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Les Tehuelche et les Mapuche : peuples de guerriers

Ces tribus bien différentes se partageaient la zone méridionale de la Patagonie avant la Conquête du Désert. Originairement, les Mapuche occupaient la partie chilienne des Andes, mais dès le XVIIIe siècle, les assauts des colons espagnols les obligèrent à migrer vers la Patagonie argentine. Ils se mélangèrent ainsi aux Tehuelche et leur imposèrent même leurs coutumes et leur langue. De stature plus modeste, les Mapuche avaient une société plus complexe. Leur culture était bien plus développée, notamment parce qu’ils étaient chasseurs, mais aussi agriculteurs, et qu’ils vivaient en sédentaires sur leurs terres. Ils connaissaient les tissus et la poterie et jouissaient de leur propre calendrier, qui régit toujours aujourd’hui certaines de leurs festivités. Leur dieu portait le nom de Nguenechen ; il créa tout ce qui existe, il domina toute la terre et permit la vie et la fécondité. Toutefois, ils ne possédaient pas d’expression écrite ; la transmission des légendes et de leur histoire s’effectuait par voie orale. De manière assez ironique (et comme dans bon nombre de colonies de l’époque) l’écriture mapuche naquit avec l’expansion des Espagnols et l’évangélisation qui s’ensuivit. Le massacre de la conquête économique du XIXe siècle n’a toutefois pas éradiqué la présence mapuche dans cette zone. Réputés pour leur qualité de guerriers intrépides, les Mapuche affirment encore souvent avoir résisté à deux grandes vagues de colonisation : les Incas et les conquistadors. Aujourd’hui, on considère qu’il subsiste environ 600 000 Mapuche au Chili, et 300 000 en Argentine. Les Tehuelche, aujourd’hui complètement disparus, inspirèrent les premiers récits des navigateurs européens, qui les nommèrent « Patagons » (« grands hommes » selon un ouvrage espagnol populaire à l’époque). Le développement de leur culture se heurta au climat difficile : vents violents, hivers rudes. Ils ne pouvaient ainsi cultiver la terre, pauvre en matière organique ; de fait, ils menaient une vie nomade et établissaient des campements. Leur nourriture était essentiellement basée sur la chasse du guanaco et du nandou ; mais ils recueillaient aussi des racines et des graines, avec lesquelles ils préparaient de la farine. Lorsque leurs excursions nomades les menaient jusqu’à la côte atlantique, ils collectaient aussi des fruits de mer et chassaient les mammifères marins. Ils travaillaient le cuir de ces derniers avec divers outils de pierre et fabriquaient des bottes, des couvertures, ou s’en servaient même pour construire leur demeure passagère.

Les peuples de la Terre de Feu : les Fuégiens

Les Fuégiens étaient 7 000 au XIXe siècle, 600 en 1924 puis plus que cent en 1940. Aujourd’hui, ils ont complètement disparu. Quatre peuples minuscules composés d’une vingtaine de milliers d’individus se partageaient les immensités hostiles de la Terre de Feu : les Haushs (ou Manekenk), les Onas (ou Selk'nam), les Yaghans (ou Yamanas) et les Alakalufs (ou Kaweskars). Affrontant sans cesse les éléments d’une nature puissante, ils représentaient un miracle d’adaptation en dépit des jugements atroces qui furent portés sur eux par Cook, Darwin et Bougainville. Malgré des descriptions et des études d’ordre géographique ou ethnologique, on connaît malheureusement mal l’histoire et les mœurs des Fuégiens.  

Les Alakalufs vivaient dans l’actuelle Terre de Feu chilienne et dans les environs du détroit de Magellan. Ils se déplaçaient au gré des saisons et de leur nourriture composée notamment de cholgas (moules géantes) d’où leur nom d’ailleurs, tiré du yaghan halakwulup, signifiant « mangeur de moules ». Nomades de la mer, ils possédaient 30 mots pour définir les vents et un exceptionnel vocabulaire maritime pour désigner les marées, les courants et les changements climatiques. Marins et chasseurs de phoques, ils se déplaçaient d’un bout à l’autre du détroit de Magellan à bord de canaux. Au début du XIXe siècle, les Alakalufs étaient en totale perdition : devenus mendiants, arrachés à leurs traditions, ils héritèrent à tort d’une réputation de cannibales et du mépris de toute la société occidentale. Une famille embarqua pour Paris afin d’être exposée à l’Exposition universelle de 1878. En véritables bêtes de foires, tous les membres de la famille finirent par mourir. Le gouvernement finit par recueillir au poste de Puerto Eden, dans le canal Messier, les derniers Alakaluf. Privés de leur terre et de leur liberté, ils sont aujourd’hui à peine une petite dizaine à descendre directement de leurs ancêtres. Dans leur ouvrage Les Nomades, Pierre Bonte et Henri Guillaume écrivent ces lignes douloureuses : « À l’image de nombreux nomades, la plupart de ces populations ont aujourd’hui disparu ou ont été assimilées, au prix de leur identité. En Patagonie, les derniers Alakalufs qui parcouraient, à la recherche des colonies de phoques, les immenses fjords balayés par les vents glacés du Pacifique austral sont morts il y a une dizaine d’années. » Dans les années 1970, le commandant Cousteau témoigne dans son ouvrage, La Vie au bout du monde : « Nous ne nous faisions guère d’illusions sur ce que nous allions trouver en venant ici [...]. Mais la réalité dépasse nos pires craintes. Dans ce camp de Puerto Eden, non seulement une culture disparaît mais un peuple s’éteint physiquement. [...] Ce peuple, jadis fier et jaloux de sa culture, ne vit plus que de mendicité, d’un peu de cueillette de fruits de mer, et de maigres trafics avec les Chiliens ».

Les Yamanas étaient également des « nomades de la mer » ainsi que d’excellents artisans : chacun fabriquait ses outils, faits de bois et d’os, mais fort peu de pierres ou de minéraux comme le cuivre, qui abondait pourtant dans la région. Leurs paniers étaient faits de joncs et servaient à collecter les mollusques, les coquillages et les fruits. Sur l’eau, les hommes utilisaient des harpons sommaires (de 3 m de longueur, dont la pointe était formée par l’os côtier de la baleine) pour chasser les loups de mer ; à noter qu’on ne chassait pas la baleine en haute mer, mais seulement quand elle s’approchait assez des côtes (par fatigue ou par blessure). Les pingouins ou les cormorans constituaient leurs morceaux de chasse préférés. Constamment à bord de leurs canoës, ils se déplaçaient le long des côtes et passaient la moitié de l’année sur mer, leurs demeures terrestres n’avaient que peu d’importance. Enfin, ces populations ne s’habillaient pas vraiment ; ils se vêtaient d’une sorte de couverture qui recouvrait le dos (appelée tuweaki) ; autour de la taille, les hommes et les femmes se vêtaient d’un cache-sexe (taparrabo en espagnol) que l’on fixait aussi par une ficelle. Les corps étaient enduits d’huile de poisson et de graisse de mammifères marins pour protéger la peau des méfaits du climat. De nos jours, quelques métis (métissés avec des Chilotes surtout, habitants de Chiloé, l’archipel au sud de Puerto Montt) sont encore regroupés à Villa Ukika, près de Puerto Williams, sur l’île Navarino.

Les Selk'nams et les Haushs vivaient sur l’archipel de Terre de Feu, côté atlantique, dans les environs de l’actuelle Río Grande. Peuple nomade, ils parcouraient la steppe en quête de ñandús (l’autruche patagonne) et de guanacos qu’ils attrapaient à la course ! Aucun chef permanent ne dirigeait les tribus ; mais une certaine hiérarchie cimentait les liens sociaux : les chamans étaient investis du pouvoir de guérir ; les sages étaient les dépositaires des traditions mythologiques ; enfin, les guerriers étaient respectés pour leur expérience : de fait, leur position les apparentait parfois à celle d’un chef. C’est ce que rapporte encore Lucas Bridges : « Les Onas n’avaient pas de chefs ni héréditaires ni électifs, mais les hommes qui surpassaient les autres par leur habilité devenaient de fait presque toujours les dirigeants. Cependant, le chef d’un jour ne l’était pas forcément le lendemain, car ils pouvaient en changer en fonction d’un objectif particulier […] Kankoat dit : “Nous avons des chefs : tous les hommes sont capitaines et toutes les femmes sont des marins.” Au milieu du XIXe siècle, des chercheurs d’or s’établissent dans la région accompagnée du tristement célèbre Julius Popper. Principal responsable de l’extermination des Selk'nams et des Haushs, cet impitoyable tueur d’Indiens fonda plusieurs sites de prospections minières. Après l’arrivée des missionnaires, il ne restait plus que 2 000 Onas. Les Haushs, eux, disparurent sans laisser de trace. C’est à l’île Dawson que les missionnaires et les prêtres recueillirent alors ce peuple décimé. Ils construisirent alors des églises, des hôpitaux, des écoles, habillèrent leurs pensionnaires et les éduquèrent au christianisme. Contaminés par de terribles maladies transmises par les Européens, les indigènes furent affaiblis et en 1939, la mission de Dawson fut fermée. La dernière des Onas s’appelait Lola Kiepja. Elle vivait dans une cabane de rondins au bord du lac Fagnano. Seule à s’exprimer encore dans sa langue, plus personne ne pouvait la comprendre. Femme chamane et poète, elle mourut en 1966.

Ils avaient finalement le secret d'un passé plus riche et plus étonnant que nous le pensions à l'époque : c'est l'histoire du courage d'un peuple qui a dû se battre pour survivre et qui, hélas, a totalement disparu. Durant plus de trois siècles, ils empêchèrent la pénétration des colons sur leur territoire. Ils furent finalement vaincus bien qu'un peuple, lui, résiste toujours : les Mapuche. Leurs descendants ont maintenu vivantes leur culture et leur langue et travaillent encore quotidiennement pour les maintenir. Ils demandent aujourd’hui la restitution de leurs sols et le respect de leur mode de vie : des revendications sans répondant de la part du gouvernement chilien bien que la loi indigène du 5 octobre 1993 reconnaisse l’existence des peuples indigènes comme « part essentielle des racines de la Nation chilienne ». Ils seraient la seule exception – ou presque – au métissage chilien.

Une population métissée

À la suite du génocide indigène, les terres ont été successivement occupées par des immigrants rêvant du Nouveau Monde. L’Argentine a connu une très forte vague d’immigration au milieu du XIXe siècle. Celle-ci était principalement européenne et on comptait un grand nombre d’immigrants italiens, français et espagnols. Si Buenos Aires ne compte que 20 000 habitants en 1770, elle en comptait 150 000 en 1840. Puis, à partir de 1860, les Européens arrivèrent en masse par le Río de la Plata, : au moins 4 millions d’immigrants, principalement des Italiens (pour moitié), des Espagnols (pour un tiers), des Allemands, Russes, Européens de l’Est, Basques français, etc., s’installèrent définitivement entre 1870 et 1930. L’Argentine devint alors l’un des pays dont la population s’accrut le plus vite au monde. De son côté, la société chilienne est le résultat du métissage des différentes populations issues de l’immigration et des populations indigènes. Les immigrants au Chili furent Espagnols (Andalousie et Estrémadure tout d’abord, puis Castille), Allemands (à partir de 1850), Italiens, Yougoslaves (à Punta Arenas au début du XXe siècle), Anglais, Français, Syriens et Libanais). Par rapport à l’Argentine, cette immigration fut peu importante en nombre et très progressive. En Patagonie, parmi les immigrés européens on distingue quelques communautés de colons particulières. Tout d’abord, les Gallois ont été parmi les premiers colons européens à s’installer dans la province de Chubut, dès l’année 1865. Les raisons de cette immigration sont principalement historiques et culturelles : à l’époque, les Gallois se sentaient menacés par l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande et craignaient que leur communauté et leurs mœurs ne disparaissent face à la domination britannique. C’est pourquoi ils ont décidé de s’installer outre-mer afin de préserver leur identité et leur culture. Ils s’installèrent sur la côte atlantique et fondèrent les villes de Puerto Madryn et Rawson.  Au fur et à mesure des décennies, ces villes se développent et adoptent une identité mixte, bien loin de la culture galloise. Il faut partir du côté de Gaimán, fief de la culture galloise en Argentine, pour retrouver le témoignage de l’immigration : des fêtes religieuses commémorent le pays de Galles, la langue galloise a été réintroduite et l’architecture tout comme le drapeau expriment clairement l’identité du petit village. Mais l’expansion des Gallois ne s’arrête pas là puisqu’ils continuèrent à investir les territoires du Sud jusque dans les Andes : ils fondèrent également Esquel et Trevelín. Enfin, bien que l’Argentine soit très souvent perçue comme une terre d’asile pour les anciens nazis en cavale, la première vague d’immigration allemande en Patagonie remonte à la fin du XIXe siècle. Le recensement de Buenos Aires en 1853 comptait pas moins de 2 000 Allemands et la ville de Bariloche accueillait également lors de sa création une forte vague de colons allemands. Côté Chili, ils occupèrent principalement la région de Valdivia et les alentours du lac Llanquihue. À la même période, les Français représentent 10 % de la population argentine, ils sont pour la plupart bretons, savoyards, basques ou encore béarnais. Ils importent avec eux bon nombre d’influences culinaires, agricoles et artistiques qui s’ancreront par la suite dans la culture argentine.

Che boludo !

Attention à celles et ceux qui croient dominer l’espagnol ! L’accent campesino doublé de l’accent argentin pourra dérouter les plus novices... et au Chili, c’est encore une autre histoire ! Les Chiliens usent et abusent de termes qui n’existent que chez eux, regroupés sous l’expression chilenismo. Parmi lesquels : sipo ! (oui), pololo (petit ami), huevón (utilisé comme une insulte ou de manière affectueuse pour dire « idiot »), bacàn (génial)... Les origines de ces mots et de ces expressions sont assez floues, mais prennent racine dans la fusion du castillan avec les langues européennes et les variétés de mots et expressions indigènes. En effet, les Mapuche et les Aymara ont laissé des traces dans le « chilien » d’aujourd’hui, marqué par des sons et des façons de parler différentes. Il se peut que vous entendiez cette phrase, désormais proche du dicton « Si tu comprends l’accent chilien, tu comprendras n’importe quel accent ! ». En outre, tout le monde parle très vite, ce qui n’est pas fait pour faciliter la conversation, l’argot revient très fréquemment et certains mangent les « s » en fin de mot. On s’habitue, mais ce n’est pas commode au début. Cachai ? (Tu comprends ?) Enfin, l’Argentine aussi possède quelques spécificités concernant le castellano. La première règle est la suivante : le « ll » suivi d’une voyelle se prononce plus ou moins « ch ». De ce fait, caballo (cheval) se prononce « cabacho ». Cette distinction vous permettra de repérer très facilement un Argentin dans n’importe quel pays hispanophone. Autre changement notable, qui risque de vous dérouter au début : le espagnol est remplacé par le vos, qui s’accompagne d’une conjugaison particulière. Ainsi on dira vos creés à la place de tú crees ou vos querés à la place de tú quieres ! La conjugaison se permet ainsi quelques fantaisies : vos tenés du verbe tener, ou même vos sos du verbe ser… au lieu de tú tienes ou tú eres. C’est un peu le bazar, mais, point positif, cette mutation grammaticale est toujours respectée et l’on s’habitue au bout d’un moment. Vous finirez peut-être même par commencer vos phrases d’un « Che ! » ou « Che, loco ! » (Ou encore « Che, boludo ! »).