MONASTERE ET CHAPELLES TROGLODYTES DE GEGHARD

Après le temple de Garni, qui nous renvoie aux temps plus anciens du paganisme arménien, l’architecture chrétienne arménienne est représentée magistralement une dizaine de kilomètres plus à l’est, au monastère de Géghard et dans ses prolongements rupestres. En quittant le site majestueux de Garni, et sa vue panoramique sur la chaîne des monts Kégham, on pénètre dans l’univers plus intimiste de la vallée d’un affluent de l’Azad, qui se resserre pour former une gorge aux hautes parois rocheuses. Tapi au fond d’une vallée verdoyante, à 1 600 m d’altitude, protégé par des remparts de grosses pierres qui paraissent pourtant bien dérisoires par rapport aux rochers en surplomb, le monastère de Sourp Géghard (Sainte-Lance) est un haut lieu de l’art et de la spiritualité arméniens. La sérénité n’y est guère troublée que par le murmure de la petite cascade qui dévale des montagnes sous ces remparts, mais aussi par les nombreux marchands ambulants qui vendent des produits du terroir ou menus objets du temple aux touristes, ainsi que des agneaux et autres poulets aux pèlerins qui viennent nombreux accomplir leurs sacrifices rituels (madagh) au pied du monastère et le long du torrent. Cette intense activité désigne aussi Geghard comme un lieu de pèlerinage et de promenade pour les habitants d’Erevan, qui laissent sur leur passage les rubans votifs multicolores, et de tous matériaux accrochés aux arbres tout le long de la rivière. L’aspect actuel du monastère remonte au XIII^e siècle pour l’essentiel. Il est pourtant attesté depuis le haut Moyen Age sous le nom d’ « Ayrivank », monastère de la caverne, ce qui laisse supposer que, dès sa création, des chapelles troglodytiques avaient été creusées dans la paroi rocheuse à laquelle est adossé cet ensemble monastique sans pareil en Arménie. Le nom de Géghard (ou Kéghart selon la prononciation) sous lequel il est plus connu provient de la relique du fer de la lance romaine qui aurait percé le flanc du Christ, et qui y était conservée avant d’être exposée à Etchmiadzin. Le monastère fut fondé sous le règne des princes zakarides, vassaux de la Géorgie sous l'autorité desquels cette région de l'Arménie retrouva son indépendance au XIIe siècle, dont il était la propriété ; c’est à leur initiative que furent construits les édifices extérieurs, à savoir l’église et son narthex.

Une dentelle de pierres. Racheté en 1240 par les princes Proch Khalbakian – une noblesse locale connue sous le nom de Prochian –, le monastère commença une deuxième vie, plus souterraine peut-être, mais non moins lumineuse : c’est de cette époque que datent en effet les églises rupestres qui feront son originalité et sa renommée. Une église (1240), des cellules monacales (1260) adossées à l'église principale de la Mère-de-Dieu (Sourp Asdvadzadzine), une chapelle funéraire doublée d’un vestibule (1283) et enfin un mausolée (1288), la partie cachée du monastère, creusée en une enfilade de vestibules dans la roche de la montagne, constituent un véritable musée lapidaire, qui s’enrichit aussi de nombreuses croix sculptées dans les parois de la montagne à laquelle s'adosse le monastère et autres khatchkar datant de la même époque dispersés sur le site. Les restaurations aux XVII^e et XVIII^e siècles n’ont pas dénaturé l’ensemble ; quant aux bâtiments conventuels adossés au rempart sud, avec leur petit balcon en bois, ils ajoutent une petite note rustique.

L’église extérieure, la cathédrale Sourp Asdvadzadzine, due aux frères Zakaré et Ivané en 1215, obéit au plan traditionnel des églises arméniennes. De dimension modeste, elle est coiffée d’un tambour cylindrique au toit pointu et parcouru de fines arcatures enrichies de figures animales et humaines. Le décor sculpté en est d’ailleurs particulièrement intéressant, sur le tympan du portail sud, avec des bas-reliefs représentant des grenadiers et ceps de vigne, et au-dessus de la fenêtre, avec un haut-relief représentant un lion combattant un buffle, ou encore des frises festonnées soulignant les niches. Vaste salle rectangulaire accolée à l’église, le narthex, ou jamatoun (1225), est particulièrement intéressant par son décor intérieur, qui porte l’influence évidente de l’Orient ; organisé autour de quatre puissants piliers, l’espace intérieur, où les stalactites ou muqaba, taillées dans la coupole comme à l'Alhambra de Grenade, jouent sur les contrastes de l’ombre et de la lumière, est littéralement éblouissant.

Pièces rupestres. C’est par deux portes taillées dans la paroi nord que l’on accède aux pièces rupestres du premier niveau. La petite église creusée dans le roc reproduit le plan des jamatoun, avec quatre arcs croisés sur appuis engagés dans le mur, articulés autour d’une coupole centrale à stalactites, au bas de laquelle l’architecte Galdzak a gravé son nom ; au fond, on voit la source aux vertus peut-être miraculeuses qui aurait pu être à l’origine de la fondation du monastère. L’extrémité nord-est du jamatoun donne accès à une petite salle carrée, richement sculptée, qui est le mausolée du prince Prochian, séparée d’une autre pièce par une colonne centrale délimitant deux arcs ; au-dessus, on remarque un bas-relief représentant une tête de bœuf tenant en laisse deux lions à queue de dragon, entre lesquels se dessine un aigle tenant un agneau dans ses serres, soit les armoiries des princes Prochian.