A l’origine, un village Ebrié sur la lagune
Le Dictionnaire encyclopédique de la Côte d'Ivoire rapporte que, selon la tradition orale ébrié, le nom d'Abidjan (anciennement Abijean) serait né d'un quiproquo. À l'époque, explorateurs, militaires, capitaines de mission et topographes sillonnent la région. Croisant dans la forêt le chemin d'un vieil homme chargé de branchages, un explorateur lui aurait demandé en français le nom de l'endroit où ils se trouvent. Ce dernier ne parlant pas la langue du colon, impressionné par le drôle d'homme blanc et certainement persuadé qu'il a à se justifier de sa présence en ces lieux, se serait enfui en criant : « N'tchan m'bidjan ! n'tchan m'bidjan ! », ce qui signifie en langue ébrié : « Je reviens de couper des feuilles ! ». L'explorateur aurait alors soigneusement consigné l'exclamation déformée dans son carnet, pour déclarer dans son rapport que le village s'appelle Abidjan. La légende ne manque pas de charme, mais il semble que la réalité soit plus complexe : Abidjan serait en fait le nom du « pays des Bidjan », une branche de l'ethnie Tchaman, « les élus », avant l'arrivée des premiers colons. La lagune Ébrié doit son nom au fait que, tournant en dérision l'instinct de supériorité de leurs voisins lagunaires se revendiquant peuple élu, les Abouré de Moossou remplacèrent le terme de Tchaman par celui d'Ébrié, qui dans leur langue, signifie « les gens sales ». Ce terme fut par la suite repris par l'administration coloniale, qui étendit son usage à la dénomination de la lagune. Les Tchaman eux, l'appellent N'Doupé : « la lagune à l'eau tiède ».
Le choix d’Abidjan comme future capitale
Dès 1897, l'insalubrité chronique de Grand-Bassam et le caractère quasi endémique des épidémies de fièvre jaune qui y sévissent conduisirent l'administration coloniale à envisager le transfert du chef-lieu de la colonie vers un endroit plus approprié. Deux sites sont retenus : Drewin (actuel Sassandra) et Abidjan-Santè (ou Santey). Le choix se porte finalement sur le second qui offre plus d'espace et de possibilités d'expansion commerciale, et qui présente l'avantage d'être situé à proximité de Grand-Bassam, poumon économique de la jeune colonie malgré ses terres hostiles. C’est aussi l'endroit le plus approprié à la création d'un port intérieur et d’un axe ferroviaire à travers le territoire. Le 30 août 1899, le ministère officialise sa volonté de faire d'Abidjan la capitale définitive de la Côte d'Ivoire et, le temps que celle-ci soit dotée de toutes les infrastructures nécessaires à une implantation durable, le chef-lieu s’installe provisoirement à Bingerville. La colonie se retrouve ainsi avec trois capitales pour le prix d'une : l'économique (Bassam), la transitoire (Bingerville) et la future.
Les premiers aménagements urbains
Les travaux de construction de la voie ferroviaire et du port débutent en 1904, mais le creusement du canal de Vridi (un chenal dans la bande de sable qui sépare la mer de la lagune pour relier le port intérieur), ralenti par des ensablements répétés, donne bien du fil à retordre à l'administration et remet sérieusement en cause le statut de future capitale d'Abidjan. Si Bingerville dispose de multiples ressources naturelles justifiant une installation définitive des colons en son site (carrières de sable et de pierres, nombreuses sources d'eau potable, altitude plus élevée que celle d'Abidjan-Santè...), Grand-Bassam, fraîchement assainie, offre par ailleurs les atouts de son excellent réseau de cours d'eau, de son wharf, achevé en 1901, et de l'installation de nouveaux services administratifs. Atouts qui poussent même certains colons à réclamer son retour en grâce, tandis que le choix de faire de Bingerville la nouvelle capitale de la colonie est soutenu par le gouverneur Angoulvant et Louis Barthe, représentant de la CFAO. L'aménagement urbain d'Abidjan commence dès 1903, à la faveur des travaux de construction du chemin de fer. Les villages tchaman qui occupent l'emplacement de l'actuel Plateau sont alors déplacés afin de permettre l'implantation progressive de services et d'entreprises commerciales sur ce terre-plein, qui se mue progressivement en une cité blanche, « protégée » des agglomérations indigènes au sud par la lagune Ébrié, à l'est et à l'ouest par les baies du Banco et de Cocody, et au nord par les camps militaires Mangin et Gallieni (actuel Palais de justice).
Le transfert de la capitale de Bingerville à Abidjan
Dès 1912, le commandant du cercle des lagunes, qui jusque-là, siégeait toujours à Bassam, y transfère sa résidence. À partir de 1920, l'officialisation de la décision de faire d'Abidjan le chef-lieu de la Côte d'Ivoire accélère la construction des édifices publics tandis qu'en 1927, avec l'ouverture du wharf de Port-Bouët (relié au chemin de fer en 1931), la jeune capitale dame définitivement le pion à Grand-Bassam. Elle devient un relais privilégié de diffusion des produits européens vers l'intérieur du pays, favorisée par le dynamisme de sa communauté libanaise grandissante.
En 1928, un premier plan d'urbanisme est rendu public. En 1931, le Plateau et Treichville, alors cité ouvrière, sont reliés l'un à l'autre par un pont métallique flottant (remplacé en 1957 par le pont Félix Houphouët-Boigny). En 1933, les principaux bâtiments administratifs, sociaux et religieux sont achevés et Abidjan, érigée chef-lieu de la colonie par le décret du 10 août 1933.
Abidjan reçoit son statut définitif le 1er juillet 1934 : « Fille du fer qui lui apporte toutes les richesses des terres éburnéennes et voltaïques, et fille de la mer que lui a donnée le canal de Vridi, Abidjan occupe donc un site agréable et prédestiné. Les pionniers de la mission Houdaille, qui avaient choisi cette presqu'île lagunaire en 1893, étaient vraiment des hommes d'une extraordinaire prescience. Tour à tour Grand-Bassam et Bingerville, condamnées par leur site, ont dû s'incliner devant la nouvelle venue. Abidjan mérite d'être capitale et l'avenir confirmera de plus en plus le bonheur de cette promotion. » (Alphonse Couson, Abidjan, la perle des lagunes, in Les Capitales du monde, Éditions encyclopédiques européennes).
Une expansion phénoménale dès 1950
L'aménagement de la ville obéit en ce temps à une rigoureuse bipartition de l'espace, avec d'un côté les quartiers indigènes, essentiellement ouvriers, autour de la gare pour Adjamé, et quartier d'accueil des habitants de la sous-région cherchant un emploi qu'offrait la ville en plein essor pour Treichville et ses diverses communautés, regroupées par affinités ethniques. De l’autre le Plateau avec les colons. Les relations entre Blancs et Noirs se limitaient à un cadre strictement professionnel. Les Blancs eux-mêmes, encore relativement isolés, se regroupaient pour échanger et deviser au Grand Hôtel et au Bardon (ancien hôtel du Parc aujourd'hui occupé par la galerie marchande éponyme), premier hôtel climatisé d'Afrique francophone dont l'architecture imposante se voulait un gage de la modernité et de la supériorité de la jeune capitale. En 1950, le développement de la ville, ralenti après les années de guerre mondiale, connaît un deuxième temps fort avec l'achèvement des travaux du canal de Vridi, inauguré par un certain François Mitterrand, alors ministre de l'Outre-mer.
En janvier 1951 est inauguré le port d’Abidjan en eau profonde, dont les quais peuvent enfin accueillir des navires à fort tirant d'eau. L'installation officielle de la Cour d'appel à Abidjan en décembre 1954 marque la fin des opérations de transfert depuis Grand-Bassam.
L'achèvement, en 1955, des 1 150 kilomètres de voie ferrée reliant Abidjan à Ouagadougou, desservant un arrière-pays généreusement pourvu par la nature et mis en valeur par des actifs travailleurs, consacre définitivement la suprématie de la nouvelle capitale. Il semblait que plus rien désormais ne pourrait enrayer le développement économique du pays, fière vitrine de la France en Afrique francophone, qui voit sa population tripler entre 1950 et 1959.
La verticalité architecturale post-indépendance
Galvanisé par la croissance exemplaire de la période qui suit l'Indépendance (1960-1980), ce « Petit Manhattan des Tropiques », se pare peu à peu d'attributs aussi somptueux qu'imposants : les tours de la Cité administrative, la Cité financière et son dôme en forme de calebasse peule pyrogravée, l'immeuble Alpha 2 000 avec ses arcades penchées et la Tour Postel 2001... L'Indépendance modifie également la répartition sociale de la ville : le Plateau, ancienne « enclave » coloniale, devient exclusivement affairiste et centre administratif, politique et financier accueillant les sièges des grandes entreprises. Au sud de Treichville et le long des zones industrielles s'étendant vers l'aéroport et les plages, se développent des zones d'habitat pour Européens et Abidjanais de classe moyenne, tandis que Cocody devient le siège des ambassades, doublé d'un quartier résidentiel huppé au prestige incarné par le luxueux hôtel Ivoire qui n'avait rien à envier aux hôtels de classe internationale, disposant même d'une patinoire. La physionomie des quartiers africains, elle, ne change guère : de vastes zones d'habitat spontané, vers lesquelles continuent d'affluer les migrants de la sous-région, notamment du côté de Port-Bouët. La zone urbaine d'Abidjan comprenait à l'origine six communes : Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Koumassi, Marcory, le Plateau, Port-Bouët, Treichville et Yopougon. Devant les problèmes de pollution et de peuplement auxquels est confrontée la Perle des lagunes dès 1999, elle devient le District autonome d'Abidjan (DAA) en 2002, incorporant les trois sous-préfectures d'Anyama, Bingerville et Songon.
Pour aller plus loin : voir le film documentaire « Abidjan, quand la ville se révèle » d'Edgar Goran et Agnès Ribouton (2017).