Les musiques et danses traditionnelles
Les traditions musicales sont comme les paysages, elles varient selon les régions. Par exemple, en Pologne, dans le centre, on trouve des danses comme la chodzony (danse lente de couples qui se déplacent en ligne droite) et diverses mazurkas (oberek ou kujawiak) tandis que dans les régions montagneuses des Tatras, on entend des polyphonies comme le goralska muzyka et des airs de bergers et que dans le sud, dans la région de Rzeszow, la communauté juive joue traditionnellement une musique de cymbaly (instrument à cordes frappées).
À Cracovie et dans sa région, la spécialité locale, c’est le krakowiak. Connue aussi en tant que cracovienne en France, cette danse rapide et syncopée à deux temps imite les mimiques du cheval — animal très apprécié dans la région cracovienne. Avec le temps, la tenue traditionnelle portée durant le krakowiak est devenue le costume national de la Pologne, surtout le rogatywka, chapeau asymétrique et pointu.
Depuis l’intégration d’un krakowiak dans Une vie pour le tsar (1836) de Mikhaïl Glinka, l’air est devenu un symbole de la culture polonaise dans le monde de l’ex-Union soviétique. Emblématique de la région et même du pays, elle fait partie des cinq danses nationales polonaises aux côtés de la mazurka, de la kujawiak, de l'oberek et de la polonaise.
C’est grâce à la collecte ethnomusicologique entreprise par Oskar Kolberg au XIXe siècle que cette matière folklorique a pu être préservée et transmise. Son ouvrage Lud compile les traditions de toutes les régions polonaises en trente-trois volumes et quelque 12 000 chansons populaires.
Autre tradition cracovienne beaucoup plus connue – et courue des voyageurs –, le Hejnał. Cet appel musical joué toutes les heures au cor ou à la trompette du haut de la tour la plus haute de l’église de Notre-Dame est un rituel, souvenir des invasions tatares au XIIIe siècle.
Toujours populaire, génération après génération, la musique traditionnelle polonaise a, au début des années 2000, même eu le vent en poupe grâce à des groupes comme Golec Uorkiestra ou Brathanki qui lui ont donné un relecture moderne et voyageuse. Pour entendre sur scène de la musique folklorique à Cracovie, un des meilleurs moments de l’année intervient en juillet lors du festival de musique traditionnelle Rozstaj, conviant artistes polonais et du monde entier pour créer un grand dialogue. Un peu plus loin en Petite Pologne, aux pieds des Tatras, à Zakopane, est organisé chaque année à la fin du mois d’août le festival international du Folklore des montagnes (Międzynarodowy Festiwal Folkloru Ziem Górskich). Des troupes provenant du monde entier se réunissent pour partager leurs traditions, danses et musiques.
Notons également que dans la vieille ville de Cracovie, le restaurant Morskie Oko recrée l’ambiance et les saveurs des montagnes des Tatras avec des concerts de musique traditionnelle.
La musique classique
Durant le XVIe siècle, c’est à Cracovie que sont basés les compositeurs qui mènent l'innovation musicale du siècle d’or de la Pologne : Wacław z Szamotuł, Nicolaus Cracoviensis, Marcin Leopolita et Mikołaj Gomółka.
Puis vient la période romantique au cours de laquelle s’illustre le plus grand compositeur polonais de l’histoire : Frédéric Chopin (1810-1849). Né de père musicien français et de mère polonaise, il employa les styles traditionnels pour imposer une musique nouvelle appréciée dans toute l’Europe et aujourd’hui répandue dans le monde entier. Un véritable totem de la musique nationale qui a utilisé des éléments traditionnels polonais dans ses œuvres et a popularisé les polonaises et mazurkas. À l’époque, d’autres compositeurs talentueux, comme Stanisław Moniuszko (1819-1872), dont la plus grande œuvre est le fameux opéra Straszny Dwór, ou Henryk Wieniawski (1835-1880) marquent également la musique polonaise mais restent un peu dans l’ombre de Chopin.
Au début du XXe siècle, la musique classique continue de rayonner en Pologne, principalement autour de la figure du pianiste Arthur Rubinstein (1886-1982). Moins connu que ce virtuose s’en cache un autre qui ne l’était pas moins : Ignaz Friedman (1882-1948). Né à Podgórze dans les environs de Cracovie, ses interprétations étaient stupéfiantes de technicité, à tel point que Rachmaninoff ou Horowitz n’ont jamais tari d’éloges à son sujet. Il faut écouter ses interprétations des mazurkas de Chopin pour prendre la pleine mesure de la force de son jeu.
C’est au cours de la génération suivante qu’apparaît le grand compositeur polonais de Cracovie : Krzysztof Penderecki (1933-2020). Au travers d’une œuvre considérable — une centaine de pièces embarquant musiques vocale, orchestrale, de chambre et sacrée — souvent comparée à celles de Iannis Xenakis ou György Ligeti, Penderecki a sculpté une esthétique puissante, riche d’effets oscillant entre l’avant-garde puis quelque chose de plus néotonal et postromantique. Hélas peu joué à Cracovie, la ville a tout de même baptisé son académie de musique avec son nom.
N’oublions pas de mentionner Witold Lutosławski (1913-1994), largement considéré comme l’autre plus grand compositeur polonais après Chopin.
Plus récemment, un autre compositeur cracovien, Abel Korzeniowski, s’est illustré mais dans le domaine de la bande-son en mettant en musique des films de Tom Ford ou Dominic Cooke. D’ailleurs la ville (et le pays) cultive une affection particulière pour le domaine puisqu’elle organise chaque année un festival de la Musique de film entre fin mai et début juin. Entre concerts de bande-son et ciné-concerts, l’événement est l’occasion d’assister à de sublimes représentations musicales en live sur des images. Parmi les autres rendez-vous très courus en ville, citons également le festival de Musique polonaise, où participent les meilleurs compositeurs dans le domaine classique, ainsi que le festival Misteria Paschalia, l’un des rendez-vous de musique ancienne les plus réputés et connus d’Europe, et le festival Sacrum Profanum, événement de musique sacrée et profane qui rassemble des artistes de renommée locale, nationale et internationale.
Il est bon de noter aussi que Cracovie possède un orchestre philharmonique de qualité (un des meilleurs du pays) installé à la Philharmonie de Cracovie, qui fut autrefois dirigé par Penderecki. C’est également ici que se produit la Capella Cracoviensis, ensemble réputé spécialisé dans la musique ancienne jouée sur instruments d'époque. On trouve aussi l’Opéra de Cracovie à l’architecture très moderne qui a accueilli toutes les grandes voix du pays sur sa scène.
Le jazz
Quiconque s'est déjà baladé dans la vieille ville a pu le constater : le jazz est un vrai plaisir cracovien. Les scènes, souvent nichées dans des caves voûtées, ne manquent pas et les concerts sont traditionnellement de très bonne qualité.
Le jazz arrive dans le pays immédiatement après la Première Guerre mondiale. The Karasiński & Kataszek Jazz est fondé en 1923. Mais c'est vraiment après la Seconde Guerre mondiale que le jazz prend un vrai essor dans le pays. Alors sous le joug de la Russie stalinienne – régime peu friand des formes d'expression venant des États-Unis –, la Pologne voit sa scène jazz prospérer en toute clandestinité. C'est l'époque dite des « catacombes », le début de l'âge d'or du jazz polonais.
C'est à cette période qu'émerge le groupe pionnier du jazz polonais, Melomani, dont faisait partie le célèbre Krzysztof Komeda. Si le grand public le connaît pour ses bandes originales de films de Polanski, il a également été une figure essentielle de l'avant-garde jazz polonaise et a eu un impact durable sur le genre dans le pays, notamment sur Tomasz Stańko, trompettiste virtuose polonais formé à l'Académie de Cracovie et figure majeure du free jazz et de l'improvisation, qui publie fréquemment ses œuvres sur le label de référence ECM. Proche collaborateur de Stańko, le violoniste Zbigniew Seifert est le grand nom cracovien du jazz et une voix majeure de sa discipline en Europe. Marquée par sa brièveté – Seifert disparaît à 32 ans –, la carrière de ce disciple de Coltrane laisse éclater le talent de l'un des improvisateurs les plus sophistiqués que le violon ait connu.
Le jazz est un style roi à Cracovie et l'amateur ne manque pas d'adresses pour profiter d'un bon concert. Le club de jazz le plus connu de la ville est sans doute le Piec Art Acoustic Jazz Club, salle voûtée en pierre typique de la ville, réputée pour son acoustique excellente. Aussi installé dans une cave, et tout autant réputé, le Harris Piano Jazz Bar se distingue non seulement par sa programmation, mais aussi par son éclairage à la bougie lui donnant une atmosphère intimiste unique. On trouvera également une atmosphère intime au Jazz Club U Muniaka situé, encore une fois, dans une cave (du XIVe siècle celle-ci) et souvent considéré comme la salle de jazz par excellence de Cracovie. Plus fantasque, citons également Piwnica Pod Baranami, bar à bières au décor étonnant proposant des spectacles de cabaret les samedis soir et des concerts jazz le jeudi.
Passées les adresses, la ville propose aussi de nombreux rendez-vous dédiés qui contribuent à faire de Cracovie une grande capitale européenne du jazz. Parmi eux : le festival d'été de jazz, qui se déroule dans les caves de la brasserie Piwnica pod Baranami mentionnée plus haut, le Krakow Jazz Autumn, série de concerts dans le club Alchemia de Kazimierz, la nuit du jazz, en plein air et dans les musées durant l'équivalent local de la Nuit des musées, ou encore, et surtout, le Zaduszki Jazzowe, tout bonnement le plus vieux festival de jazz en Europe.
Les musiques actuelles
Exception faite d’une poignée d’artistes comme Jakub Zytecki, sorte de Bon Iver polonais, ou du très bon label Instant Classic, la scène de musiques actuelles cracovienne manque un brin d’acteurs. Paradoxalement, elle bénéficie d’un rendez-vous incroyable : le festival Unsound. Se décrivant à peu près ainsi, « Unsound se concentre sur un large éventail de musiques contemporaines – émergentes, expérimentales et marginales – hors des codes et sentiers battus », le festival est un des plus réputés, regardés et attendus du genre, offrant à Cracovie une place à part dans la géographie de la musique contemporaine. Prenant souvent place dans des lieux alternatifs, Unsound est également l’occasion de découvrir une autre Cracovie au rythme d’esthétiques indisciplinées. Le festival se tient souvent autour d’octobre et c’est à surveiller de près.