclades et les îles du Dodécanèse ressemblent davantage à la Crète. De même que la musique jouée sur l’île de Lesbos prend racine en Asie Mineure et met en avant le santuri, instrument à cordes frappées proche de la cithare.

Il est possible de remarquer la présence de la cornemuse également ; il s’agit de la cornemuse tsampouna et elle se distingue de la cornemuse gaida qu’on trouve sur le continent. Des musiciens traditionnels grecs s’imposent dans le nissiotiko, bien que toujours liés par nature au rebétiko, comme Nikos Manias et Periklís Papapetrópoulos.

Originaire de l’île de Chios, Míkis Theodorákis a aussi contribué à faire rayonner la tradition musicale grecque à travers le monde en composant les musiques des films Electre, Serpico mais surtout Zorba le Grec, film devenu culte, sorti en 1964, qui retrace la rencontre entre Basil, un jeune écrivain britannique, et Zorba, un Grec extraverti qui fait découvrir la Crète à Basil. Bon nombre de facettes de la culture grecque, notamment issue des îles, sont alors sous le feu des projecteurs grâce à ce long-métrage.

La musique traditionnelle grecque s’entend partout dans les rues de l’île de Syros, notamment grâce à la présence de l’école de musique de Markos Vamvarakis, considéré comme « le père du rebétiko », grand joueur de bouzouki, ayant grandi à Syros.

Pour assister à des concerts de nissiotiko ou rebétiko, rien de plus simple dans les îles : il suffit d’y aller à l’occasion des grandes festivités des villages, souvent liées à la vie religieuse des églises. Celles-ci fêtent leurs saints patrons, dont le plus connu est notamment saint Jean. À chaque fête, le visiteur est certain de profiter d’un peu de rebétiko et de danses traditionnelles. Des célébrations authentiques à vivre à la manière d’un local !

Des influences occidentales dans les îles Ioniennes

Alors que les îles de la mer Égée sont bercées par des rythmes et sonorités venus d’Orient, les îles Ioniennes s’imprègnent plus d’influences européennes. Les kantadhes sont des mélodies romantiques accompagnées par la guitare et la mandoline. L’île de Zante en est un bon exemple : il est possible d’assister à des concerts de kantadhes quasiment tous les soirs de la semaine. La musique classique grecque prend également sa source dans les îles Ioniennes, avec la création des premières écoles de musique. Quelques artistes et compositeurs en sont originaires, comme Nikolaos Mantzaros, Dionysios Lavrangas et Nikos Hatziapostolou.

La musique classique et plus précisément symphonique a une place importante dans la vie des habitants de l’île de Corfou. De nombreuses sociétés philharmoniques maillent l’île, dont Palaia, première à avoir émergé à Corfou en 1840 et sans doute la plus ancienne de Grèce. Le morceau Amleto, signé de cette société philharmonique, est devenu culte pour les grecs et séduit chaque visiteur qui se rend à Corfou. Il est interprété notamment à chaque Samedi saint ou durant chaque fête célébrant le saint patron de l’île, saint Spiridon.

Une scène jazz peu développée

La Grèce, portée par ses traditions musicales folkloriques, n’a pas brillé par sa scène jazz au cours du XXe siècle. Les diverses crises politiques n’ont pas facilité sa mise en place. Il a fallu attendre la fin des années 1970 pour voir émerger des clubs de jazz, d’abord à Athènes, puis dans les îles. Des musiciens ont toutefois marqué cette scène grecque jazz, comme Kyriakos Sfetsas, qui vient de l’île de Lefkada, dans les Îles Ioniennes, et qui forma le Greek Fusion Orchestra en 1976. Après s’être fait la main dans les fêtes locales traditionnelles, il intégra le conservatoire et étudia la musique classique. Depuis, Kyriakos Sfetsas représente cet élan grec moderne artistique avec un jazz fusion authentique et reconnu au-delà des frontières du pays.

Musiques électroniques

Depuis quelques années, les îles grecques sont aussi le lieu de villégiature des amateurs de musique électronique. Ceux-là convergent vers Mykonos, au cœur des Cyclades. L’île revendique depuis l’Antiquité le culte à Dionysos, dieu du vin et du plaisir. Ce goût prononcé pour la fête, mais aussi la gastronomie, colle à présent à l’identité de ce petit territoire de moins de 90 kilomètres carrés.

La musique électronique prend son essor, à Mykonos, avec l’arrivée de la communauté LGBTQ+ qui, rapidement, impulse une offre festive et nocturne. La culture bohème associée s’installe dès les années 1960 et laisse ensuite place à une fréquentation plus haut de gamme. Certains DJ et producteurs de musique grecs ont grandi avec ce mouvement culturel et sont devenus naturellement DJ résidents dans les clubs les plus reconnus de l’île. C’est le cas de l’artiste DJ GSP, qui se produit à présent dans le monde entier, ou encore de l’artiste Valeron, natif de Mykonos, qui a officié au Scorpios, restaurant d’ambiance de bord de plage comme il y en a des dizaines sur cette île des Cyclades.

Les fêtards, friands de musique électronique, ne manqueront pas d’aller, au cours de leur séjour, au Cavo Paradiso, l’un des lieux les plus emblématiques de Mykonos, surplombant la célèbre plage Paradise Beach. Ce club a été construit au début des années 1990 à l’initiative de l’entrepreneur Nikos Daktylides, qui a acquis une cabane de fermier et a décidé de la réhabiliter. Intégrant parfaitement l’environnement naturel des alentours, la discothèque est notamment reconnue pour la présence de sa piscine, en forme de l’île de Mykonos, capturée par des milliers de visiteurs chaque année, celle-ci donnant un point de vue exceptionnel sur la mer, sur l’île de Délos en face et sur les impressionnants feux d’artifice souvent tirés à l’occasion de fêtes estivales. Côté musique, on peut y écouter de la house, de la deep house, de la techno, de la trance, de l'EDM, de l’electro et même du reggaeton.

Parmi les autres temples intemporels de la musique électronique à Mykonos, les amateurs citent notamment le Nammos, le Paradise Beach club ou encore le Jackie O’ Beach Bar, en référence à Jackie Kennedy-Onassis, première dame des États-Unis, qui a marqué l’histoire de Mykonos lors de sa première visite sur l’île en 1961. Le coup de foudre de l’icône féminine pour l’île grecque est immédiat.

Danses traditionnelles

La danse fait partie de l’ADN des Grecs, encore plus des insulaires qui cultivent les traditions rituelles et folkloriques, transmises depuis plusieurs générations. Cette pratique artistique permet d’affirmer son identité culturelle, mais aussi son rapport à la vie, à la mort, aux différentes coutumes, à la famille et à la communauté.

En Grèce, on ne compte pas moins de 4 000 styles de danses ! Parmi les plus renommées, on cite le sirtaki, qui s’est fait connaître à travers le film Zorba le Grec, de Michael Cacoyannis, aussi connu pour avoir également rendu célèbre la musique rebétiko. C’est l’artiste Jean Vassilis qui en propose pour la première fois une chorégraphie complète et élaborée en 1964, reprise ensuite dans toute la Grèce. Le terme sirtaki provient du mot grec syrtos qui désigne, lui, toutes les danses à pas lents venues de Grèce. À Rhodes, à Corfou et dans d’autres îles du pays, le sirtaki est aujourd’hui encore une référence. Il se danse en ligne ou en cercle selon certaines variantes. Les danseurs posent leurs mains sur les épaules du danseur d’à côté, et tous regardent vers l’avant, dans le même sens. Grand ambassadeur des danses grecques en général, l’artiste multi-talents Sakis Rouvas, dont le titre Shake it a traversé la planète, vient de l’île de Corfou.

Dans les îles grecques, les danses en cercle sont toutefois plus répandues. Les syrtos ne sont pas les seules à s’imposer, on trouve aussi le sousta (avec des pas sautillants sur la pointe des pieds), largement pratiqué dans les Cyclades, mais également le ballos (danse en couple avec des tours successifs) qui se danse surtout sur l’île de Kythnos. Chaque île entretient sa propre identité culturelle en revendiquant son style de danse traditionnelle et locale : à Ikaria, on trouve le ikariotiko ; à Chios, le chiotikos ; à Leros, le balaristos ; à Eubée, le kavodoritikos, etc.

Également répandu dans les fêtes grecques, le zeïbékiko se danse seul, autrefois pratiqué uniquement par des hommes et dorénavant mixte, et donne l’impression que le danseur est en permanence en train de tomber. Cette danse a été notamment illustrée par Nikos Kourkoulos dans le film Nus dans la rue, sorti en 1969. Selon la tradition, le public jetait historiquement des assiettes ou des verres devant les pieds du danseur…

Plus sensuelle, la danse du tsiftétéli est à l’origine féminine, à présent exécutée par les hommes et les femmes. Elle ressemble à la danse du ventre et est arrivée en Grèce par le biais de réfugiés venus d’Asie Mineure. Également héritée de l’Orient, le hassapiko, surnommée la « danse du boucher », est une danse complexe qui requiert une grande concentration de la part des danseurs !

Pour assister à ces danses populaires et traditionnelles, il suffit de se rendre aux fêtes locales, organisées sur chaque île, appelées les panygiri. Les bouzoukia, boîtes de nuit grecques, sont des lieux de performance réputés et proposent aussi de la musique et de la danse traditionnelle.

Un théâtre millénaire

Aux VIe et Ve siècles avant J.-C., les Grecs célébraient leurs dieux grâce à des formes théâtrales. Le culte à Dionysos, dieu du vin, des arts et de la fête, était le plus répandu. Ces spectacles ont lieu autour des temples, ils prennent place progressivement dans des lieux dédiés à cette forme oratoire publique. Acoustique, gradins, orchestra (cœur de l’arène) : rien n’est laissé au hasard. Le terme « théâtre » vient d’ailleurs du grec theatron qui signifie « regarder, contempler ».

Le théâtre devient un art populaire, interpelant toutes les classes de la société. De nombreux auteurs se lancent dans l’écriture de pièces : Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane. C’est d’abord la tragédie, œuvre poétique et dramatique écrite en vers, qui s’impose, puis arrivent les drames satyriques et la comédie. Pour les Grecs, les représentations de théâtre étaient perçues comme un concours dont l’enjeu était d’offrir la meilleure performance possible au dieu. La cérémonie, publique mais toujours en lien avec la religion, était présidée par le prêtre du dieu concerné par les festivités. Tout le monde pouvait accéder au spectacle après quelques ablutions.

Si les premières formes de théâtre ont, semble-t-il, émergé sur l’île de Crète, c’est à Athènes qu’il se développe tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le théâtre grec contemporain fait encore parler de lui, celui-ci étant représenté par des dramaturges comme Dimítris Dimitriádis, Níkos Kazantzákis (auteur de l’ouvrage ayant inspiré le film Zorba le Grec), Lèna Kitsopoùlou,  Yánnis Mavritsákis, Yòrgos Dialegmènos, Loùla Anagnostàki…

Sur les îles, l’héritage théâtral est plus timide : les grands festivals et les programmations régulières rythment la vie de lieux culturels de renom du continent (Théâtre national de Thessalonique, le festival d’Athènes ou encore le festival d’Épidaure). On remarque toutefois une activité théâtrale sur l’île de Milos, dans les Cyclades, où un théâtre antique a été retrouvé, adossé au front de mer. C’est à deux pas que la Vénus de Milo a été découverte ! Des représentations théâtrales et des fêtes locales ont réinvesti les arènes de l’Antiquité pour quelques occasions dans l’année. C’est le cas également à Thasos, au large de la Thrace, qui accueille des troupes de théâtre de temps à autre au sein de son Théâtre ancien.

Dans les Cyclades, sur l’île de Syros, le Théâtre Apollon, surnommé « La Piccola Scala », est un élément central de la vie culturelle de l’archipel. C’est le premier lieu à proposer une programmation de cinéma en Grèce en 1900 ! L’édifice, ouvert en 1864, a été construit par un architecte italien, inspiré par les plans de l’opéra de Milan. Il a fermé pour rénovation pendant de nombreuses années avant de rouvrir en 2000 et de lancer à nouveau une riche programmation pour les habitants et les touristes.

À Cythère, au sud du Péloponnèse, le Centre culturel Zeidoros est aussi un haut lieu de culture et l’endroit rêvé pour aller voir des pièces de théâtre dans un amphithéâtre.