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Une idée ancienne

L’idée d’un canal navigable pour relier les deux océans a germé très tôt dans la tête des ingénieurs du monde entier. En 1529, Alvaro de Saavedra suggère de faire communiquer les fleuves Chagres et Grande pour aménager un canal de 3 m de profondeur. Les travaux sont jugés trop importants et le projet abandonné. En 1534, Charles Quint ordonne une étude topographique, mais les moyens technologiques sont encore insuffisants pour concrétiser le percement de l’isthme. En 1556, une nouvelle étude au Nicaragua commandée par Philippe II aboutit au même constat d’impuissance. Devant cet échec, le souverain qui craint aussi que des puissances étrangères n’utilisent un futur canal pour rejoindre les colonies espagnoles déclare : «  Dieu a marqué sa volonté de voir les deux océans séparés par un isthme continu [… ]. Il est interdit sous peine de mort de s’occuper de l’ouverture de toutes nouvelles routes entre les deux océans ». Au début du XIXe siècle, le naturaliste allemand Alexandre de Humboldt propose neuf tracés, via l’isthme de Tehuantepec au Mexique, le río San Juan au Nicaragua ou encore à travers la jungle épaisse du Darién… D’autres projets seront proposés par des Américains, des Anglais, des Hollandais… mais ce sont les Français qui se lancent dans l’aventure, comme le relate le Musée consacré au canal qui se situe dans le Casco Viejo.

Un bras de fer contre la nature

Pour financer ce chantier pharaonique, la Compagnie universelle du canal interocéanique est créée en 1880. Le prestige de Ferdinand de Lesseps, « Vainqueur de Suez », permet d’obtenir la confiance de milliers de souscripteurs privés. Malgré l’avis d’ingénieurs de renom préconisant un canal doté d’écluses, Lesseps se lance dans la construction d’un canal « à niveau » comme à Suez. Les travaux, qui débutent en 1881, sont censés durer huit ans. Or le climat et les sols ne sont pas les mêmes sous les tropiques que dans le désert égyptien. La percée de la cordillère avance difficilement dans la roche volcanique et l’enthousiasme du début se transforme vite en amertume. Ingénieurs et ouvriers, venus des Antilles et d’Europe, supportent mal la chaleur et l’humidité, tandis que les pluies torrentielles d’avril à décembre provoquent des glissements de terrain dévastateurs. Mais ce sont surtout les moustiques qui causent les plus gros dégâts en véhiculant des maladies très mal connues à l’époque, le paludisme et la fièvre jaune. Le bilan est très lourd, 22 000 morts, soit plus de la moitié des ouvriers et ingénieurs. À ce drame humain s'ajoutent la mauvaise administration de la compagnie et ses difficultés financières qui vont mettre fin au chantier en 1889, provoquant en France l’un des plus graves scandales politico-financiers de la IIIe République.

Après de multiples rebondissements, les États-Unis rachètent les droits et propriétés de la compagnie pour 40 millions de dollars et optent cette fois pour la construction d’un canal à écluses. Relancé en 1904, le chantier va employer 75 000 personnes, la majorité d’origine afro-antillaise. Avant de commencer les travaux d’excavation, la priorité des Américains est d’assainir la région par la pose de moustiquaires, la chasse aux eaux stagnantes et la fumigation dans les zones marécageuses... tout en préconisant aux travailleurs, à titre préventif et curatif, de la quinine. Ces mesures seront récompensées par l’éradication de la fièvre jaune et du paludisme. Mais le chantier fera tout de même plus de 5 000 victimes en dix ans, portant à plus de 27 000 le nombre de morts pour l’ensemble des travaux depuis 1881. Le canal est terminé en 1914, alors que l’Europe se jette dans la guerre.

Une souveraineté stratégique

Ce n'est que le 31 décembre 1999 à midi que le drapeau du Panamá est hissé pour la première fois sur le bâtiment de l'administration du canal. Une date historique qui assure le transfert de la zone, ainsi que de la gestion et du fonctionnement de la voie interocéanique aux autorités panaméennes, aux termes de 85 années de concession nord-américaine. Et il a fallu se battre pour que Washington accepte la restitution de cette zone qui, au-delà des bénéfices générés par le commerce maritime, a aussi servi aux États-Unis de tête de pont pour de multiples interventions sur le continent, en particulier dans les années 1980. Aujourd'hui, la signature du traité Carter-Torrijos qui amorça le processus en 1979 semble bien loin, de même que les craintes internationales de voir les Panaméens incapables de gérer le canal. Le défi ambitieux de valider sa première place sur la scène du commerce maritime international a été relevé.

Une croissance XXL menacée

Sur l'année 2022, l'Autorité du canal et ses 9 000 collaborateurs ont comptabilisé plus de 500 millions de tonnes ayant traversé l'isthme à bord de 14 239 navires, soit 39 par jour ! Depuis l'inauguration en 2016 de la voie d'eau élargie, après neuf années de travaux, les plus gros porte-conteneurs de la classe post-panamax – avec jusqu’à 14 000 conteneurs – franchissent les nouvelles écluses d’Agua Clara et de Cocoli. Et ils n’ont parfois que quelques centimètres de libre de chaque côté lorsqu’ils les empruntent. Une épopée à découvrir sur le site des premières écluses de Miraflores où a été aménagé un Centre de visiteurs. Si cette prouesse technologique assure momentanément l'hégémonie panaméenne, le futur du canal ne pourra pas s'écrire sans prendre en considération de nouvelles menaces...

Élément clé dans les rouages de cette artère, l'eau, devenu un enjeu majeur dans le contexte du réchauffement climatique, questionne son avenir. 5,2 milliards de mètres cubes d'eau sont nécessaires à son bon fonctionnement. Les sécheresses ont déjà imposé aux navires, à plusieurs occasions, d'alléger leur cargaison pour la traversée. Les ressources en eau douce pourraient donc impacter les quelque 4 % du commerce maritime mondial qui transitent par cette voie. Pompage, retenues ou désalinisation d’eau de mer sont à l’étude. Et si l'alternative du Nicaragua semble bien avoir été archivée, c'est une autre concurrence qui se profile, par le biais de nouveaux passages dans l'Arctique.