L’Empordá, le paradis mythique
Est-il encore nécessaire de présenter celui qui est considéré comme l’un des grands représentants du surréalisme ? Né à Figueres le 11 mai 1904, au n° 20 de la Carrer Monturiol, Salvador Dalí i Domènech, premier marquis de Dalí de Púbol, a été certes peintre, mais également sculpteur, graveur, dessinateur et a aussi travaillé avec de nombreux photographes comme Man Ray ou Brassaï. Sans oublier ses collaborations à de nombreuses œuvres cinématographiques comme Un chien andalou, de Luis Buñuel (1929). Et c’est cette même année, en 1929, qu’il fait la connaissance de celle qui sera sa femme et sa muse, Gala, Elena Ivanovna Diakonova. De ses œuvres, on connaît bien sûr les fameuses montres molles, peintes en 1931 et analysées comme une référence à la théorie de la relativité d’Einstein, l’incontournable gare de Perpignan (1965), centre du monde aux dires de l’artiste, le Torero Hallucinogène (1969) travaillé selon la méthode paranoïaque-critique développée par Dalí ou encore le tableau du Christ de saint Jean de la Croix (1951), l’un des ses tableaux aux motifs religieux le plus connu. Formé dans les années 20 à Madrid où il se liera d’amitié avec de grands noms de l’art espagnol comme Federico García Lorca, Luis Buñuel et de nombreux acteurs de la génération de 27, mais aussi à Paris où il rencontrera Picasso et le groupe des surréalistes dans les années 30, cet artiste à la fois imaginatif, narcissique et mégalomane sera souvent obsédé par les mêmes thèmes : le rêve, la sexualité, le comestible, la religion et sa femme, Gala. Mais il doit aussi une grande partie de son inspiration à la Catalogne de ses racines et singulièrement à l’Empordà qu’il définit ainsi : « En ce lieu privilégié, le réel et le sublime ne font presque qu’un. Mon paradis mythique commence dans la plaine de l’Empordà, entouré par les collines des Albères et trouve la plénitude dans la baie de Cadaqués. Ce pays n’est autre que mon inspiration permanente. » Dans cette région, le port de Cadaqués lui a servi de « toile de fond, de portant et de rideau de scène » quand les parages du cap de Creus représentaient par ailleurs « le paysage le plus concret du monde ». C’est donc sur cette terre qui l’a vue naître que l’on trouvera l’une des matrices de son génie créatif. Passer par Portlligat, Púbol et Figueres sera l’occasion de parcourir le triangle dalinien qu’offre la Costa Brava. Car c’est en effet à Figueres qu’il sera enterré suite à sa mort le 23 janvier 1989, à l’intérieur du théâtre-musée et à quelques pas de l’église San Pere où il avait été baptisé et fait sa première communion. Selon son désir.
Figueres, le musée comme théâtre
A la découverte de ce triangle dalinien, vos premiers pas vous conduiront à Figueres dont l'attraction phare est le Théâtre-Musée Dalí. Il constitue à la fois sa dernière et sa plus grande œuvre. Durant plus de dix ans, le maître a transformé l'ancien théâtre de la ville pour construire cet objet si particulier dont la silhouette de château rouge, surmontée d'immenses œufs blancs couronnant le toit, contraste puissamment avec le visuel du centre de Figueres. Avec comme points de départ un lieu et une optique très spécifiques qu'il a toujours clairement revendiqués. En premier lieu, tout devait le conduire à privilégier un théâtre pour trois raisons qu'il énonçait ainsi : « La première, parce que je suis un peintre éminemment théâtral, la deuxième, parce que le théâtre se trouve juste devant l'église où j'ai été baptisé et la troisième, parce que c'est précisément dans la salle du vestibule du théâtre que s'est tenue ma première exposition de peinture. ». Sachant que son ambition était aussi d'aboutir à une création particulière : « Ce musée ne peut être considéré comme un musée » précisait Dalí « c'est un gigantesque objet surréaliste où tout est cohérent et où rien n'échappe à mon entendement. » En parcourant ce théâtre-musée inauguré en 1974 et considéré comme la chapelle Sixtine dalinienne, vous aurez l'occasion de découvrir une collection d'œuvres qui vous permettront de visualiser toute la trajectoire artistique de Salvador Dalí (1904-1989) au travers d'un éventail d'environ 1 500 pièces. Peintures, dessins, sculptures, gravures, hologrammes, stéréoscopies, photographies sont au menu de la visite qui s'organise autour de trois espaces différenciés : le théâtre-musée proprement dit, les salles ajoutées lors des différents agrandissements et une collection de trente-neuf bijoux créés par Salvador Dalí entre 1941 et 1970, de toute beauté. La circulation vous permettra de retrouver toutes les obsessions du peintre : les fourmis, les montres molles, les œufs, le sexe, les mannequins... et aussi de croiser quelques-uns de ses chefs-d'œuvre tels que « Galatea des sphères » (1952), « Le Spectre du sex-appeal » (1932) ou « Galarina » (1944-45). Au hasard de la visite, vous remarquerez aussi la Cadillac pluvieuse, installée dans l'ancien parterre du théâtre, le tableau de Gala regardant la mer ou celui de Beethoven réalisé à l'encre de poulpe et la salle des Peixateries (des poissonneries) avec un autoportrait de Dalí avec du lard grillé et un portrait de Picasso. En juin 2017, cette noble maison s'est vue contrainte par la justice de procéder à des tests ADN sur la dépouille du peintre, située sous la coupole. Les résultats n'ont pas satisfait la demanderesse Pilar Abel, mais ils ont réjoui les amoureux du peintre qui ont pu constater que la moustache du maître affichait toujours son emblématique ligne, à 10h10. Ce théâtre-musée étant pris d'assaut, il est préférable d'y réserver une visite au moins un mois à l'avance ou de s'y rendre le matin hors saison, en janvier par exemple.Par ailleurs, depuis 2023, il est désormais possible de visiter la maison natale de Dalí, maison moderniste conçue par l'architecte Josep Azemar, où il a vécu jusqu'à l'âge de 8 ans. Via un parcours immersif tout au long des trois étages, on en apprend plus sur ce qui a inspiré l'artiste, la ville de Figueres, son cher Ampurdan et les différentes personnes rencontrées tout au long de sa vie. Avant de quitter Figueres, prenez le temps de passer par le restaurant Duran (Carrer Lasauca, 5) où Dalí a longtemps eu ses habitudes comme en témoignent les multiples clichés photographiques ornant les murs et plus particulièrement son ancienne Bodega Ca La Teta. Et si vous avez la chance de visiter la ville à l'époque de Noël, ce sont les illuminations inspirées des dessins de Dalí qui vous accueilleront.
Le labyrinthe de Portlligat
Après avoir commencé votre périple par le lieu des débuts et de la fin, votre voyage vous conduira à Cadaqués. Rendu célèbre au début du XXe siècle par des artistes comme Max Ernst, Paul Eluard, René Magritte, Federico García Lorca, André Breton ou Luis Buñuel, cet ancien petit village de pêcheurs a aussi été fortement marqué par la personnalité de Dalí. Dont la statue de bronze orne la promenade maritime, dos à la mer. Certains bars ont conservé des photos en noir et blanc de Dalí, mais il faudra aussi vous rendre au Musée de Cadaqués (Carrer Narcís Monturiol, 15) qui propose régulièrement des expositions temporaires consacrées à la vie et à l'œuvre de celui qui a contribué à la renommée internationale de Cadaqués. C'est sur l'une de ses plages, Es Llaner, que le père de l'artiste achète, au début du XXe siècle, une maison blanche, qui deviendra le lieu de vacances familial. Quand ce père se fâche avec lui et l'expulse de son domaine, Salvador – qui ne souhaite quitter ni la lumière ni le calme de Cadaqués – choisit de s'installer tout près, à Portlligat. En 1930, il fait l'acquisition d'une baraque de pêcheurs, à 1 km de Cadaqués, qui deviendra sa première résidence avec Gala, ainsi que son atelier. Au fil des ans, le lieu s'agrandira via l'achat d'autres petites baraques de pêcheurs qu'il reliera entre elles et aboutiront à ce qui est devenu aujourd'hui la Maison Salvador Dalí de Portlligat. Pour l'artiste, un lieu intime et propice au travail qu'il définit ainsi : « Portlligat est le lieu des réalisations. C'est l'endroit parfait pour mon travail. Tout se ligue pour qu'il en soit ainsi : le temps s'écoule plus lentement et chaque heure a la dimension adéquate. Il y règne une tranquillité géologique, c'est un cas planétaire unique ». Accessible uniquement par visite guidée, cette maison-musée de Portlligat vous fait pénétrer dans un système de labyrinthe souhaité par l'artiste dans une logique de « structure biologique » dans laquelle « à chaque nouvel élan de notre vie correspond une nouvelle cellule, une nouvelle pièce ». Après avoir passé le vestibule de l'ours, vous découvrirez son atelier, sa bibliothèque et la salle ovale, le cœur de la maison construit comme un sanctuaire pour Gala. Dont toute la décoration est imprimée par la patte de Dalí. Et cette empreinte surréaliste sera aussi présente dans les éléments extérieurs, avec une piscine inspirée des fontaines de l'Alhambra de Grenade ou un Christ des déchets, réalisé à partir de matériel de récupération trônant sur le pigeonnier. Circuler dans les jardins vous fera progresser vers les hauteurs pour accéder à une jolie vue d'ensemble sur la baie dont le visuel a tant inspiré l'artiste.
Púbol, l’ode à Gala
Pour rallier la troisième étape de votre route dalinienne, il vous faudra quitter le haut Empordà pour mettre le cap sur le Bas Empordà, et plus exactement sur le hameau médiéval de Púbol, à 10 km au nord-ouest de la Bisbal d’Empordà. C’est là qu’en 1969, Dalí a fait l’acquisition d’un château du XVe siècle pour en faire cadeau à son épouse et lui permettre d’y passer ses dernières années. Et c’est là qu’elle sera enterrée en 1982, dans un mausolée conçu par Dalí, avec une Girafe, deux chevaux et un lapin veillant sur sa sépulture. L’artiste n’y séjournera que deux ans après la mort de sa femme, mais sa Cadillac est toujours restée dans le garage. Ouverte à la visite depuis 1996, cette maison musée ou Château Gala Dalí permet de découvrir son intérieur, entièrement conçu pour la « Reine Gala », avec tous ses détails artistiques surprenants : chandeliers de couleurs, table avec des pattes d’autruches, trône de la reine ou montre molle sur le cintre dans une chambre d’ami. Une allure excentrique que l’on retrouvera aussi à l’extérieur avec un poisson géant faisant office de fontaine et entouré de sculptures de la tête de Wagner, le compositeur préféré de Gala. Hors du « triangle dalinien » votre dernière étape pourra vous mener au sanctuaire dels Angels. C’est là que Dalí et Gala se sont mariés en 1958. Son « plus » ne sera pas architectural, mais visuel, car ce promontoire situé dans le massif des Gavarres garantit de magnifiques vues sur la Costa Brava. Et est devenu une destination recherchée pour observer les étoiles.