Histoire du Paraguay
L'histoire du Paraguay est aussi riche que méconnue. Elle commence bien avant l'arrivée des conquistadors avec des peuples installés depuis des millénaires. Lorsque les Européens foulent le continent, ils s'allient avec les tribus guaranis. De ces relations, globalement pacifiques, bien qu'asymétriques, va naître un métissage unique qui permettra à la langue et aux traditions guaranis de traverser les siècles, forgeant une identité singulière au pays. L'époque coloniale puis républicaine est marquée par de nombreuses révoltes indigènes et créoles, des guerres fratricides, des révolutions, et des personnages autocratiques tenant entre leurs mains le destin national. Les missions jésuites vont également marquer l'histoire, avec la création d'une République chrétienne guaranie autonome, au sein même de l'empire espagnol. L'histoire récente reste mouvementée, avec une démocratie fragile, ponctuée de putschs et de révoltes démocratiques.
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Il y a 12 000 ans – Ve siècle
La période précolombienne
Les Lágido et Pámpido sont les premiers groupes amérindiens à s’installer sur le territoire actuel du Paraguay, il y a 8 000 ans. Les Guaranis présents dans le bassin amazonien depuis 12 000 ans, seraient arrivés au Ve siècle. À l’arrivée des premiers Européens, ils regroupaient un ensemble de peuples semi-sédentarisés, vivant de chasse, pêche, cueillette, mais aussi de la culture itinérante du manioc et du maïs.
1494
Le Traité de Tordesillas
Ce traité répartit les terres du Nouveau Monde entre l’Espagne (Castille) et le Portugal. Les terres portugaises se situaient à l’est d’une ligne verticale (passant vers l’actuelle São Paolo), les terres espagnoles, à l’ouest.
1524
Le Portugais Aleixo García sera le premier conquistador à traverser la région jusqu’aux contreforts de la cordillère des Andes. Il emprunte le Tapé Avirú, le chemin qui mène à Yvy marãe’y, la « Terre sans Mal » des Guaranis, où il y aurait une montagne d’argent dénommée Potojchi (Potosi).
1527
Le navigateur vénitien Sébastien Cabot remonte les fleuves Paraná et Paraguay, jusqu’à proximité de l’actuelle Asunción. Quatre ans plus tard, Hernando Pizarro découvre les richesses du Pérou. La conquête du continent devient urgente pour Charles Quint.
1536
Pedro de Mendoza est chargé par la Couronne de Castille de conquérir la « Province géante des Indes ». Il fonde le fort de Buen Ayre (Buenos Aires), puis envoie ses compagnons Juan de Ayolas et Domingo Martínez de Irala, conquérir les terres situées au nord du Río de la Plata. Ces derniers remontent le Río Paraguay et fondent le fort de Candelaria (au nord de l’actuel Fuerte Olimpo).
15 août 1537
La fondation d’Asunción
Juan de Salazar y Espinoza fonde Asunción sur le territoire des Indiens Cario (Guaranis). Ce peuple guarani voit ces blancs barbus arrivés sur de grands bateaux, comme des alliés pour combattre les redoutables Guaycurú du Chaco. Ils leur octroient le statut de chefs militaires et offrent leurs femmes. Une société métisse se forme : les Européens apprennent les mœurs indigènes, les Guaranis découvrent des techniques d'agriculture nouvelles. Les enfants métis, les mancebos de la tierra (« jeunes hommes de la terre »), parlent le guarani de leurs mères et l'espagnol de leurs pères.
1539-1541
Irala, gouverneur de la province du Río de la Plata, rapatrie à Asunción les 400 habitants de Buenos Aires. La ville se dote d'un Cabildo en 1541 et devient le centre politique et militaire de la province, d'où partiront les expéditions pour fonder Villarrica, Santa Fé, Santa Cruz et plus tard la nouvelle Buenos Aires.
1542-1544
Le nouveau gouverneur Álvar Núñez Cabeza de Vaca s'attaque à la polygamie, aux pillages de villages indiens et aux avantages fiscaux des officiers. Un homme austère et trop respectueux des Indiens pour les Conquistadores qui le capturent et le renvoient vers l'Espagne, sur une caravelle baptisée Comuneros (« du peuple »). Le message adressé à Charles Quint est clair : le pouvoir royal ne peut passer au-dessus de la volonté populaire !
1556
Asunción décline après la découverte de la Sierra de la Plata en 1545 par Gonzalo Pizarro, venu de Lima. Mais la région reste attractive pour ses terres fertiles et sa main-d'œuvre indigène. Le système de pseudo-servage de l'encomienda est instauré : l'encomendero doit évangéliser et « civiliser » les Indiens. Beaucoup d'entre eux fuient ou se révoltent. La Couronne fait alors appel aux Franciscains et aux Jésuites pour regrouper, pacifier et convertir les Guaranis.
(1509-1556)
Domingo Martínez de Irala
Ce conquistador espagnol, gouverneur de la province du Río de la Plata (1539-1542, 1544-1548 et 1549-1556), est considéré comme le « Père du Paraguay », pour avoir facilité l’émergence d’une société métisse. Il aura lui-même de nombreux enfants de diverses épouses indiennes. L’un d’eux, Ruy Díaz de Guzmán, sera l’auteur de la première histoire du Paraguay sous forme de prose.
1585
Les premières missions franciscaines sont fondées : Altos, Piribebuy, Tobatí, Atyrá, Caazapá… Les frères Alonso de San Buenaventura et Luis Bolaños seront les grandes figures de cette époque.
1609
Les missions jésuites prospèrent durant 160 ans, indépendamment de l'administration coloniale, attirant les convoitises des chasseurs d'esclaves.
1717
La Révolution des Comuneros
Cet épisode marquant de l'histoire paraguayenne débute par la révolte des encomenderos créoles, après que des Indiens capturés dans le Chaco furent remis à des missionnaires jésuites. Envoyé pour enquêter, l'avocat José de Antequera prend leur parti et usurpe le pouvoir du gouverneur. Pour réprimer le soulèvement, Buenos Aires envoie ses troupes, soutenues par l'armée guaranie des missions. Le conflit dure 18 ans. La défaite des Comuneros met fin aux privilèges politiques des Paraguayens.
1750
Le Traité de Madrid
Il modifie les frontières entre les territoires espagnols et portugais. Sept missions jésuites passent sous domination portugaise. L'origine d'une guerre entre les missions guaranis et les troupes espagnoles et portugaises.
1810
En 1810, les créoles de Buenos Aires profitent de l’invasion de l’Espagne par Napoléon, pour destituer le vice-roi à Buenos Aires. La junte ambitionne d’administrer toute la province du Río de la Plata. Les Paraguayens qui craignent de passer sous le joug de Buenos Aires, restent fidèles à l’Espagne et affrontent l’armée du général Manuel Belgrano. À Paraguarí, puis à Tacuarý, les Paraguayens mettent en déroute l’armée argentine. Ces victoires sont les premiers germes du processus d’indépendance du Paraguay, car les autorités espagnoles s’enfuient dès les premiers combats et seuls les créoles paraguayens défendent leurs terres.
1811
La Révolution de Mai
Dans la nuit du 14 au 15 mai, une junte formée par Pedro Juan Caballero, Fulgencio Yegros, Fernando de la Mora, Francisco Xavier Bogarín et José Gaspar Rodriguez de Francia va destituer le gouverneur Bernardo de Velasco. Elle dirige désormais le pays libéré de la Couronne espagnole.
(1766-1840)
José Gaspar Rodríguez de Francia
Unique civil de la junte indépendantiste, Francia est nommé « Dictateur suprême de la République » par le Congrès, en 1814. Admirateur de Robespierre et Napoléon, il instaure un État laïc, autocratique et répressif. Les frontières se ferment, l'école primaire devient obligatoire, les terres sont transformées en fermes d'État pour produire viande, céréales, coton… À sa mort en 1840, le pays est stable, riche et puissant. Cette personnalité solitaire, paranoïaque et cruelle, mais d'une honnêteté absolue, sera le personnage central de Moi, le Suprême, d'Augusto Roa Bastos.
1844-1862
Carlos Antonio López
Après la mort de Francia et la période d'instabilité qui s'ensuit, son neveu Carlos conserve un régime autocratique. Il ouvre toutefois son pays vers l'extérieur, autorise la presse, envoie des étudiants en Europe et fait venir des ingénieurs étrangers pour développer les infrastructures paraguayennes : voie ferrée, chantier naval, aciérie…
1862-1870
À la mort de Carlos Antonio López, son fils Francisco lui succède. Il poursuit le travail de modernisation du pays et renforce une armée déjà puissante.
(1827-1870)
Francisco Solano López
Il grandit à Asunción dans une famille aristocratique et entre très jeune dans l'armée. Cultivé et polyglotte, il voyage dans toute l'Europe. Lors de ses études à Saint-Cyr, il achète des armes et des navires pour son pays. Il fait aussi la connaissance de l'Irlandaise Elisa Alicia Lynch (« Madame Lynch »), qu'il emmène au Paraguay et avec qui il aura sept enfants (en plus des trois illégitimes avec son premier amour, Juanita Pesoa). En 1862, il succède à son père au pouvoir et se lance dans une guerre insensée qui anéantira le pays.
1864-70
La Guerre de la Triple Alliance.
1870
Après la Grande Guerre, l’Argentine et le Brésil occupent le pays jusqu’en 1876. Ils se répartissent 40 % du territoire paraguayen. Seules les dissensions entre les anciens alliés empêchent la disparition totale du pays. Le Paraguay désoccupé va brader les biens et les terres de l’État pour financer la reconstruction.
1887
Naissance des deux grands partis politiques du Paraguay
Le Parti Colorado, conservateur et nationaliste, et le Parti Libéral, porté sur le libre-échange, voient le jour. Tout au long des décennies suivantes, les deux formations proposeront des programmes assez similaires, portant les intérêts de l’oligarchie.
1932-1935
La Guerre du Chaco
Dans le Chaco Boreal, les limites frontalières avec la Bolivie ont toujours été incertaines et ont généré quelques conflits passagers. La rumeur de la présence de pétrole dans la région va raviver les tensions, attisées par de nouveaux acteurs : la Standard Oil, compagnie états-unienne qui appuie la Bolivie, et la Royal Dutch Shell, compagnie anglo-néerlandaise qui soutient le Paraguay. La guerre fera 100 000 morts en 3 ans. Dans cet environnement inhospitalier, on attaquait les fortins adverses pour leurs maigres points d'eau. La reprise du Fortín Boquerón aux Boliviens en 1932 est célébrée chaque année le 29 septembre (jour férié). La « Guerre de la soif » prendra fin le 12 juillet 1935, mais la situation des frontières ne sera réglée qu'en 1938. Les trois quarts du territoire disputé reviendront alors au Paraguay.
1936
La Révolution du 17 février 1936
Un mouvement progressiste prend le pouvoir. Les Fébreristes, emmenés par le colonel Rafael Franco, entendent organiser le pays selon le modèle socialiste.
1939
Franco est renversé par Felix Paiva, lui-même remplacé par le général José Felix Estigarribia, héros de la Guerre du Chaco, qui instaure une nouvelle constitution.
1940
Higinio Moríñigo, met en place une dictature de type fasciste. Les partis politiques sont interdits.
Mars-août 1947
Rafael Franco réunit libéraux et communistes dans un nouveau mouvement qui reçoit l'appui de la marine et de l'infanterie. C'est la Revolución de los pynandí (« Révolution des pieds-nus »). Les rebelles sont écrasés en quelques mois. La guerre civile fera entre 20 et 30 000 morts et poussera à l'exil des centaines de milliers de personnes.
1948
Le Paraguay connaît plusieurs coups d’État et une grande instabilité politique jusqu’en 1954.
1954-1989
La plus longue dictature du continent
Coup d'État du général Alfredo Stroessner qui gardera le pouvoir durant 35 ans. Soutenu par les États-Unis, il participe activement à l'opération Condor durant la guerre froide : échanges d'informations sur les groupes « subversifs », disparitions et tortures de masse. Un régime de terreur avec une répression féroce contre les artistes, intellectuels et paysans rebelles des Ligas Agrarias Cristianas et du Movimiento 14 de Mayo. Pour financer son régime, la contrebande, les trafics en tous genres et la corruption sont institutionnalisés. Stroessner et ses proches s'enrichissent également grâce à la construction des barrages d'Itaipú et Yacyretá, et à la vente de millions d'hectares de terres nationales à des compagnies brésiliennes.
1989
Coup d’État du général Andrés Rodríguez, gendre et bras droit de Stroessner. Le dictateur se réfugie au Brésil, où il résidera sans être inquiété jusqu’à sa mort en 2006.
1992
La nouvelle constitution limite à un seul mandat les fonctions présidentielles et reconnaît le guarani comme langue officielle à côté de l’espagnol (le guarani était banni sous Stroessner).
1993
Juan Carlos Wasmosy est le premier président civil depuis 1954. Il réforme la justice et l’armée, et mène une politique économique néolibérale.
1996
Tentative de putsch contre Wasmosy par le général Lino Oviedo, qui sera condamné à 10 ans de prison.
1999
El Marzo Paraguayo
Raúl Cubas, président fantoche, accorde l'amnistie à Oviedo contre l'avis de la Cour Suprême. Une procédure de destitution est alors lancée contre Cubas. Au même moment, Luis María Argaña, le vice-président qui devait prendre sa place, est assassiné. Cubas et Oviedo sont directement impliqués. Des milliers de personnes se réunissent devant le Congrès pour manifester leur désir de justice et de démocratie. Les francs-tireurs d'Oviedo tirent sur la foule, faisant 8 morts et 700 blessés. Cubas s'enfuit au Brésil, Oviedo en Argentine.
1999
Le pays connaît une grave crise économique et financière. Le gouvernement de Luis González Macchi est particulièrement corrompu : même la BMW présidentielle était une voiture volée au Brésil, elle roulait avec de faux papiers !
2003
La politique du nouveau président, Nicanor Duarte Frutos, est dans la lignée des précédentes, peu encline à réduire les inégalités sociales. L'économie reprend le chemin de la croissance tirée par les exportations de soja.
2008
La parenthèse Fernando Lugo
Cet ancien évêque, issu d’une famille persécutée par la dictature, met fin à 61 années de pouvoir du Parti Colorado. À la tête d’une coalition de centre-gauche, Lugo obtient des avancées importantes dans la santé et l’éducation, et parvient à renégocier le traité d’Itaipú avec le Brésil de Lula.
2012
Face aux tentatives de réformes agraires de Lugo, un complot politico-agro-industriel fait destituer le président. Un « coup d'État parlementaire » pour l'Union européenne et les pays voisins. Le Paraguay est exclu temporairement du Mercosur. Cette destitution fait suite à un affrontement entre paysans sans terre et policiers, à Curuguaty, qui fera 17 morts.
2013-2018
L'ère Cartes
Le nouveau président, Horacio Cartes, est à la tête d'un empire (banque, maisons de change, club de football, médias, boissons, tabac…). Le passé sulfureux du « Berlusconi paraguayen » est révélé par WikiLeaks : escroqueries, blanchiment d'argent, contrebande de cigarettes… Sa politique ultralibérale génère la première grève générale depuis 20 ans. À la fin de son mandat, il tente de faire modifier la constitution pour pouvoir se représenter, ce qui provoque de nouvelles protestations massives au cours desquelles le bâtiment du Congrès est incendié.
2018
Le colorado Mario Abdo Benítez, fils du secrétaire personnel d'Alfredo Stroessner, remporte les élections. « Marito » reste dans la lignée du parti avec une politique agro-exportatrice et des positions ultraconservatrices sur les thèmes de société. En 2019, il échappe à une procédure de destitution pour haute trahison, après avoir signé un accord énergétique en secret avec le Brésil, au sujet de la tarification de l'énergie produite par Itaipú.
2020
Covid-19
La pandémie de Covid-19 frappe durement le Paraguay révélant les failles du système de santé public. En 2021, une vague de manifestations a lieu contre la gestion chaotique et opaque de la crise sanitaire et la corruption persistante.
10 mai 2022
En pleine lune de miel sur l'île de Barú (Colombie), le procureur Marcelo Pecci très investi contre la criminalité organisée est assassiné. Avant d'être lui-même tué en prison dans des circonstances troublantes, un témoin clé de l'affaire désigne Horacio Cartes et le baron de la drogue Miguel Ángel Insfrán, alias Tío Rico, comme les commanditaires du crime.
2023
Le président Santiago Peña (Parti Colorado, pour changer...) s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs avec une politique ultralibérale axée sur l'attractivité des investissements et la modernisation des infrastructures. Peña est étroitement lié à l'ex-président Horacio Cartes visé par des sanctions américaines pour corruption et liens présumés avec le crime organisé.
2025
Fortes mobilisations sociales autour de l'accès à la terre, de l'emploi, de la lutte contre la corruption et de la défense des libertés civiles.