Puissance médiévale

Les fouilles archéologiques sur la colline du Wawel ont révélé la présence de très beaux vestiges préromans, dont trois rotondes, édifices de plans circulaires aux absides symétriquement disposées. La rotonde de Saint-Félix-et-Saint-Audacte est une des plus vieilles de Pologne. Les vestiges d’un palais princier, d’un cellarium (entrepôt destiné au stockage) et de basiliques du haut Moyen Âge furent également retrouvés. Sous le château royal du Wawel se cache le plus ancien bâtiment roman de la ville, dont on peut apercevoir les étonnantes fondations baptisées « salle aux vingt-quatre piliers ». Les vestiges de l’église Saint-Géréon révèlent, eux, des proportions grandioses et une structure à trois nefs avec transept. Saccagée par les Tatars, la ville est reconstruite selon un plan en damier. De grandes artères mènent au point central de la ville, la place du marché, le Rynek. Avec ses 4 ha, ce carré parfait de 200 m de côté est la plus grande place médiévale d’Europe. La ville protège alors ses trésors par de puissantes fortifications édifiées entre les XIIIe et XVe siècles. À l’origine, son mur défensif mesurait près de 3 km et se composait de quarante-six tours et sept grandes portes dont la plus célèbre est la Brama Florianska, la porte Florian. Mais c’est sans doute la puissante Barbacane qui illustre le mieux cet art des fortifications avec ses murs en briques de terre de près de 3 m d’épaisseur. De l’hôtel de ville originel subsiste au centre de la grande place un beffroi isolé à la silhouette de brique toute gothique. Les belles maisons de guildes et marchands impressionnent avec leurs façades à pignons, leur décor de briques et de pierre et leurs étonnantes caves voûtées. N’oublions pas l’Université jagellonne dont l’historique Collegium Maius conserve de superbes voûtes et fresques gothiques.

Durant le Moyen Âge, Cracovie se dote également d’un grand nombre d’églises, couvents et monastères dont la basilique Notre-Dame-Sainte-Marie est le chef-d’œuvre. Voyez ses deux puissantes tours et surtout son joyau : le plus grand retable en bois sculpté de la fin du gothique. La colline du Wawel et le très populaire quartier de Kazimierz portent, eux, l’empreinte du puissant roi bâtisseur Casimir le Grand, dont un célèbre adage polonais dit qu’il trouva la Pologne en bois et la laissa en briques. C’est lui qui fit construire une puissante forteresse gothique sur la colline du Wawel. Dans la cathédrale, son sarcophage en marbre rouge est un chef-d’œuvre de la sculpture gothique. Kazimierz, alors protégée de tours, donjons et fortifications, était séparée en deux quartiers distincts, l’un juif et l’autre chrétien. Tous deux conservent le charme pittoresque de cet urbanisme médiéval. Aux alentours de Cracovie, la route des Nids d’aigle laisse deviner la puissance du système défensif mis en place par Casimir le Grand. Ne manquez pas les impressionnantes ruines du château d’Ogrodzienec avec ses remparts crénelés et celles du château d’Olsztyn avec ses solides murailles et son donjon octogonal haut de 35 m. Le village de Kazimierz Dolny avec sa belle place du marché et son château à la blanche tour Baszta, la ville de Sandomierz avec son église Saint-Jacques, l’une des plus anciennes églises de briques du pays, et Lublin avec son château et la somptueuse chapelle de la Sainte-Trinité aux fresques d’inspiration byzantines et voûtes en palmier sont d’autres trésors médiévaux à découvrir autour de Cracovie.

L’âge d’or

La Renaissance voit réapparaître la pierre utilisée par des artistes et artisans italiens venus exercer leurs talents à Cracovie à la demande de l’épouse du roi Sigismond Ier, membre des Sforza, célèbre et puissante famille milanaise. Francesco de Florence et Bartolomeo Berrecci dirigent ainsi les travaux du château du Wawel qui se transforme de forteresse en palais. Depuis sa nouvelle cour d’honneur bordée de galeries à arcades, le château déploie ses élégantes proportions, ses plafonds de bois sculptés et ses beaux encadrements de pierre. Les riches familles de la ville se font construire à leur tour de somptueuses demeures organisées autour de cours à arcades surplombées de loggias aux colonnes ouvragées et auxquelles on accède par des porches stylisés et souvent monumentaux. Au cœur même de ces palais urbains, les escaliers se font les nouveaux terrains de jeu des architectes : en spirale ou à double révolution, ils deviennent un symbole de pouvoir. Les palais Montelupich, Potocki et Krzysztofory en sont de très beaux exemples. La belle halle aux draps du Rynek se transforme également à grands renforts de loggias, attiques et mascarons, célèbres visages ou masques de fantaisie, traduisant un art consommé de la mise en scène.

Très fortement marqués par le gothique, les édifices religieux sont moins touchés par cette vague Renaissance… ce qui rend la chapelle de Sigismond encore plus spectaculaire. Cette œuvre de Bartolomeo Berrecci, surnommée « la perle du nord des Alpes », est une ode à la Renaissance toscane… teintée cependant d’influences locales comme en témoigne l’emploi du marbre rouge pour l’édification des cénotaphes royaux. Appuyé par les Jésuites, désireux de faire triompher la contre-Réforme, le baroque succède à la Renaissance dans une effervescence décorative où dorures et stucs se font les acteurs d’une mise en scène du pouvoir spirituel. L’église Saints-Pierre-et-Paul, bâtie sur le modèle de l’église du Gesù à Rome, est l’œuvre de Giovanni Trevano. Voyez son élégant dôme, ses belles ornementations en façade et ses superbes décors signés Baldassare Fontana, stucateur de génie. Si les plus anciennes ont été construites au Moyen Âge, beaucoup de synagogues du quartier de Kazimierz ont été élégamment transformées durant les périodes Renaissance et baroque. Portes polychromes et fresques murales mêlant canons européens et traditions populaires rehaussent ces édifices, souvent bordés d’un cimetière où s’épanouit un art sépulcral d’une grande richesse entre travail de stylisation de la pierre et trésors de calligraphie hébraïque. Les synagogues Stara et Remu’h comptent parmi les plus belles. Cet âge d’or architectural triomphe également aux alentours de Cracovie. Parmi les lieux à ne surtout pas manquer : la ville de Zamość, surnommée « la Padoue du Nord ». Il s’agit là d’un exemple étonnant de ville privée créée ex nihilo. À la demande du chancelier Jan Zamoyski, l’architecte Bernardo Morando s’appuie sur les idéaux de la Renaissance pour imaginer une cité idéale associant les fonctions de palais résidentiel, d’ensemble urbain et de forteresse. Ce plan clair et fonctionnel s’accompagne également de belles recherches formelles et décoratives entre arcades, nefs voûtées et stylisées et décors tout en stucs et en polychromies. Autre chef-d’œuvre de l’époque : Kalwaria Zebrydowska, premier des grands calvaires construits en Pologne, imaginé par Felix Zebrowski, mathématicien, astronome et géomètre, qui créa un système de mesure unique pour transposer dans cette nature à la topographie accidentée une nouvelle Jérusalem. L’Unesco souligne comment ce parc de pèlerinage « associe la Renaissance italienne et le baroque français à la liberté et à l’irrégularité du style maniériste », style qui se traduit notamment par une superposition des ordres architecturaux et une exacerbation de l’ornementation. Chemins et allées y desservent églises et couvents dont la très belle basilique au somptueux chevet tout entier marqueté.

Vent de renouveau

Au XIXe siècle, les Autrichiens transforment le château du Wawel en une caserne et décident du démantèlement des fortifications originelles de la ville. Un sénateur cracovien parvient tout de même à sauver un tronçon des remparts, tandis qu’en 1821, une grande loterie populaire est organisée pour financer l’achat de plantes et d’arbres pour les transformer en parcs urbains. C’est la naissance du Planty Park, la ceinture verte de la ville. En parallèle, les Cracoviens se rassemblent pour construire pierre par pierre le tertre de Kościuszko, en l’hommage au grand héros national Tadeus Kościuszko. Entre 1850 et 1854, les Autrichiens se serviront de la butte comme belvédère stratégique et y créeront une véritable citadelle ceinte d’un mur de brique. En compensation des destructions qu’ils causèrent, ils acceptèrent la construction de la chapelle de la Bienheureuse-Bronisława, étonnant édifice de brique rouge néogothique tout en tourelles et créneaux.

En ce début de XIXe siècle, les styles néo sont très à la mode. Le Rynek est ainsi bordé de très belles demeures néoclassiques aux lignes empruntant aux canons d’une Antiquité idéalisée. L’édifice néo le plus étonnant de Cracovie est sans conteste le Théâtre Juliusz-Slowacki, reproduction de l’Opéra Garnier mêlant Renaissance, baroque et classicisme… mais également premier édifice conçu pour recevoir de l’électricité. La modernité est en marche ! Ce renouveau sera porté par le mouvement Jeune Pologne qui « revisite l’histoire nationale et les arts populaires à l’aune de la modernité » et redynamise les arts décoratifs dans des œuvres d’art totales. Le chef de file de ce mouvement est Stanisław Wyspiański. Originaire de Cracovie, cet artiste de génie est célèbre pour ses polychromies et ses vitraux figurant scènes religieuses et motifs floraux. On lui doit notamment les polychromies de la basilique Sainte-Marie et les vitraux de l’église des Franciscains. Parmi les autres figures clés de ce mouvement : Stanisław Witkiewicz, célèbre pour son style mêlant architecture de bois traditionnelle et nouveauté formelle Art nouveau et que l’on baptisera « style Zakopane ». Station touristique en vue, Zakopane attire en nombre les visiteurs. Witkiewicz souhaite alors leur proposer une alternative à la mode des chalets suisses et autrichiens, en s’inspirant des cabanes en bois des Tatras. La villa Koliba en est le plus beau manifeste avec ses lambrequins et ses frises sculptées. Bâtie sur des fondations en pierre, pour une meilleure isolation, la maison offre des espaces plus dégagés permettant d’accueillir de beaux décors traditionnels. Parmi les motifs très employés : le blason polonais bien sûr, mais aussi la ciupaga, la hache traditionnelle des montagnards. L’ancienne école industrielle de Cracovie, avec ses motifs solaires et végétaux, est une belle transcription en brique du style Zakopane. Un style qui a également puisé ses inspirations dans la riche architecture de bois des églises de Petite-Pologne et des tserkva, les églises orthodoxes en bois des Carpates, toutes utilisant la technique des rondins de bois disposés de façon horizontale. Parmi les autres grandes réalisations estampillées Jeune Pologne à Cracovie : la maison Czynciel sur le Rynek avec ses ornements en stuc et la Société de médecine de Cracovie avec les vitraux bleu et jaune de Wyspiański et sa rampe d’escalier en métal découpé reprenant le motif de la feuille de châtaignier issu du folklore polonais que l’on retrouve en façade de nombreux édifices. C’est à Tadeusz Stryjeński que l’on doit la nouvelle façade du Théâtre Stary pour laquelle il utilise pour la première fois le béton armé. Frises ondoyantes et couleurs rouge et or habillent cette façade qui mêle stylisation Art nouveau et géométrie Art déco, tout comme le palais des Beaux-Arts opérait une transition entre décor Art nouveau et lignes plus rigoureuses inspirées de la Sécession viennoise. Enfin, ce tour d’horizon ne serait pas complet sans l’évocation des mines de sel de Wieliczka et Bochnia formant les salines de Cracovie. Si ces dernières existent depuis le Moyen Âge, c’est au tournant du XXe siècle qu’elles ont accueilli la plus incroyable des structures souterraines : la chapelle dédiée à la reine Kinga aux dimensions impressionnantes… 54 m de long et 12 m de haut ! Autels et statues y ont été sculptés dans les cristaux de gemme par les ouvriers de la mine. Au total, ce sont près d’une quarantaine de chapelles et églises qui bordent ces galeries.

Cracovie contemporaine

Durant la Seconde Guerre mondiale, si la ville dans son ensemble a été relativement épargnée par les destructions, les quartiers juifs, eux, ont été systématiquement dévastés et leurs synagogues détruites. Le ghetto de Podgorze fut construit en 1941 pour « contenir » toute la population juive de Kazimierz. Ses immeubles et cours portent encore l’empreinte de ces heures sombres. Le camp de travail de Płaszów, lui, fut construit à l’emplacement de deux cimetières juifs dont les pierres tombales furent utilisées pour construire routes et soubassements des baraques. Un travail de sape systématique auquel répondit ensuite un essentiel et précieux travail de reconstruction.

L’après-guerre à Cracovie est marqué par la présence des Soviétiques. La « ville nouvelle » de Nowa Huta est l’exemple type de ces « cités idéales » dont l’urbanisme doit garantir le bonheur des ouvriers… une notion difficile à envisager dans cette forêt de barres de béton dont la disposition des rues et du bâti a été pensée pour détruire toutes velléités de soulèvement. Mais il en fallait plus pour briser l’âme des Polonais qui érigèrent au cœur du quartier une église, baptisée l’Arche du fait de sa forme de bateau, devenue un symbole de résistance au communisme. Aujourd’hui, Cracovie s’est donné pour mission de préserver son riche patrimoine avec notamment la création d’une zone tampon autour de son cœur historique et l’obligation donnée aux interventions récentes de s’inscrire dans une démarche historique. Le célèbre architecte japonais Arata Isozaki y a réalisé le très beau centre Maggha dont les lignes ondulées du toit sont inspirées des flots de la Vistule. On lui doit aussi le Grand Centre des congrès avec son toit en aluminium en forme de vague et son très beau mélange de verre et de céramiques polychromes. Autre bâtiment phare de la ville : le MOCAK, musée d’art contemporain signé Claudio Nardi. L’architecte y a réalisé une émouvante fusion entre le site historique préexistant, l’usine d’Oskar Schindler, et une structure moderne à la belle façade vitrée et à la toiture métallique reprenant la forme traditionnelle des toits « shed » ou à redans. Le Cricoteka est un autre incontournable. Impossible de manquer sa structure d’acier, de verre et de béton qui semble envelopper comme un trésor les bâtiments industriels originels. On apprécie tout particulièrement la sous-face de la nouvelle structure entièrement couverte de miroirs. Le Cracovia 1906 Centennial Hall est un superbe exemple d’une architecture qui se veut organique, se fondant parfaitement dans la nature environnante avec sa toiture végétalisée et ses structures en acier Corten couleur rouille. Les villas contemporaines, elles, s’inspirent du style manoir traditionnel polonais (les manoirs ruraux très populaires aux XVIIIe et XIXe siècles) mêlant élégamment bois et pierre dans des structures aux lignes épurées. Cracovie ou l’art de la fusion entre les époques !