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La longue lutte des Mapuches

Avant l'arrivée des Espagnols, leur territoire s'étendait sur 100 000 kilomètres carrés : ils vivent aujourd'hui sur 5 % de leur territoire d'origine. Persécutés des siècles durant et progressivement chassés de toutes leurs terres, les Mapuches s'organisent aujourd'hui pour retrouver l'usage et la propriété de ces dernières à la suite du retour à la démocratie. Ces dernières années, divers événements d'extrême violence ont entraîné la mort de nombreux Mapuches qui revendiquaient la restitution de leurs terres devenues peau de chagrin. Toutefois, le gouvernement de Michelle Bachelet (2014-2018) s'est efforcé, avec l'aide de l'Eglise, de restituer un maximum de terres (66 000 hectares en tout) et a organisé en 2016 une commission spéciale qui s'est conclue par une demande de pardon pour les horreurs commises lors des siècles passés. Au cours du mois d'octobre 2017, un comité mapuche avait adressé une lettre au pape afin de solliciter son aide en tant que médiateur face à la violence qui continue de monter. La loi antiterroriste octroie en effet des pouvoirs spéciaux aux forces de l'ordre qui exerce sur le peuple un contrôle permanent et une répression systématique. Surveillés de près par l'Etat chilien, les Mapuches sont devenus méfiants et n'hésitent pas à agir en toute clandestinité. Ainsi, des groupes minoritaires mapuches ayant incendié des entreprises forestières et des édifices religieux se sont retrouvés derrière les barreaux. En 2018 et 2019, la résistance mapuche se radicalise : les actions de sabotages liées à des revendications territoriales se poursuivent contre les compagnies privées. Les conséquences ne sont pas veines : progressivement la région ne reçoit plus de capitaux étrangers. Face à la chute des investissements, le président Piñera affirmait vouloir « rétablir l'ordre face à ces actes terroristes ». Ce n'est pourtant pas l'avis de La Commission des Droits de l'homme de l'ONU qui a condamné le Chili en 2013 pour l'usage injustifié de ce terme dans le conflit et qui a reconnu la légitimité de la protestation sociale mapuche. La situation semblait au point mort jusqu’à l’élection en 2021 d’une femme mapuche, Elisa Loncon, à la tête de la future constitution : l’élection d’une Autochtone issue de la société civile à la tête de l’Assemblée constituante représentait alors un événement historique et une avancée majeure pour la représentation des communautés du pays. Le magazine Time l'avait alors inclus dans sa liste des 100 personnalités les plus influentes de 2021. Le rejet de la nouvelle constitution en septembre 2022, puis les élections constituantes remportées le 7 mai 2023 par l'opposition viennent toutefois mettre un sérieux coup de frein à ce progrès.

La crise politique et sociale de 2019

Le climat politique et social est devenu électrique au cours de l'année 2019 : malgré une croissance économique importante, le pays n'a pas su lutter contre les inégalités sociales. Présenté comme l'une des économies les plus enviables du continent américain, le Chili a fait face à une explosion sociale aussi vive qu'inattendue après l'annonce de la hausse du ticket de métro le 18 octobre 2019. L’annonce de trop qui a poussé les citoyens à se réunir dans les rues afin de manifester et de contester les réformes mises en place par le président Piñera. Bien que stable politiquement et économiquement (une croissance de 3,5 % du PIB en 2019), le Chili fait partie de ces pays où la richesse se concentre entre les mains d’une minorité́ particulièrement fortunée : 1 % des plus riches du pays possèdent un peu plus d’un quart du PIB national là où 1/4 des Chiliens vivent sous le seuil de pauvreté. Et même si la pauvreté a diminué depuis la fin de la dictature, le fossé ne se comble pas assez vite puisque le Chili est le pays de l’OCDE le plus inégalitaire sur le plan des revenus avec un salaire minimum s’élevant à 370 euros seulement. Cette mauvaise répartition des richesses, fruit d’une politique ultra-libérale qui remonte à la dictature, a réveillé la colère des Chiliens, bien décidés à réclamer une justice sociale. Paralysé par de nombreuses grèves et des manifestations massives ayant réuni jusqu’à un million de personnes dans la capitale, le pays faisait donc face à un mouvement social inédit, galvanisé par le retour des forces armées dans les rues : une première depuis la dictature de Pinochet. Après avoir annoncé l’état d’urgence et affirmé maladroitement que le pays était « en guerre », le président Piñera s’est installé à la table des négociations afin de proposer de nouvelles mesures capables de calmer les mécontentements. Malgré les concessions du président, le pays coordonna une grève générale en date du 12 novembre 2019. A Santiago, notamment, les violences et affrontements ont été extrêmes entre les forces de l'ordre et le peuple, frustré depuis des décennies par l'austérité. Après une première réaction brutale de la part du gouvernement (rétablissement du couvre-feu pour la première fois depuis 1987 et armée dans la rue) ; le président Piñera s'est peu à peu ouvert à une série de réponses graduelles. L'annonce du renoncement à un certain nombre de réformes et de mesures économiques ainsi que le remaniement ministériel s'est poursuivi par l'annonce de l'augmentation de 20 % du minimum retraite. Enfin, quelques mois plus tard, le pays encaissait un double choc : après les crises sociales, la crise provoquée par la Covid-19 paralyse le pays. Entre confinement, couvre-feu et saturation des hôpitaux, le pays compte parmi ceux qui vaccinent le plus. Le Chili finit par stabiliser sa situation sanitaire et s'ouvre peu à peu au tourisme fin 2021. Il faudra attendre fin 2022 pour que l'obligation de port du masque ne soit levée.

Entretemps, un nouveau président est élu, le plus jeune de l'histoire du pays : âgé de 35 ans, Gabriel Boric est élu président du Chili en décembre 2021 et offre au pays une nouvelle couleur politique : gauche radicale.

Vers une nouvelle Constitution ?

Au-delà des concessions adoptées dans l'urgence du mouvement social, le véritable défi gouvernemental semble être celui de la refondation sociale, tant espérée et attendue par la population chilienne. Il faut rappeler que les carences du pays découlent en partie de la Constitution actuelle, datant de la dictature. Santé, éducation, retraites, environnement, droits des nations autochtones, accès à l’eau… les débats sur le système de privatisation sont houleux. La véritable transition démocratique et sociale ne pourra, semble-t-il, avoir lieu que lorsqu'une nouvelle constitution aura été votée et mise en place pour rompre une fois pour toutes avec le modèle autoritaire néo-libéral hérité de Pinochet. Un an après le soulèvement populaire, le 25 octobre 2020, des dizaines de milliers de Chiliens ont célébré dans les rues de la capitale le résultat du referendum sur la nouvelle constitution approuvée à près de 79 % des suffrages. Les 15 et 16 mai 2021, les Chiliens étaient de nouveau appelés aux urnes pour désigner les 155 citoyens chargés de rédiger la nouvelle constitution. Un vote historique qui accorde au pays une institution représentative de la société (avec 17 sièges réservés aux nations indigènes et un mécanisme de parité entre hommes et femmes). Mais coup de théâtre, le 4 septembre 2022, la nouvelle Constitution est rejetée par 62 % des votants. Une véritable surprise. Ce rejet souligne l'immense défiance du peuple envers ses institutions. Le 7 mai 2023, de nouvelles élections constituantes sont organisées afin d'élire une assemblée en charge de la rédaction d'une nouvelle version de la Constitution. Mais les résultats confirment cette défiance : c'est le Parti Républicain, fervent opposant à la rédaction d'une nouvelle Constitution, qui emporte la majorité des voix. En additionnant celles remportées par le parti Chile Vamos, coalition de trois partis de droite elle aussi partisane du texte en place, le président et l'Alliance de gauche se retrouve en échec.

Comment en est-on arrivé à un tel revirement politique en l'espace de quatre ans ? Plusieurs éléments sont à considérer. Premièrement, le passage du coronavirus, qui a affaibli l'économie de la partie la plus fragile de la population, poussant cette dernière à revoir ses priorités en termes de revendications. A cela s'ajoute une importante crise migratoire : depuis quelques années, de nombreux Vénézuéliens fuyant les difficultés de leur pays d'origine entrent illégalement sur le territoire chilien via le désert, au nord. Une partie de cette population clandestine (en réalité une toute petite minorité) se fixe dans les villes, et plus spécifiquement dans la capitale, et se livre à toutes sortes de larcins, voire se monte en gangs. Si certains ont des pratiques particulièrement violentes et spectaculaires, il s'agit quasi exclusivement de règlements de compte entre gangs. Cette réalité a été couverte – et continue de l'être – par les médias du pays à un tel point que les autres problématiques sociales sont peu à peu totalement passées à la trappe (notamment le fait que des milliers de personnes meurent chaque année dans l'attente de soins qui n'arrivent pas).
Naturellement, les partis de droite et d’extrême-droite ont su utiliser cette crise migratoire à leur avantage, séduisant une part grandissante de la population inquiétée par ce thème sécuritaire et motivant le rejet de la proposition de constitution. Enfin, il est important de souligner que le referendum concernant l'adoption ou le rejet de cette nouvelle Constitution avait été rendu obligatoire. C'était alors le tout premier vote obligatoire auquel la population chilienne était appelée depuis le retour à la démocratie. Une immense frange de la population qui n'avait jamais voté s'est donc retrouvée forcée de se prononcer sur l'adoption d'un texte très long étalant 380 articles de loi, rédigés dans des termes juridiques pas forcément faciles à comprendre pour qui n'est pas habitué à cette prose. Le manque d'éducation de ces classes populaires n'a pas joué en la faveur de l'acceptation. Au cours de l'épisode suivant, le 7 mai 2023, celui de l’élection de la nouvelle assemblée constituante, le processus a été à nouveau rendu obligatoire pour tous. La campagne médiatique et politique s'est alors à nouveau concentrée sur les problèmes sécuritaires tout en jouant sur l'incertitude de l'avenir. Il convient ici de souligner que les médias dominants chiliens sont entre les mains de quelques groupes privés (les quelques familles qui tiennent le Chili) peu désireux de voir passer une nouvelle Constitution qui menacerait leurs intérêts. Aussi, si certains problèmes liés à la sécurité et à l'immigration sont bien réels, l'effet grossissant du rabâchage médiatique autour de ces thèmes au cours des deux dernières années a favorisé la création d'un climat de peur. La peur l'a emporté, offrant à la droite et à l'extrême-droite une majorité de sièges.

Le problème écologique

Pollution massive, exploitations des sols et catastrophes écologiques, les paysages chiliens ont été défigurés par les plus grandes entreprises mondiales venues s'installer sur le territoire au cours de ces dernières décennies. Entre projets de barrages hydroélectriques, extractions minières et élevage intensif, le pays semble payer le lourd tribut de l’abondance de ses richesses naturelles. Gaz de schiste, lithium, cuivre, aquaculture... les opportunités économiques ne manquent pas et attirent toujours plus les capitaux étrangers. Avec la demande énergétique mondiale en augmentation, les usines de lithium, nouvel or blanc (nécessaire à nos batteries d’ordinateur et de portable), perforent des puits dans le désert de l’Atacama et la consommation en eau est abondante dans une région aussi aride. Ainsi les usines pompent l’eau et assèchent les nappes phréatiques. L’activité minière de cuivre (le Chili possède 20 % des ressources en cuivre de la planète) pollue également les cours d’eau et attaque les glaciers, principale ressource en eau du pays.

Activité toujours florissante, la pêche, elle aussi, a son impact environnemental. Le pays détient la 5e place mondiale avec 5 millions de tonnes annuelles. C’est le deuxième producteur de saumons au monde après la Norvège avec 650 000 tonnes et plus de 5 milliards de dollars rapportés en 2021. Les quelque 2 400 centres d'aquaculture produisent en effet plus de 90 % de la production nationale. Pourtant, l'exploitation des eaux poissonneuses par des industries génère une pollution sans précédent et les petits pêcheurs, incapables de concurrencer la pêche industrielle ne se nourrissent même plus des coquillages : les algues toxiques empoisonnent la faune et la flore alors que le saumon créé de gros ravages jusqu'au nord du Pacifique du côté des États-Unis et du Canada (des milliers de saumons d’élevage s’échappent chaque année et mettent en péril les poissons sauvages auxquels ils transmettent des parasites).

En mars 2019, malgré les projets de réseau de parcs nationaux en Patagonie, des autorisations de concessions minières ont été délivrées notamment concernant le projet minier Los Domos, comportant 19 plateformes de forage et 12 concessions minières. La conséquence ? Le projet minier a amputé 5 000 hectares au projet de parc national. Enfin, en juillet 2019, un incident d’envergure s’est produit sur le site d'un des principaux groupes miniers du pays, Pacific Steels Company. La marine chilienne a été mobilisée après que 40 000 litres de diesel ont été déversés dans la mer au large de l'île Guarello, réputée pour ses eaux pures et son écosystème marin. La réaction des autorités a été immédiate et les dégâts ont été limités : 1/3 de l'eau souillée a été récupéré lors d'une grande opération de nettoyage. C’est dans ce contexte que deux visions opposées de l’usage des ressources naturelles s’affrontent : celle de l’exploitation et celle de la conservation des aires naturelles. Ces dernières ne reçoivent qu'une part minime du budget chilien qui peine à garantir leur gestion et leur mise en valeur. À la suite des nombreuses indifférences gouvernementales sur les graves impacts environnementaux et sociaux, plusieurs initiatives privées se sont alors lancées dans la protection de ces espaces sauvages. Ciblant l'économie du tourisme, la création de parcs privés s'est concrétisée au cours des décennies 2000 et 2010 : au Chili, trois parcs nationaux ont été créés en 2017 à la suite de la donation de plus de 400 000 hectares de terres par la fondation de Douglas Tompkins (1943-2015), le créateur de la marque The North Face.