Architecture de légende

L’île de Lemnos abrite un site étonnant dont l’histoire remonte à 3000 avant notre ère : le site préhistorique de Poliochni. Les archéologues y ont découvert les vestiges d’un urbanisme étonnamment sophistiqué pour l’époque, le village étant découpé par une rue principale orientée Nord/Sud comme le seront des siècles plus tard les villes romaines ! La rue s’élargit en une petite place au milieu de laquelle trône un puits construit avec des pierres disposées en rangées horizontales. Avec ses plus de 8 m de profondeur, il s’agit là d’un exemple unique de puits préhistorique. De part et d’autre de la rue s’étagent 3 niveaux d’habitations superposées révélant des techniques de construction raffinées avec une taille de pierre précise et une disposition régulière des éléments. Les îles du Nord-Égée recèlent également des trésors de l’Antiquité grecque dont les plus spectaculaires se trouvent à Samos. L’île peut s’enorgueillir d’avoir été un centre scientifique et culturel dont les réalisations ont inspiré l’ensemble du monde grec par leurs styles et structures innovants et par leur harmonie due en grande partie aux mesures et théorèmes mis en place par le plus célèbre des habitants de l’île : Pythagore. Chef-d’œuvre d’ingénierie, le Tunnel d’Eupalinos, datant du VIe siècle av. J.-C., traverse la montagne sur 1 036 m et permettait à l’époque d’alimenter Pythagoréion, ancienne ville portuaire fortifiée. Samos abrite également une véritable splendeur architecturale : le Grand Temple d’Héra ou Héraion. Le premier temple fut construit au VIIIe siècle av. J.-C. Il s’agissait alors du premier temple grec long de cent pieds. Au siècle suivant, il fut remplacé par un temple innovant avec sa double rangée de colonnes en façade. Mais c’est au VIe siècle av. J.-C. que débuta la construction du temple dont les vestiges nous sont parvenus aujourd’hui. Imaginée par Rhoèce et Théodore de Samos, la structure monumentale (env. 55 x 108 m) constituait le tout premier temple du nouvel ordre ionique, caractérisé par son élégance et sa légèreté, ses colonnes graciles reposant désormais sur une base et aux chapiteaux décorés de volutes. A l’origine, le temple était ainsi entouré par plus d’une centaine de colonnes, de près de 20 m de hauteur, dont les bases avaient été moulurées sur un tour conçu par Théodore de Samos lui-même. Le temple, comme la cité tout entière, était également réputé pour le raffinement de ses sculptures ioniques. Pour découvrir un autre site de légende, rendez-vous à Samothrace. Là vous attendent les vestiges du Sanctuaire des Grands Dieux qui témoignent en particulier du faste et de la monumentalité de la période hellénistique. Ce sanctuaire panhellénique dédié aux cultes à mystères est organisé en 3 terrasses. La première se compose d’une aire sacrificielle avec une place dallée à degrés circulaires entourant un autel. La terrasse principale abrite l’Arsinoéion, le plus grand édifice couvert de plan circulaire (tholos) du monde grec (20 m de diamètre tout de même !) ; le Bâtiment de la Frise des danseuses, vaste enclos dont l’entrée se fait par un accès monumental baptisé propylée et décoré de la célèbre frise ; et le Hiéron, dont l’espace intérieur possède la plus grande largeur sans support intermédiaire du monde grec (11 m !) et se termine par une abside, laissant deviner les évolutions architecturales à venir. La troisième terrasse possède un gigantesque portique de plus de 100 m de long et abrite notamment de très élégants trésors hellénistiques, petits édifices votifs recevant les offrandes et possédant une grande richesse ornementale faite de moulures et frises sculptées. La période hellénistique se caractérise également par la construction de nouveaux lieux phares de la cité : les théâtres. Liménas (Thassos Ville) est ainsi surplombée par un magnifique théâtre à gradins. Toute l’île de Thassos est également célèbre pour ses édifices construits dans un marbre puisé dans les carrières du mont Isparion. Très convoitée durant l’Antiquité pour ses gisements de marbre, d’or et d’argent, l’île a fait l’objet de toutes les attentions urbanistiques. La cité de Thassos contrôlait ainsi un territoire savamment organisé en villages reliés à l’agglomération principale par différents chemins, auxquels s’ajoutait un réseau dense et compact de fermes isolées placées au point de contact entre les différents terroirs de l’île. Une manière sophistiquée de mettre en valeur les richesses agricoles de l’île. Cette dernière possède également d’intéressants vestiges de l’époque romaine, notamment sur le site de l’ancienne agora (boutiques, fondations de temples et édifices publics). Les Romains étaient également maîtres dans l’architecture de l’eau comme le prouvent les belles arches de l’aqueduc romain près de Moria, sur l’île de Lesbos, ou les vestiges des thermes d’Alonia à Samothrace. Les Romains développèrent également une architecture plus défensive avec l’érection de remparts et fortifications ceignant les villes, comme à Mytilène sur Lesbos.

Puissance médiévale

Durant la domination byzantine se développe une architecture à deux facettes. La première est défensive. En effet, la plupart des villages portuaires de l’époque se développent sous la surveillance d’un kastro, forteresse monumentale édifiée en hauteur, généralement sur des éperons rocheux, et offrant des panoramas à couper le souffle. Les forteresses byzantines sont souvent construites sur les fondations d’édifices antiques et il n’est pas rare que des éléments antiques soient réemployés dans les nouvelles structures, comme la forteresse de Thassos bâtie en partie avec les pierres d’un temple d’Apollon ! Parmi les plus impressionnants kastros, notons : celui de Mytilène sur Lesbos avec ses épais murs crénelés qui, selon la légende, abriteraient de nombreux tunnels ; et celui de Skiathos, superbe exemple d’une architecture qui tire profit de la topographie accidentée de son éperon rocheux, offrant à la mer des murs plus bas, tandis que, côté terre, s’élèvent des murs épais jalonnés de portes à chicanes et de tours de guet et offrant une entrée unique par un pont mobile en bois, lui-même protégé par une profonde tranchée. Remparts et fortifications complètent ce dispositif défensif, comme le montrent bien les enceintes défensives de la ville d’Alonissos.
La seconde facette de cette architecture byzantine est religieuse. Du simple petit village à la grande cité, tous possèdent leur église byzantine, l’élément central de la vie sociale. Liées au culte orthodoxe, ces églises possèdent un certain nombre de caractéristiques phares : orientation à l’est ; toits de tuiles rouges ; autel séparé par une cloison en bois superbement décorée baptisée iconostase ; plan centré en croix grecque ; espace central divisé en 3 nefs ; croisée du transept surplombée d’une coupole reposant sur un tambour percé de fenêtres qui s’appuie lui-même sur 4 voûtes en berceau dessinant les bras égaux de la croix grecque. Mais ces églises sont surtout célèbres pour leur richesse décorative : la coupole y est quasiment toujours peinte d’un Christ Pantocrator (« tout-puissant »), tandis que murs et sols se couvrent de somptueuses mosaïques et fresques et de revêtements et pavements de marbre. Parmi les plus beaux exemples d’églises et chapelles, notons : les chapelles Agios Atanasios et Ioannis sto Kastri sur Skopelos, ou bien encore l’église Panaghia tou Potamou sur Samos. En parallèle des églises, les îles ont également vu naître de nombreux monastères. L’île de Skopelos en abrite des dizaines, à l’image du monastère de la Transfiguration du Sauveur qui, trônant sur son éperon rocheux, n’est pas sans rappeler le célèbre monastère du mont Athos. Le monastère d’Evangelistria sur Skiathos est également un superbe exemple d’architecture byzantine avec son église à 3 nefs et 3 dômes et ses décors de bois et faïence. Mais le plus célèbre des monastères est Nea Moni à Chios. Ce dernier partage des caractéristiques communes avec les monastères de Hosios Loukas et Daphni avec lesquels il est d’ailleurs classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Leurs églises principales, ou catholicon, se distingue par un plan central dont l’ample coupole est supportée par des trompes d’angle définissant un espace octogonal. Mosaïques à fond d’or, fresques, décors de marbre et sculptures architecturales y trouvent un écrin de choix. Après les Byzantins, certaines îles passèrent sous la domination des Génois, grands maîtres de l’architecture défensive. Ces derniers renforcent les forteresses préexistantes et jalonnent les littoraux de tours d’observation en pierre. C’est sans doute l’île de Chios qui en possède les plus intéressants exemples, comme à Olimpi avec sa tour centrale ou à Mesta avec ses tours de défense angulaires. Tirant profit des ressources de l’île, les Génois prospèrent et se font ériger de superbes demeures dans le Kampos, la plaine centrale. Formes simples, proportions harmonieuses et importance du lien intérieur/extérieur (balcons ouvragés, terrasses, vastes perrons) caractérisent ces belles maisons aux jolis reflets ocrés de la pierre de Thymiana. Protégées par de hauts murs, ces demeures sont accessibles par des portes monumentales au décor de marbre sculpté, portant notamment les armoiries des grandes familles génoises. Ces atours défensifs se retrouvent également dans de nombreux villages. Pour se prémunir des attaques de pirates, les habitants des îles préfèrent se retirer dans les villages intérieurs. Des dédales de rues pavées de galets et de passages voûtés ou coudés y desservent une place centrale, basée sur le modèle antique de l’agora, où se trouve l’église. Dans certains villages, l’architecture défensive se fait encore plus élaborée. C’est le cas au sud de l’île de Chios, dans les villages dits du mastic. Anciens pôles de commerce prospères, ces villages se caractérisent par des maisons serrées sur un tout petit espace et entourés d’un cercle extérieur de bâtisses servant de murailles défensives. Sur l’île d’Ikaria, les habitants ont même été jusqu’à construire des habitations voûtées directement dans la roche granitique ! L’île possède également des exemples de petites maisons dont l’entrée est camouflée par un muret flanqué d’un banc.

Domination ottomane et néoclassicisme

De la présence ottomane subsistent les témoins d’une très belle architecture de l’eau, à commencer par les bains et les fontaines. La ville de Mythimna sur Lesbos possède ainsi de très jolies fontaines ouvragées. La ville de Chios, elle, abrite les vestiges de bains turcs que l’on reconnaît à leurs 4 dômes ocrés percés de petites ouvertures assurant la ventilation. La ville est aussi célèbre pour sa mosquée du XIXe siècle à l’élégant dôme qui abrite désormais le Musée Byzantin ! Certains cimetières ont également conservé d’élégantes stèles funéraires en marbre blanc décoré de beaux motifs calligraphiques. Mais les plus belles représentantes de cette période sont sans aucun doute les maisons ottomanes aux couleurs pastel que l’on reconnaît à leur premier étage en bois à encorbellement. Certains ont même ajouté des éléments de bois sur des structures préexistantes. On parle alors de sahnisi, balcons de bois couverts en saillie. Libérées du joug ottoman, les îles, comme l’ensemble de la Grèce d’ailleurs, ont souhaité renouer avec leur identité, se tournant vers un style néoclassique puisant aux sources de l’art antique (frontons, pilastres, colonnes doriques et ioniques, harmonie des proportions, symétrie). La Bibliothèque Koraïs de Chios compte parmi les très beaux exemples de ce style. En parallèle de ce néoclassicisme pur s’est également développé un étonnant éclectisme, à Mytilène sur Lesbos notamment. Dans le quartier de Varia se côtoient cottages anglais, manoirs normands et villas néoclassiques aux frontons décorés de stucs. La ville abrite également l’église Agios Therapos aux colonnes de faux marbre très néo-Renaissance. De nombreux monastères voient aussi le jour à cette époque, comme une affirmation de l’identité grecque et orthodoxe.

Richesse vernaculaire

Si certaines des îles ont échappé au tourisme de masse, d’autres ont subi un afflux massif de visiteurs entraînant une urbanisation pas toujours très heureuse des littoraux, à grand renfort de resorts et complexes hôteliers. Mais l’impact de ces infrastructures modernes reste « raisonnable » en comparaison d’autres littoraux méditerranéens. Mais pour mieux apprécier ces îles, mieux vaut se concentrer sur leurs richesses vernaculaires ! Sur l’île de Chios, le village de Pirgi se distingue par ses maisons ornées de motifs géométriques noirs et blancs obtenus par un procédé de grattage traditionnel baptisé xista. L’île de Lesbos, elle, regorge de maisons et bâtiments construits en pierres volcaniques dont le beau gris foncé est rehaussé par les couleurs bigarrées des fenêtres, portes et volets. Sur Alonissos, nombreuses sont les maisons chaulées de blanc à être décorées de carreaux de terre cuite orangés. Les villages de pêcheurs, eux, conservent cette identité résolument grecque qui se lit dans les ruelles ombragées par les treilles et autres balcons végétalisés de maisons aux volumes simples, cubiques le plus souvent, aux murs d’un blanc éclatant et aux toits de tuiles rouges ou orangées. Une atmosphère que l’on retrouve notamment à Skopelos et Skyros. Sur cette dernière, vous pourrez également visiter une maison traditionnelle au mobilier de bois ouvragé et aux décors de cuivres et de faïences. Des villages ô combien pittoresques dans lesquels le temps semble s’être arrêté !