L'omnipotence du Parti Colorado
Depuis la fin du XIXe siècle, la vie politique paraguayenne est dominée par deux partis aux tendances conservatrices : le Parti Colorado et le Parti Libéral. Ces deux formations, aux identités bien ancrées - le rouge pour les Colorados, le bleu pour les Libéraux - ont traversé des guerres civiles, des dictatures et des périodes démocratiques, en laissant peu de place à d'autres courants. Depuis 1947, c'est le Parti Colorado qui règne sans partage sur la vie politique, à l'exception d'une courte parenthèse progressiste de 2008 à 2012, sous la présidence de Fernando Lugo qui sera destitué par le Congrès sans même avoir pu présenter sa défense. Cette hégémonie a renforcé un système fondé sur le clientélisme et le partage des ressources publiques entre les élites proches du pouvoir. L'élection de Santiago Peña en 2023 a confirmé cette continuité. Ce proche d'Horacio Cartes, homme d'affaires et ancien président de 2013 à 2018, incarne l'aile conservatrice et néolibérale du parti. Mais c'est véritablement Cartes qui reste l'homme fort du pays, malgré ses implications dans de nombreuses affaires de corruption et ses liens présumés avec le narcotrafic et le blanchiment d'argent. La justice semble largement soumise au pouvoir politique et l'assassinat du procureur Marcelo Pecci en 2022 (il était spécialisé dans la lutte contre le crime organisé), en pleine lune de miel en Colombie, a brutalement rappelé l'influence grandissante du crime organisé dans le pays dont la position stratégique en fait une plaque tournante pour l'acheminement de la drogue (cocaïne venant des pays andins et marijuana cultivée sur place) vers le Brésil et l'Europe.
Une économie vulnérable et peu diversifiée
Depuis plus de 20 ans (hors période Covid), le Paraguay affiche une croissance moyenne de 4,5 %, tirée par les exportations agricoles, l'élevage et la vente d'énergie hydroélectrique. Le secteur agricole représente 80 % des exportations, un tiers du PIB et un quart des emplois. On exporte maté, maïs, coton, blé, canne à sucre, tournesol, riz, tabac, stévia, chia et sésame, mais surtout beaucoup de soja. Quatrième exportateur mondial, le Paraguay est même le premier si on rapporte sa production à sa superficie. En trente ans, les cultures de soja ont triplé, atteignant 3,5 millions d'hectares en 2024 pour 10,3 millions de tonnes, dont 95 % sont transgéniques. Longtemps interdites, les semences OGM se sont imposées de fait, les autorités ayant « découvert » trop tard que les compagnies sojeras utilisaient massivement les produits Monsanto. Vu le poids du secteur dans l'économie, un retour en arrière était impossible (voir le documentaire Le monde selon Monsanto, de Marie-Monique Robin). Sans revenir sur l'impact écologique du « tout soja », ses conséquences sur le monde paysan sont considérables. On estime que 1,6 % des propriétaires fonciers se partagent 80 % des terres, et que 94 % des terres cultivables sont exploitées de manière agro-industrielle. Avec la mécanisation, un seul employé agricole permet de cultiver 500 hectares de soja, alors qu'il en faut 4 pour cultiver 10 hectares dans l'agriculture traditionnelle !
La production de viande bovine est l'autre moteur économique du Paraguay. Officiellement, il y aurait 14 millions de têtes de bétail au Paraguay, plus de deux vaches par habitant ! Officieusement, il y en aurait beaucoup plus, les ganaderos se trompant un peu parfois lorsqu'ils comptent leurs bêtes, pour des raisons fiscales… Le Paraguay est dans les dix premiers pays exportateurs de viande bovine et l'activité emploie 260 000 personnes, entre élevage, transport, abattoirs, production de fourrage, etc. On estime que sur 100 kg de viande produite dans les estancias, 97 kg sont exportés au Chili, Brésil et Taiwan surtout, et seulement 3 kg finissent sur les parrillas paraguayennes !
L'hydroélectricité, via les barrages d'Itaipú (avec le Brésil) et de Yacyretá (avec l'Argentine), constitue l'autre grande source de revenus. C'est un secteur sensible sur le plan diplomatique, soumis à des traités binationaux sur la gestion et la tarification de l'énergie. Cette électricité bon marché attire par ailleurs de plus en plus de fermes de minage de cryptomonnaies. La ruée d'entreprises étrangères a entraîné une prolifération rapide de structures énergivores et très bruyantes, provoquant de nombreuses tensions avec les habitants vivant à proximité.
Enfin, le commerce transfrontalier fait vivre également beaucoup de monde. Ciudad del Este est l'une des plus grandes places commerciales de la région. Salto de Guairá, Pedro Juan Caballero et Encarnación bénéficient également des échanges transfrontaliers. Une bonne part des produits vendus sont des contrefaçons. La contrebande et les trafics sont si importants au Paraguay que certains pensent qu'il faudrait créer un deuxième PIB pour mesurer cette économie informelle ! Les remesas, ces transferts d'argent des immigrés paraguayens, depuis l'Espagne ou l'Argentine, représentaient 731 millions de dollars en 2024. D'après certains experts, elles ont permis de réduire bien plus la pauvreté au Paraguay que les mesures prises par les gouvernements successifs…
Et le tourisme dans tout ça ? S'il attire avant tout des visiteurs argentins et brésiliens, pour des congrès ou pour faire du shopping, on croise aussi quelques touristes internationaux (des Allemands surtout), dont certains décident de s'installer. D'après un rapport de l'Organisation mondiale du tourisme publié en mai 2025, le Paraguay est la destination qui enregistre la plus forte croissance au monde : +53 % d'arrivées de touristes internationaux au premier trimestre 2025 par rapport à la même période en 2024. « Cette reconnaissance reflète le travail conjoint du secteur public, du secteur privé et des communautés locales. Nous œuvrons avec passion pour montrer au monde que le Paraguay est un trésor à découvrir, avec sa culture vibrante, sa nature authentique et son hospitalité sincère », a déclaré Angie Duarte, ministre du Secrétariat national au tourisme (Senatur), après cette annonce encourageante. Le Paraguay est également de plus en plus visité par les Paraguayens eux-mêmes. Le nouveau slogan du Paraguay, « Abrazá Paraguay », leur est destiné et la Senatur a lancé plusieurs circuits thématiques, comme la Ruta Jesuitica ou la Ruta de la Caña pour encourager le tourisme interne. Elle a également accompagné un réseau de posadas turísticas (maisons d'hôtes) qui s'est beaucoup développé ces dernières années. Encore balbutiant, le tourisme offre donc une piste prometteuse pour valoriser, de manière plus durable, un patrimoine naturel et culturel qui mérite d'être mieux connu.
Les grands défis du Paraguay
Le Paraguay est sorti il y a plus de trois décennies de dictature, mais le clientélisme et les achats de votes font toujours partie du folklore paraguayen, tandis que la corruption gangrène depuis longtemps les plus hautes sphères politiques, administratives et judiciaires. Selon Transparency International, le Paraguay est l'un des pays les plus corrompus au monde (149e sur 180). Un fléau qui freine toute possibilité d'avancées économiques et sociales. Un autre problème majeur du Paraguay est l'hyperconcentration des terres, phénomène qui a fait partir près de 2 millions de paysans vers les villes depuis 30 ans, et a favorisé le creusement des inégalités. En 2024, près d'un quart des Paraguayens vivaient avec moins de 3 dollars par jour, et l'Indice de développement humain (IDH) qui prend en compte la santé, l'éducation et le niveau de vie, plaçait le Paraguay en 102e position sur 193 pays. Dans un pays où la pression fiscale est faible, l'exportation massive de soja ne profite qu'à une faible partie de la population, sans parler des incidences environnementales. L'accaparement des terres indigènes et paysannes par intimidation et menaces de la part des hommes de main des grandes compagnies sojeras reste d'actualité. Les autorités ne font pas grand-chose pour l'empêcher, ce qui génère parfois de graves conflits. Une guérilla est même apparue en 2008 dans le nord du pays. L'EPP (Ejército del Pueblo Paraguayo) réalise de temps en temps des enlèvements et assassinats ciblés, mais ne compterait plus qu'une vingtaine d'hommes. Beaucoup pensent que l'État se sert de l'existence de ce minuscule groupe terroriste pour criminaliser les revendications légitimes des organisations paysannes. Quant aux étudiants, ils sont aussi en première ligne des manifestations, de plus en plus nombreuses dans un pays qui en a longtemps été privé. La lutte contre la corruption, l'amélioration du système de santé et de retraite, la défense de la démocratie et de l'environnement, sont parmi les thèmes récurrents des mouvements sociaux de ces dernières années.