Moyen Âge et Renaissance
Au Moyen Âge, le latin est la langue la plus utilisée dans les écrits. On note déjà une spécificité dans l’Hortus deliciarum (Le Jardin des délices), composé et illustré entre 1169 et 1175 par l'abbesse Herrade de Landsberg, à l'attention des novices et moniales de son abbaye, et qui est la première encyclopédie écrite par une femme. Entre le IXe et le XIIIe siècle, c’est plutôt l’allemand qui sera pourtant utilisé pour la diffusion de textes.
À la Renaissance, la situation particulière de l’Alsace sur la vallée du Rhin qui fait circuler tant de marchands influe grandement sur ses écrits. Mais c’est aussi à cette période que Gutenberg imagine à Strasbourg en 1440 la typographie d’imprimerie à caractères mobiles. Johannes Mentelin, strasbourgeois, est quant à lui le premier à imprimer une bible allemande en 1466. Petit à petit, les ouvrages se font plus engagés et politiques, en fonction des guerres et conflits.Humanisme
L’humanisme est une autre grande période de la littérature alsacienne. Aujourd’hui, on peut d’ailleurs encore visiter la Bibliothèque humaniste à Sélestat qui vous invite à un voyage entre manuscrits médiévaux et imprimés des XVe et XVIe siècles dans un bâtiment imaginé par l’architecte Rudy Ricciotti. Vous y suivrez les traces du célèbre humaniste Beatus Rhenanus grâce au témoignage précieux laissé par sa bibliothèque inscrite au Registre Mémoire du monde de l’Unesco. Dans le même esprit humaniste, la Haute École est fondée à Strasbourg en 1538 et confiée au pédagogue et réformateur Jean Sturm (Johannes Sturm).
Si les humanistes écrivent surtout en latin, la littérature de langue allemande n’en fleurit pas moins à la Renaissance, popularisée par l'imprimerie. À cette époque œuvrent Sebastian Brant connu pour La Nef des fous notamment ; Geiler de Kaysersberg dont les sermons furent populaires à l’extrême ; Thomas Murner pour ses pamphlets contre Luther ; Johann Fischart appelé le Rabelais allemand… L’essor de l’imprimerie provoque l’émergence en Alsace d’une littérature romanesque destinée au peuple instruit qu’on appelle les livres populaires (Volksbücher).
Au XVIIe siècle, la littérature alsacienne connaît le creux de la vague après la guerre de Trente Ans. Si quelques écrits qu’elle a inspirés connurent ensuite un peu de succès, coupée politiquement de l’Allemagne, la littérature allemande d’Alsace tend à se réduire à la dimension régionale, l’allemand demeurant néanmoins la langue littéraire et culturelle.Les Lumières
Au XVIIIe siècle, au contraire des autres régions de France et d’Allemagne, l’Alsace ne produit pas de philosophes des Lumières sauf peut-être l’auteur bilingue et éducateur Théophile Conrad (ou Gottlieb Konrad) Pfeffel (1736-1809), mais produit en revanche un auteur prolifique considéré comme le père du piétisme, Philipp Jacob (ou Philippe Jacques) Spener (1635-1705). C’est surtout le Sturm und Drang qui marque l’histoire littéraire alsacienne au XVIIIe siècle, principalement en raison du séjour à Strasbourg du jeune Goethe en 1770-1771, date importante puisqu’elle marque précisément le début de ce « printemps du lyrisme allemand ». C’est là qu’il rencontre Herder, promoteur du Volkslied, qu’il va recueillir dans la campagne alsacienne les vieilles chansons populaires et compose ses premières poésies. C’est là qu’il eut dans la cathédrale de Strasbourg la révélation d’un art qu’il croyait révélateur du génie germanique, c’est là aussi qu’il tomba éperdument amoureux de Frédérique Brion, la fille du pasteur de Sessenheim.
Dialecte et changements successifs de langue
Au XIXe siècle, le dialecte revient en force dans les écrits et notamment chez les poètes. Ehrenfried Stoeber officie à cette époque et est considéré comme l'un des créateurs du théâtre alsacien. Auguste Stoeber, inspiré par les frères Grimm, parcourt l’Alsace et publie en 1852 son recueil Sagen des Elsasses, une véritable encyclopédie des légendes et traditions populaires alsaciennes qui restera la principale source des nombreuses publications ultérieures de légendes d’Alsace.
En Alsace, on parle l’alsacien et on en est fier ! Ce dialecte se pratique encore beaucoup au quotidien, mais sait aussi s’écrire dans des productions de plus en plus nombreuses qui lui sont dédiées ou qui l’utilisent.
D’origine germanique, le dialecte est mouvant. On devrait en réalité plutôt parler des dialectes alsaciens car entre le Nord et le Sud de la région, d’un village à l’autre, les mots et expressions, les écritures et prononciations varient. On pense par exemple à « bredele » ou « bredala » et à et « mannele » ou « mannala » qui sont au cœur des querelles de clocher (amicales) entre Bas-Rhinois et Haut-Rhinois. Plusieurs orthographes sont en fait tolérées et l’essence de l’alsacien est plus dans l’oralité.
Depuis la Révolution, l’alsacien était associé à la langue de l’ennemi à cause de sa forte imprégnation allemande. Les changements successifs de nationalité du territoire et de langue officielle ont chaque fois influencé le dialecte qui est même parfois devenu un véritable biais politique. En 1848, le philosophe allemand Johann Gottfried Herder considérait que l’alsacien était l’expression vivante de l’esprit d’un peuple, ce qui eut pour conséquence de faire naître la crainte d’une nouvelle revendication d’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, entraînant alors sous le Second Empire une politique d’enseignement en français dès le primaire. Entre 1870 et 1918, le français est totalement interdit et le dialecte permet de résister. Après 1918, c’est le français qui redevient obligatoire et les Alsaciens commencent, suite à la volonté d’introduction des lois laïques françaises dans la région, à vouloir être autonomes. Ils intègrent donc à l’école l’allemand et le français académiques, dans un bilinguisme qui perdure encore, mais qui sera supprimé sous le régime nazi. Le dialecte a donc toujours servi de tampon, de moyen d’adaptation et de résistance face à des changements de langue importants. Après la Seconde Guerre mondiale cependant, il disparaît car il est jugé trop proche de l’allemand, langue nazie. On voulait oublier ce passé et parler français est valorisé. Savoir parler français est alors un acte citoyen et de contrition. Le bilinguisme restait toléré, était présent dans les formulaires administratifs, sur les affiches et dans la presse. À l’école, on parlait français. Aujourd’hui, avec un peu de recul, on enseigne en deux langues, et parfois même en dialecte mais ne dites jamais que l’alsacien est de l’allemand : l’alsacien, c’est de l’alsacien !La poésie alsacienne
La poésie alsacienne comprend des poèmes bien sûr, mais aussi des fables en vers et de nombreuses chansons. Parmi les grands auteurs on trouve Conrad Pfeffel (1736-1809), Auguste Lamey (1772-1861) et ses chants révolutionnaires, ou encore les frères Matthis qui s’inscrivent parfaitement dans cette « d’alsacianité de l’esprit » définie par René Schickele comme un rôle de passerelle de la culture alsacienne entre France et Allemagne. La poésie alsacienne rend évidemment souvent hommage à son histoire mouvementée, mais comte aussi bon nombre de textes plus légers ou de production carrément grivoises. Souvent, les œuvres poétiques alsaciennes sont accompagnées d’illustrations de Spindler, Kamm ou Braunagel, artistes importants pour la Belle Époque locale, dans des éditions tout à fait incroyables.
Contes et légendes
Les contes et légendes alsaciens sont nombreux, inspirés par les châteaux forts, la cathédrale, les forêts profondes, les montagnes vosgiennes, le vignoble ou encore le Rhin. Ces récits continuent de se transmettre et connaissent encore beaucoup de succès. Auguste Stoeber (1808-1884) a été l’un des folkloristes alsaciens qui a recensé les contes et légendes de la région en utilisant le modèle des frères Grimm. Parmi les plus connus, la livraison des bébés par les cigognes, le vent soufflant autour de la cathédrale de Strasbourg, la légende de sainte Odile, saint Nicolas, Hans Trapp et Christkindel, les Indiens d’Alsace, les nains de la Goge aux loups, la légende de la carpe d’or, le moulin du diable ou les sorcières du Bastberg. Chaque château a lui aussi sa légende, a accueilli l’amour ou le diable, seigneurs et brigands, bêtes fantastiques et chevaliers, magie et fantômes…
Une mise en avant incroyable de la littérature
S’agissant de la littérature alsacienne contemporaine, qu’elle soit en français, en allemand ou en dialecte, tout est fait pour la mettre en avant. Les festivals sont extrêmement nombreux et les maisons d’édition locales très vivantes.
La bibliothèque idéale est une liste de documents publiés ayant vocation à représenter l’ensemble d’une discipline. C’est aussi le nom que s’est donné l’un des plus grands festivals littéraires de France, à Strasbourg. Chaque année en septembre, ce sont des milliers de personnes qui se pressent pour rencontrer des invités prestigieux. La Librairie Kléber met ainsi en avant des auteurs internationalement reconnus comme des locaux durant cette incroyable occasion d’échange avec les auteurs. Le Forum du livre de Saint-Louis ou le Festival du Livre de Colmar sont deux autres événements d’importance à ne pas manquer pour les amoureux de littérature.
Nous l’avons vu, l’alsacien est encore bien présent dans la culture populaire et beaucoup d’habitants de cette région s’intéressent aux alsatiques, ouvrages sur l’Alsace. Le plus grand salon de ce genre se tient à Marlenheim en avril et draine chaque année passionnés et collectionneurs. Il y a peu d’équivalents de cette pratique et de cet amour pour la littérature régionale ailleurs en France.
Enfin, la littérature alsacienne sait se faire aussi résolument contemporaine et concerne tous les styles. Strassbulles, le festival européen de la bande dessinée est par exemple un incontournable pour les amoureux de ce neuvième art. Le genre du polar est lui aussi très en vogue et l’on trouve en Alsace une maison d’édition spécialisée, les Éditions du Bastberg, qui offre aux jeunes talents de la région la possibilité d’exprimer toute l’étendue de leur imagination et aux lecteurs des polars surprenants ancrés dans le territoire.