Les pionniers du cinéma

Tout commence par un train. L'entrée d'un train en gare. Celle de La Ciotat. Une fameuse scène qui permit aux frères Lumière de devenir les pionniers du cinéma. Ce film très court intitulé sobrement L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat fut tourné durant l'été 1895 dans la ville voisine de Marseille. La première projection eut lieu, elle, à Lyon, en janvier 1896, sous les yeux ébahis de quelques chanceux. La légende raconte même qu'elle créa un vent de panique chez des spectateurs pas encore initiés au 7e art. La ville de La Ciotat fut choisie pour le tournage de cette œuvre car c'est là que les frères Lumière possédaient une résidence d'été. Depuis lors, la ville portuaire reste intimement liée au génie des Lumière de même qu'à l'histoire du cinéma. C'est à La Ciotat également que vous trouverez encore, fièrement dressée, la toute première salle de cinéma de l'histoire, l'Eden. Le tournage des frères Lumière n'est donc pas un hasard dans une ville qui vit la première projection cinématographique avoir lieu en septembre 1895, quelques semaines après le tournage du fameux train en gare. Quelques mois plus tard, le 29 février 1896, a lieu la première projection publique à Marseille dans une salle en sous-sol du Grand Hôtel du Louvre et de la Paix, sur la Canebière. Huit films sont projetés, d'une durée très courte, avec des images mettant en scène un chargement de navires sur le port ou encore une baignade en mer. La passion du cinéma est lancée et la cité phocéenne comptera même jusqu'à une cinquantaine de salles durant l'entre-deux-guerres.

L'histoire du cinéma passera de nouveau par la région quand, une trentaine d'années plus tard, Marseille devint un « petit Hollywood » avec la création des studios de Marcel Pagnol au milieu des années 1930. C'est à cette époque, jusqu'au tournant des années 1940, que le boulevard Longchamp à Marseille devient le « boulevard du cinéma ». Pathé, Gaumont ou la Paramount y installeront des bureaux. Les grands acteurs de l'époque se donnent rendez-vous sur le boulevard et la Provence tout entière bénéficie de cette plaque tournante en matière de renommée ainsi qu'en termes de logistique à travers la diffusion de bobines. Le pic de popularité des salles de cinéma sera atteint en 1939 avec plus de 80 salles à Marseille. Un véritable raz-de-marée.

Pagnol et le sourire éternel de Fernandel

Parmi les figures les plus importantes du 7e art en Provence se trouve bien évidemment l'incontournable Marcel Pagnol. Réalisateur et auteur de nombreux dialogues pour d'autres productions que les siennes, il permet de placer Marseille, son port et la région sur la carte mondiale du cinéma. L'histoire raconte que c'est après avoir assisté à une projection à Londres en 1929 qu'il se décida à se lancer dans le cinéma. En 1931, Marius est l'un des tout premiers succès du cinéma parlant hexagonal, aussi bien au niveau national qu'à l'international. On y retrouve les comédiens qui avaient jusqu'alors joué la création de Pagnol sur les planches des théâtres : Raimu, Pierre Fresnay et Fernand Charpin, véritables vedettes de l'époque. Notons que le film est réalisé par Alexander Korda et non Pagnol en personne. Les studios Paramount lui ayant imposé une vedette américaine dans le casting, ce sera alors le réalisateur. En novembre 1932, la suite, intitulée Fanny, sort sur les écrans, avec à la réalisation Marc Allégret. L'action du film se joue dans le célèbre Bar de la Marine, sur le Vieux-Port. Un café qui existe toujours et qui est devenu mythique pour les scènes qui y furent tournées. Ces deux films, créés initialement par Pagnol pour le théâtre, constituent les prémices de ce qui sera alors appelé Trilogie marseillaise. Ces succès lui permettent de s'enrichir considérablement, ce qui autorise la création des studios de production Pagnol, installés à Boulogne-Billancourt et à Marseille dans le courant des années 1930. Le village de La Treille, où le petit Marcel passait son enfance, devient alors le terrain de jeu préféré de ses projets cinématographiques. Il y tourne ses propres films en tant que réalisateur : Angèle, César ou Regain notamment. La Femme du boulanger rencontre un immense succès en 1938. Au casting, toujours l'immense Raimu. À la musique, Vincent Scotto, véritable gloire marseillaise. Aux côtés de Pagnol émergent les stars d'alors. Outre Raimu, on retrouve Fernandel. En 1941, Marcel Pagnol fait l'acquisition du château de la Buzine, dans l'idée d'en faire une cité du cinéma en Provence. C'est ce fameux château qu'il reconnaît comme celui qui effrayait tant sa mère autrefois, lorsque la famille Pagnol rejoignait la Treille depuis Marseille pendant l'été. En 1947, il est le premier cinéaste à entrer à l'Académie française. Topaze, sorti en 1951 avec Fernandel dans le rôle principal, est acclamé par la critique. Avec ce film, après quelques échecs, Pagnol revient alors sur le devant de la scène, alors que Fernandel est reconnu comme l'un des plus grands talents en son temps. Ce dernier, brouillé avec Marcel Pagnol, ne jouera finalement pas dans le film Manon des Sources, tourné à La Treille en 1951. La carrière cinématographique de Pagnol déclinera lentement au profit de celle de romancier.

Parmi les acteurs principaux de culture provençale, Fernandel fait figure de vedette. Né à Marseille en 1903, il incarne mieux que quiconque le parler provençal, la gouaille méridionale, la bonhommie marseillaise. Personnalité qu'il rendra populaire dans toute la France, l'image du Provençal devenant alors dans la capitale synonyme de Fernand Contandin, dit Fernandel. Après des débuts retentissants dans le milieu du music-hall, il se lance dans le cinéma et devient un véritable aimant à spectateurs. Sa seule présence à l'affiche garantit un véritable succès commercial pendant plusieurs décennies. Les films dans lesquels il joue deviennent des classiques : Le Schpountz, L'Auberge rouge, Ali Baba et les Quarante Voleurs ou La Cuisine au beurre. Des rôles plus sérieux comme celui qu'il tient dans La Vache et le Prisonnier prouveront également à la critique qu'il est aussi bien capable de faire rire que d'émouvoir. Marcel Pagnol dira de lui après sa mort : « Il a été l'un des plus grands et des plus célèbres acteurs de notre temps et l'on ne peut le comparer qu'à Charlie Chaplin ». C'est dire son immense talent et la popularité hors-norme qu'il put connaître.

La Provence, terre de tournage

Riche de sa diversité de paysages et de villages pittoresques, la Provence est, depuis la création du cinéma, un lieu de tournage à ciel ouvert. Nombreux sont les films qui rendirent la région attractive et nombreux sont les films que la région a rendu populaires. 500 à 600 tournages en moyenne ont lieu en Provence chaque année. Marseille, quant à elle, est la deuxième ville française la plus filmée actuellement. Un véritable boom datant de ces dernières années mais débuté très tôt. En 1952, le célèbre film Crin Blanc est tourné en Camargue alors que 11 ans plus tard, en 1963, le western à la française, D'où viens-tu Johnny ?, met en scène Johnny Hallyday dans le rôle d'un cow-boy en Camargue, censée ressembler au Far-West. Les gardians camarguais sont alors les cow-boys et les gitans, les Indiens. Les très photogéniques et fascinantes Alpilles permirent la réalisation de films comme La Fille du puisatier (2011) de Daniel Auteuil, Camille Claudel 1915 avec Juliette Binoche (2013) ou encore Avis de Mistral (2014) avec Jean Reno. Quant au grand succès Le Cœur des hommes, c'est dans le Luberon que Marc Lavoine et consorts tourneront en 2003. Dans le Luberon toujours, à Cucuron, le film adapté de l'œuvre de Jean Giono, Le Hussard sur le toit, fut tourné en 1995.
Parmi les films qui prennent place à Marseille, des succès nationaux comme À bout de souffle de Jean-Luc Godard en 1960, Borsalino en 1970 avec deux monstres sacrés au casting, Belmondo et Delon, Taxi, la franchise de Luc Besson démarrée en 1998, ou encore la French, avec Jean Dujardin, en 2015, qui met en scène la cité phocéenne du temps de la French Connection. Quelques films internationaux de renom auront vu les équipes de tournage se poser du côté du Vieux-Port également : le mythique French Connection en 1970 avec Gene Hackman, avec des scènes tournées à Marseille et Cassis, La Mémoire dans la peau (2002), Love Actually (2003) ou Stillwater (2021).
Certains célèbres réalisateurs locaux comme Henri Verneuil (1920-2002) ou Robert Guédiguian mettront Marseille à l'honneur tout au long de leur carrière derrière la caméra : les films Mayrig et 588, rue Paradis (1991) du premier, racontant l'installation à Marseille de sa famille réfugiée arménienne, Marius et Jeannette (1997), Les Neiges du Kilimandjaro (2011) ou Gloria Mundi (2019) pour le second. Notons que Guédiguian est à ce jour l'artiste de cinéma le plus emblématique de Marseille, à travers ses fresques sociales et son attachement au quartier de l'Estaque. Son actrice fétiche, Ariane Ascaride, marseillaise de naissance, est également une des figures les plus brillantes du cinéma provençal à l'heure actuelle.
Marseille est particulièrement prisée pour le tournage de films sociaux. Le contexte particulier qu'on peut y trouver, le cadre des cités ainsi que le vivier de jeunes talents encore méconnus ont permis la création de films marquants comme Shéhérazade (2018) ou Bonne Mère (2021).
Pour finir avec les tournages en Provence, les adaptations des années 1980-1990 des œuvres de Marcel Pagnol sont indissociables de l'imaginaire collectif quand il s'agit s'évoquer la région : Manon des Sources et Jean de Florette (1986), deux films inoubliables mettant en scène Yves Montand, Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, avec des scènes poignantes. Les deux films furent tournés dans le Vaucluse, notamment dans les villages de Vaugines, Ansouis et Mirabeau. Quatre ans plus tard furent tournés La Gloire de mon père et Le Château de ma mère (1990), deux films d'Yves Robert, de grands succès en salle et véritables emblèmes du patrimoine provençal. Le village de Grambois dans le Luberon sera choisi comme reproduction du village d'enfance de Pagnol, La Treille.
Outre le cinéma, quelques séries à succès ont permis à la Provence d'être mise sous le feu des projecteurs. Depuis 2004, les studios de la Belle-de-Mai permettent à Marseille de disposer à nouveau de studios de tournage. C'est là qu'a été tournée la très populaire série Plus belle la vie, présente sur le petit écran de 2004 à 2022. Le géant américain Netflix choisira Marseille comme théâtre de son drame politique éponyme sorti en 2016 avec Gérard Depardieu au casting. Une série qui reflète une réalité certaine mais qui ne fait pas l'unanimité pour autant dans la région, notamment pour le jeu de certains acteurs. Fabio Montale (2002), avec Alain Delon et inspirée des écrits de Jean-Claude Izzo, a également été tournée dans la cité phocéenne.