Aux origines du nectar doré
Toute bonne huile d'olive commence par un bon olivier. Cet arbre emblématique de la région, présent sur la quasi totalité du territoire, est naturellement implanté en Provence mais c'est la main de l'homme qui en a fait une espèce dominante. Il y a plus de 2000 ans de cela, c'est aux colons grecs qui fondèrent Marseille que l'on doit l'introduction de la culture à grande échelle de ces arbres aux reflets argentés, même si quelques fossiles prouvent la présence d'oliviers dans le sud dans la France dès la Préhistoire. Sous l'impulsion des Phocéens, arrivés d'Asie-Mineure où l'olivier était très courant, l'arbre fruitier va réellement s'imposer et les paysages méridionaux, du Rhône aux Alpes, s'en trouveront façonnés à jamais. De la culture antique de l'olivier découlera naturellement la production d'huile d'olive. Les plus anciens vestiges d'huilerie mis au jour datent du IVe siècle avant J.-C. L'huile d'olive y était pressée en bonne entente entre autochtones gaulois et massaliotes. Ces derniers, très influents dans leurs relations avec leurs voisins locaux, installèrent donc cette forme de culture mais c'est avec la romanisation que la production d'huile d'olive va réellement se pérenniser. Les légionnaires puis les colons s'emploieront à planter des oliviers par centaines et par milliers. On peut alors commencer réellement à évoquer une oléiculture en Provence. À Saignon par exemple, dans le Vaucluse, des fouilles ont révélé les vestiges d'un domaine agricole spécialisé datant de l'époque romaine. La renommée de l'huile d'olive provençale trouve donc ses origines dans l'Antiquité et perdura à travers les siècles. Le Moyen-Âge verra la production décliner avant que la Renaissance ne redonne de la vigueur à l'oléiculture provençale. Entre temps, l'histoire retiendra que le roi préféré des Provençaux, le bon Roi René, n'était guère friand de l'huile d'olive. Il lui préférait l'huile de noix et fit même planter des noyers sur son domaine de Gardanne. De nos jours, une telle infamie provoquerait le courroux des fiers Provençaux. Elément principal de la composante du savon de Marseille, l'huile d'olive devint très demandée à mesure que la production de savon augmentait dans la région. Les parcelles d'oliviers fleurissent alors et l'on développe considérablement la production d'huile aux XVIIe et XVIIIe siècles. C'est même au cours de ce dernier siècle que la production oléicole atteindra son apogée dans la région. La région se couvre encore davantage de moulins et pressoirs, avant que la révolution industrielle n'automatise le processus et ne provoque le déclin des installations artisanales. Au XXe siècle, les vertus du régime méditerranéen mirent en lumière les bienfaits naturels de l'huile d'olive. Sa consommation devint alors plus courante alors que son prix élevé avait jusqu'alors été plutôt considéré comme un repoussoir par le consommateur lambda. Régionalement, l'huile est consommée dans tous les foyers provençaux. Pour nombre d'ouvriers d'autrefois, petit-déjeuner et casse-croûtes se résumaient souvent à du pain et de l'huile d'olive, parfois agrémenté d'ail, un peu à l'image des petits-déjeuners espagnols traditionnels.
Une appellation d'origine contrôlée prestigieuse
Depuis 2007 et sa parution au journal officiel, l'huile d'olive produite en Provence bénéficie d'une appellation d'origine contrôlée (A.O.C). Tous les départements de la région Sud, ex-PACA, font partie de la zone A.O.C et l'appellation couvre même certaines productions voisines du Gard et de la Drôme provençale. Le climat provençal très sec et les hivers doux garantissent la bonne santé des oliviers, douze mois durant. L'humidité étant le principal ennemi de ces arbres somme toute assez fragiles, les sols arides de la région sont idéaux. De nombreuses conditions strictes sont exigées si une huile veut prétendre à l'A.O.C. À commencer par les variétés d'olives qui la composent. Une bonne huile d'olive A.O.C Provence doit se composer d'un assemblage d'au minimum deux variétés, dont une doit être dominante. Parmi les variétés requises, on citera notamment la salonenque, petit ribier, cayon ou encore aglandau. Le cahier des charges exigeant est à la hauteur du savoir-faire des oléiculteurs et du prestige de l'huile d'olive A.O.C Provence : l'âge des oliviers entre également en compte puisque la récolte des olives doit se faire exclusivement sur des arbres âgés d'au minimum cinq ans. L'entretien et l'irrigation des vergers sont également réglementés. Vous l'aurez compris, on ne badine pas avec l'appellation ! Côté récolte, les olives sont récoltées avant leur complète maturité, entre novembre et janvier exclusivement. Leur conservation avant qu'elles ne soient travaillées ne peut alors pas excéder dix jours. Fait assez fascinant, la technique d'élaboration de l'huile d'olive n'a guère variée depuis le XIXe siècle, de la meule qui broie à la compression dans les scourtins. Un patrimoine vivant précieux perpétué par des générations de passionnés.
En terme de production chiffrée, la région provençale caracole en tête du classement des régions productrices avec plus de 50% de la production nationale. Le nombre total d'oliviers avoisinerait les 2 millions, ce qui représente plus de la moitié du volume d'oliviers dans l'Hexagone. Les localités productrices sont très nombreuses et réputées. Quelques communes comme Mouriès ou La-Fare-les-Oliviers ont des productions très renommées. Certaines productions très spécifiques et locales bénéficient même d'appellations protégées locales comme les A.O.P Vallée des Baux-de-Provence, A.O.P Aix-en-Provence ou A.O.P Haute-Provence.
Un produit gourmand et naturellement bon pour la peau
Avec l'ail, l'huile d'olive est l'élément principal et commun à toute la cuisine provençale. Comme dans chaque cuisine traditionnelle, c'est le terroir de la région qui décidera des éléments majeurs de sa composante. Alors en Provence bien sûr, comme l'on trouve davantage d'oliviers que de vaches et de tournesols, l'huile d'olive supplantera le beurre et les autres huiles végétales. L'huile d'olive en Provence, c'est culturel et inscrit dans l'ADN de toute personne née ici, d'Avignon à Toulon, en passant par Marseille et Draguignan. Aussi bonne crue que cuite selon les types d'huile, elle agrémente généreusement salades et poissons grillés. L'huile d'olive entre dans la composition de plats aussi emblématiques que la tapenade, l'anchoïade, l'aïoli, le pistou, la ratatouille, les petits farcis et même quelques douceurs comme la pompe à l'huile, une brioche parfumée consommée principalement à Noël. Une visite sur un domaine oléicole et la dégustation qui s'en suivra vous permettra de différencier les huiles et leurs variations. Un véritable mode de vie dans une région où les arts de la table, les moments passés à table sont une composante primordiale.
Outre la cuisine, l'huile d'olive prouve tout son intérêt par la qualité des produits de soin dans lesquels elle rentre en composition. À commencer par le traditionnel savon de Marseille. Produit phare de la région, produit depuis la fin des Croisades, le savon de Marseille authentique se compose au minimum de 72% d'huile végétale, de préférence d'olive. À la fin du XVIIIe siècle, près de cinquante savonneries fonctionnaient à plein à Marseille. La production d'huile d'olive devait alors suivre la demande massive des industriels qui écoulaient près de 80 000 tonnes de savon en Provence et ailleurs. Aujourd'hui, quelques savonneries traditionnelles continuent de perpétuer ce savoir-faire unique et mettent un point d'honneur à n'utiliser que de l'huile d'olive dans la composition de ces savons. Un gage de qualité et de bonne santé. De nombreux dérivés de produits de beauté ont vu le jour au fil des décennies et les marques commercialisant des soins à base d'huile d'olive sont nombreuses désormais. Les vertus de ce nectar sont désormais connues et reconnues. À une époque où l'on tend vers un retour aux produits naturels, il est certain que l'avenir est radieux pour les oliviers, leurs fruits et l'huile qui en découle.
Recette du Pistou traditionnel
Parmi toutes les recettes provençales qui font le régal des locaux comme des visiteurs de passage, la soupe au Pistou est un grand classique où l'huile d'olive est reine. C'est un plat estival (même si c'est une soupe et que les étés sont chauds en Provence) dont chaque famille provençale a une recette propre jalousement gardée. L'occasion de créer des débats sans fin lorsque ces mêmes familles se rencontrent. Difficile donc d'établir une recette universelle mais le livre référence de Jean-Baptiste Reboul, La cuisinière provençale, nous aide à y voir plus clair en jetant les grands principes d'un bon Pistou et ce, dès 1897, date de la première parution de cet ouvrage devenu un classique. Pour réussir cette variante du Pesto génois somme toute très proche, il faut donc mixer de l'ail en bonne quantité, du basilic frais (aux feuilles pointues si possible, comme on le produit en Provence), du parmesan (la touche hommage aux nombreux italiens installés dans la région) et de l'huile d'olive, de préférence A.O.C Provence cela va de soi. Cela crée une sorte de pâte verte qui permet d'agrémenter le bouillon aux légumes de la soupe au Pistou, ou bien encore de s'en servir comme sauce pour des pâtes. Au niveau du dosage, Reboul conseille de piler « 3 gousses d’ail avec les feuilles d’un gros basilic, 1 grosse cuillerée de parmesan râpé » et d'arroser « de 4 cuillerées à bouche d’huile d’olive ». Un délice sain, qui se conserve bien, et bon pour la santé. Fait amusant, le Pistou a sa compétition mondiale chaque été, à Miramas, où nombre de participants croisent le fer pour cuisiner la meilleure soupe au Pistou de l'année.