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Les musiques et danses traditionnelles

On distingue généralement trois grandes familles d’orchestres dans la tradition musicale cambodgienne : Pinpeat, Mohori et phleng khmer. Non loin du gamelan indonésien et un peu analogue au piphat de Thaïlande, l’orchestre Pinpeat est l’ensemble interprétant la musique cérémonielle des cours royales et des temples du Cambodge. On le retrouve également accompagnant les pièces du théâtre d’ombres, le fameux Sbek Thom.

L'orchestre se compose principalement d’instruments à vent et de percussions, le plus souvent deux roneat (xylophone de bambou très incurvé), une paire de kong thom (des gongs), des skor thom (énormes tambours), un samphor (un autre tambour très courant), des chings (cymbales) et un sralai (hautbois) auxquels viennent s’ajouter un chanteur soliste ou un chœur, en alternance avec les parties instrumentales.

La musique jouée par un orchestre Mohori est aussi celle des cours royales mais elle n’a aucune portée religieuse et n’est jouée que pour le divertissement et l’ambiance. Contrairement au Pinpeat qui utilise une grande variété d’instruments différents, le Mohori fait essentiellement appel à des cordes (cithares, vielles, luths) ainsi qu’à un roneat.

Enfin, pour compléter ce trio, on trouve la musique folklorique jouée par les ensembles phleng khmer qui est celle des mariages.

Autre pratique traditionnelle emblématique du Cambodge, le Chapei Dang Veng a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel en 2016. Accompagnées d’un chapei (sorte de luth à deux cordes et au très long cou), ces chansons mettent en musique des poèmes traditionnels, des contes populaires ou des histoires inspirées du bouddhisme. Outre l’aspect purement artistique, cette tradition remplit plusieurs fonctions dans les communautés cambodgiennes, comme la transmission des connaissances et des valeurs sociales, culturelles et religieuses ou la perpétuation de la langue khmère ancienne tout en rapprochant les générations et participant ainsi au renforcement de la cohésion sociale.

Si le Cambodge cultive des traditions musicales bien singulières, c’est du côté des danses que l’on trouve l’une des images d’Epinal du pays avec le Ballet classique khmer. Selon les légendes antiques, les Apsara - ces nymphes célestes du paradis d’Indra - révélèrent aux Khmers les secrets de la chorégraphie divine. Si l’on peut douter de la véracité de ces faits, ils témoignent, au demeurant, de l’âge millénaire de la danse classique khmère - cette dernière aurait acquis ses principales caractéristiques sous le règne de Jayavarman II (802 - 850). Originellement, ses représentations accompagnaient les cérémonies royales et les événements comme les mariages, les funérailles ou les fêtes khmères. Une forme d'art précieuse et vénérée de nombreux Cambodgiens qui a échappé de justesse à l’anéantissement dans les années 1970 durant le régime des Khmers rouges. Une chance, car cet art n’est pas considéré comme un emblème du pays par hasard. Il recèle et raconte beaucoup sur la civilisation cambodgienne, notamment dans ses influences indienne, javanaise, birmane et thaïe.

Trésor de gestuelle raffinée - dont la maîtrise exige des années de formation intensive - cette danse emploie chacun de ses mouvement pour transmettre une émotion ou une pensée et raconter une histoire. La danse classique khmère est même un véritable langage gestuel de plusieurs milliers de mots. Outre la chorégraphie, le raffinement se situe aussi dans les somptueux costumes qui participent à la renommée de la discipline. Chaque rôle ou famille de rôles possède des costume et bijoux qui lui sont propres, les tenues des femmes étant parfois même cousues à même les danseuses, l’habillage réclamant alors plusieurs heures. Leur maquillage ne varie que très peu : poudre de riz sur le visage, lèvres rougies, sourcils noirs… tandis que les rôles masculins portent généralement un masque.

La danse classique khmère était, à ses origines, un hommage aux dieux, aux héros et aux rois. Désormais, son répertoire immortalise les légendes fondatrices du peuple khmer dont elle fait revivre les grands épisodes. Le grand thème parmi les grands thèmes de la danse khmère, c’est évidemment le Ramayana. Cette grande épopée indienne - fondamentale de l'hindouisme et de la mythologie hindoue - a connu un important retentissement dans tout le Sud-Est asiatique, y compris au Cambodge. Cependant, impossible de le représenter en entier, les épisodes sont trop nombreux et trop enchevêtrés, on se contente donc en général de mettre en scène les épisodes les plus connus comme l’enlèvement de Sita par Ravana, le grand combat de Rama contre Ravana ou encore la lutte de l’armée des géants contre celle des singes.

Comme énoncé précédemment, le génocide des Khmers rouges, mais aussi la chute de l’empire khmer, ainsi que le protectorat français ont pratiquement fait disparaître l’art complexe et raffiné du Ballet royal du Cambodge dans les années 1970. Mais grâce à la volonté et la patience acharnée de plusieurs membres de la famille royale, un corps de ballet suivant à la lettre les traditions anciennes a sauvé de l’oubli ces pas sacrés - et ces quelque 4 500 gestes de mains : les danseurs sacrés d’Angkor. Avec 40 danseurs et plus de 60 tableaux, ce sont toutes les légendes épiques du Mahabharata et du Ramayana qui reprennent vie ici. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce spectacle hors du temps est une des principales attractions de Siem Reap, visible au théâtre The Divine Sala, lieu iconique de la ville. Acclamée dans le monde entier, cette troupe se produit en général deux fois par semaine.

Lui aussi sauvé des oubliettes et abordant le Ramayana, le lakhon khol est une autre forme populaire de danse. Uniquement interprétée par des hommes masqués, le lakhon khol est originellement exécuté à des fins rituelles, généralement en lien avec les cycles agricoles. Aujourd’hui, il est joué sur scène, notamment par une troupe fameuse, installée à Wat Svay Andet - situé à 10 kilomètres à l’est de Phnom Penh sur le Mékong.

Bien qu’un brin touristique, il est bon de noter une adresse haute en couleur de Phnom Penh pour voir des représentations de danses traditionnelles : Plae Pakaa. Au programme : de superbes costumes, de belles chorégraphies et une musique envoûtante dans un joli cadre. Bref, un spectacle qui vaut le déplacement.

La musique populaire

Depuis quelques années, une variété khmère, délurée, dont les paroles sont plutôt légères, connait un véritable essor et les vidéos qui fleurissent sur YouTube - des stars du domaine comme Preap Sovath ou Aok Sokunkanha - dépassent allègrement les millions de vues. Mais bien des années avant  que cette scène ne voie le jour, le mot « pop » signifiait radicalement autre chose au Cambodge. Dans les années 1960, entre l’indépendance et l’insurrection des Khmers rouges, la jeunesse du pays cherche sa place artistiquement. C’est l’occupation militaire américaine du Vietnam voisin - par le biais de sa radio militaire - qui va l’aider à la trouver. À l’époque toute une scène fusionnant folklore khmère et garage rock, soul ou pop américaine se met à éclore subitement. Deux grandes stars en particulier se taillent la part du lion : Pen Ron, auteur-compositeur prolifique dont l’incroyable voix qui monte à l'octave et l’attitude désinvolte ont fait sa réputation, ainsi que Ros Sereysothea, surnommée « la reine de la voix d’or » du fait de sa voix de soprano franche et limpide. Ces deux artistes sont présents sur l’excellente compilation Songs of the City of Four Faces - Cambodian Pop Music of the 1960’s éditée en 2020 par le label australien Metal Postcard Records, documentant parfaitement cette époque particulière de la musique cambodgienne.

On y croise également Sinn Sisamouth, le « Elvis cambodgien » ou Yol Aularong, punk avant l’heure. Autant d’artistes qui ont disparu sous le régime des Khmers rouges, possiblement assassinés et leur musique en grande partie détruite. Si cette histoire vous intéresse, ne vous privez pas de voir le documentaire de 2014, Don't Think I've Forgotten : Cambodia's Lost Rock and Roll réalisé par John Pirozzi et retraçant en profondeur cette triste et riche histoire. Le label américain Dust-To-Digital a d’ailleurs fait paraitre une très bonne compilation de la bande-son du documentaire.

Théâtre

Pilier de l’identité culturelle cambodgienne et considéré à l’instar du Ballet royal comme un art sacré, le Sbek Thom est le théâtre d’ombres khmer. Projeté sur un écran ou drap blanc, il met en scène des épisodes du Reamker (la version khmère du Ramayana) au moyen de grandes marionnettes ( jusqu’à deux mètres de haut) non articulées en cuir. Les grandes productions peuvent accueillir jusqu’à 160 marionnettes pour un même spectacle. Avec le temps, une version plus populaire du théâtre d’ombres a vu le jour. Y sont évoquées des thématiques comme la vie de tous les jours, l’amour, la jalousie etc., souvent sur le ton de la comédie.

Ces dernières décennies, les compagnies de théâtre d’ombres ont vu leurs rangs rétrécir comme peau de chagrin. Une petite poignée d’entre elles maintient cet art vivant. C’est notamment le cas de celle de la jeune Française Delphine Kassem, nommée Sovanna Phum, une vraie troupe cambodgienne installée à Phnom Penh qui a su redonner ses lettres de noblesse à un art qui le mérite amplement. Désormais dirigée par l’ex-directeur artistique, M. Mann Kosal, la compagnie continue à monter des spectacles très appréciés.