Des prémices de la viticulture à nos jours

Un cadeau des dieux

Selon la mythologie, c’est Cronos qui emporte la vigne en Crète et c’est Zeus qui, par la suite, va l’offrir au roi Minos, laissant à Apollon la tâche de transmettre les instructions et les secrets concernant la production du vin. Ce qu’il faut lire derrière les mythes, c'est que, par sa situation géographique exceptionnelle, son relief et climat, la Crète réunissait toutes les conditions qui favorisaient l’agriculture et, en occurrence, la culture de la vigne. En effet, lorsque les premiers habitants se sont fixés sur l’île, ils ont trouvé une terre hospitalière pour que la vigne qu’ils emmenaient avec eux prenne racine sur cette nouvelle terre propice.

Les premières traces de viticulture en Crète faisant preuve irréfutable de la culture de la vigne ont été découvertes à Myrtos, dans la région de Lassithi. Il s’agit de pierres mises au jour lors de fouilles archéologiques et qui appartenaient à un établissement proto-minoen datant du IIIe millénaire av. J.-C.  Après avoir examiné les restes organiques – grains de raisins pressés, restes végétaux, sarments, cristaux acides – incrustés sur les pierres d’un mur, les archéologues attestent l’existence d’un produit combustible à base de raisins. Plus encore, des évidences irréfutables font état de l’ajout de la résine dans ce produit-là. Il s’agit d’une découverte importante puisqu’elle a dévoilé au grand jour les plus anciens indices concernant les méthodes de la vinification en Grèce.

Par ailleurs, l’examen des résidus d'un pot tripode datant de 1900-1700 av. J.-C., trouvé également à Myrtos, révèle l'existence d'un vin résiné que l’on stockait soit dans un tonneau de chêne fumé, soit dans un tonneau à l’intérieur duquel on ajoutait de morceaux de chêne fumé. Les archéologues sont arrivés à cette conclusion suite à la découverte des lactones de chêne détectées dans le pot. Ils en ont même déduit que le goût de ce produit à base de raisins ressemblait à celui du whisky écossais.

À ces découvertes concernant la vinification s’ajoutent celles qui concernent la production du vin : un ancien pressoir à vin découvert sur le site de Fourni ainsi que l’ancien vignoble de Vathypetro, à proximité du village Archanes, démontrent que les opérations permettant de produire le vin étaient déjà très au point à partir de 3500 av. J.-C.

Au fil des ans, la culture de la vigne et la production du vin se placent au centre de la vie sociale, économique et religieuse tandis que les connaissances et pratiques qui se développent autour de la viticulture ne cessent de s’accumuler. Les vignobles s’organisent un peu partout sur l’île, la production du vin devient rapidement extensive. L’excédent de vin devient un produit renommé d’exportation et joue un rôle décisif dans cet ample mouvement d’échanges que la Crète a entretenus pendant des siècles avec le monde extérieur.

La période romaine

Lorsque la Crète devient une province romaine, elle a dû couvrir les besoins en vin de l’Empire. Les Romains se tournent vers les Crétois puisque les vignobles de la péninsule italienne ne suffisaient plus à satisfaire la demande croissante et à apaiser la soif de vin des nouveaux maîtres du monde impérial. Ceci a permis, à nouveau, aux Crétois de se vanter de la qualité de leur vin.

Les plaines et les collines de l’île se transforment assez vite en de vastes vignobles, tandis que les méthodes de vinification s’améliorent suite à l’importation de nouveaux cépages et du savoir-faire romain. Encore une fois, les amphores débordant de vin arrivent sur la péninsule romaine et le succès commercial trouve un nouveau souffle. La qualité de ce vin est jugée remarquable et appréciée pour ces propriétés médicinales, également.  De nombreux écrivains grecs et latins de cette époque-là font l'éloge du vin crétois, considéré comme étant d’une qualité irréfutable. En témoigne l’embouchure d’une amphore découverte à Pompéi sur lequel on peut lire en latin « CRET EXC », ce qui selon les experts signifie « Vin crétois exceptionnel ».

Domination vénitienne

L’histoire du vin se reflète à plusieurs reprises dans les importantes étapes de l’histoire de la Crète. Parmi les points culminants, l’occupation vénitienne qui a duré plus de 400 ans. Sous les nouveaux dominants, la viticulture crétoise atteint son apogée.  Cela est dû à la production de malvasia, le vin le plus célèbre de l'époque, dont les Vénitiens gardaient le monopole et le commerce. Autour de 1415, plus de 20 000 tonneaux de vin sont exportés depuis les ports de la Crète chaque année tandis qu’un siècle et demi plus tard, les exportations atteignent les 60 000 tonneaux. Toutefois, les experts n’ont pas fini d'émettre des hypothèses quant à l’origine, les méthodes de production, les cépages et les caractéristiques de ce vin tellement loué par les bons vivants. Il n’en reste pas moins que, de nos jours, un arrière-goût de ce vin puisse encore se détecter dans un verre de vin provenant d’un vignoble traditionnel crétois.

La période ottomane

Sous l’occupation ottomane, la viticulture en Crète connaît la déchéance. La production de vin ne dépasse que rarement le seuil des monastères ou les frontières des villages. Cela dit, c’est dans ce cadre restreint de production que certaines pratiques ont été mises au point dont certaines ont survécu jusqu'à aujourd'hui. Parmi elles, la création d’un nombre remarquable de petits propriétaires de vignobles et même de viticulteurs amateurs, tous très fiers de l’ « authenticité » de leurs méthodes de production et de la qualité unique du vin produit.

Le XXe siècle

La Crète est libérée du joug ottoman à la fin du XIXe siècle. La nouvelle administration, assez progressiste, s’est penchée sur la réorganisation et la modernisation de la production agricole. C’est dans ce cadre que renaît la production viticole et non sans succès. En effet, lors de l'exposition internationale organisée à Hania au début du XXe siècle, 18 étiquettes sont récompensées pour leur qualité.

Le vin crétois aujourd’hui

De nos jours, la Crète couvre 20 % de la production vinicole de Grèce avec une production annuelle qui dépasse les 95 000 tonnes. La viticulture et la vinification systématique se concentrent autour des nombreux vignobles et producteurs des régions d’Héraklion, Lassithi et Hania. De ces trois départements, c’est celui d’Héraklion qui est en tête avec 70 % de la production crétoise et trois labels AOVDQS : Archanes, Peza et Dafnes.

À Hania, la viticulture organisée et la vinification ont mis du temps à se développer, car les vignobles se limitaient volontairement à la satisfaction des besoins restreints de leurs propriétaires. Toutefois, grâce à cette tendance, plusieurs vignobles traditionnels ont été préservés et c’est ainsi que marouvas, le vin traditionnel de Crète, a été préservé. D’autre part, Hania est devenu le centre de deux excellents cépages : le roméiko (rouge) et le muscat spina (blanc). Le développement impressionnant du département est en outre dû aux variétés du Rhône, le grenache, le mourvèdre, le syrah (rouges) et le roussanne (blanc). Enfin, on retrouve également une production intéressante autour des kotsifali et mandilaria (rouges) et athiri, assyrtiko, malvasia aromatica, vilana et thrapsatheri (blancs).

Les vins produits dans cette préfecture bénéficient d’une IGP de Hania ou de Crète, lorsque les vignobles sont limitrophes du département. On peut également signaler l’IGP de Kissamos, où la variété roméiko prédomine.

Sous l'occupation vénitienne, la région de Lassithi était l'un des principaux centres de production de vin doux de Malvasia. De nos jours, c’est autour de Sitia que se développe la zone la plus importante en superficie viticole. L’AOP de Sitia comprend des vins secs et doux, rouges ou blancs, que l’on produit à partir des variétés liatiko, mandilaria, vilana et thrapsathiri. La plus récente AOP est celle de Malvasia-Sitia. Il s’agit de la production d'excellents vins blancs doux naturels, élaborés soit à partir de raisins séchés au soleil, soit par fortification avec ajout de distillat. Les variétés autorisées sont : liatiko, athiri, thrapsathiri, assyrtiko, malvasia di candia aromatica, muscat de spina. Sinon, les producteurs ont droit au label IGP Lassithi ou IGP Crète.

Le Marouvas : vieilli comme le bon vin

Les souches de l’histoire de ce vin se perdent dans la période vénitienne. Le terme « marouvas » n’est pas attribué à une certaine catégorie de vin. Il signifie tout simplement « vin vieilli » puisqu’il doit séjourner en fût de chêne de 500 à 600 litres pendant au moins 2 ou 3 ans. Il est assez courant que ces fûts ne soient pas lavés pour garder les sédiments de vin des années précédentes. Ainsi, de nombreux producteurs sont fiers de pouvoir dire que leur tonneau contient du vin vieux de 100 ans. Les caractéristiques de ce vin emblématique sont un goût d’oxydation, une couleur proche de celle d’un bon bourbon, un taux élevé d’alcool.

De nos jours, les grands producteurs crétois se penchent sur ces vieilles pratiques et mettent en bouteille un « marouva » plus élaboré qui porte le caractère de l'oxydation dans sa forme la plus élégante. Mais, il est certain qu’en sillonnant les villages, on peut apprécier quelques verres d’un excellent marouvas en vrac et prendre goût à ce vin qui porte le sceau de l’indiscutable identité vinicole de Crète.

Le raki : l'eau qui redonne la vie !

Emblématique, chaque gorgée de cette eau-de-vie contient le goût de la tradition, de l’authenticité et l’hospitalité crétoises. Boisson fruitée, elle porte les parfums, couleurs, mœurs et états d’âme de l’île.

Le terme « raki » dérive du terme rax qui, en grec ancien, désigne la baie d’une grappe de raisin ou la tige de raisin. Et c’est ce terme-là qui, plus tard, à Rome, va être attribué à Bacchus qui protège, également, l’eau-de-vie de raisins, le Racemite Bacchus ! Le terme « tsikoudia » dérive de tsikouda qui dans le dialecte local désigne les grains des raisins.

La tsikoudia produite selon les règles ne peut être que pure, c'est-à-dire qu'elle ne contient pas d'alcools industriels ni de colorants et, surtout, aucun ajout d’anis. En apéritif ou digestif, elle est la reine de la convivialité et de la bonne humeur et se boit d’un seul trait, accompagnée de petits mets salés ou sucrés (à consommer avec modération, comme il se doit).

En termes de production, la tsikoudia est définie comme le produit de la distillation du marc de raisin dans des alambics discontinus. Selon la législation en vigueur, la teneur en alcool doit être supérieure à 37,5 % vol.

En règle générale, la tsikoudia faite maison est de très bonne qualité. Ces dernières années, le développement du secteur vinicole en Crète a inévitablement conduit les grands producteurs à produire une excellente tsikoudia. On compte actuellement dans le commerce une dizaine d’étiquettes qui méritent vraiment d’être dégustées sur place, avant de les glisser dans vos bagages !