Moscou forteresse

La guerre et les conquêtes territoriales ont permis le succès du règne d’Ivan III. En conséquence, une grande attention a été donnée par le prince guerrier à faire de Moscou une forteresse imposante. La stratégie du grand-prince est simple : utiliser l’argent du tribut qu’il ne paie plus aux Mongols pour protéger la ville de leurs armées. Sous les conseils de sa femme italienne, Ivan III fait appel aux architectes Marco Ruffo et Pietro Antonio Solari (ce dernier ayant par ailleurs aussi travaillé à la construction de la cathédrale de Milan), qui réinventent l’architecture du Kremlin. L’affluence massive des Italiens (ou « Fryazin ») sous le règne d’Ivan III fait de lui le père de la Renaissance russe. Nos globe-trotteurs les plus actifs verront d’ailleurs les similitudes entre le château des Sforza de Milan et le Kremlin construits sur la même période à plusieurs milliers de kilomètres. Néanmoins, le Kremlin est un projet beaucoup plus ambitieux : sur plus de 2 kilomètres, une enceinte en brique de 3 à 6 mètres d’épaisseur et 5 à 17 mètres de hauteur vient remplacer celle en bois. Un profond fossé entre la Moskva et la Neglinnaya transforme la fortification en île. Enfin, un périmètre de tours complète l’ensemble. Les plus célèbres sont celles du Sauveur et Nikolskaïa donnant sur la place Rouge ; la tour de la Trinité Troïtskaïa et la tour Borovitskaïa donnant sur le jardin Alexandre.
La défense de la ville ne s’arrête pas aux murs du Kremlin, Ivan III lance la construction d’un cercle de monastères fortifiés autour de la capitale, dont la plupart valent le détour. On compte les monastères Danilov – siège actuel du Patriarcat orthodoxe de Russie et ancienne prison NKVD –, Simonov (en reconstruction) et Novospaski – crypte des Romanov avant qu’ils n’accèdent au trône au XVIIe siècle – au sud. Le monastère Andronikov à l’est comprend le Musée central de la culture et de la peinture russe ancienne et le plus ancien bâtiment de Moscou : sa cathédrale du sauveur (éponyme). Ce cercle défensif est complété ensuite par les monastères Novodievitchi, Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2004, et Donskoï à l’ouest.

Moscou capitale

L’influence architecturale de Ivan III ne s’arrête pas aux aspects militaires. Certains des monuments les plus marquants de la ville sont de son fait, à commencer par la place des Cathédrales dans l’enceinte du Kremlin. Pour ses travaux, un grand nombre d’architectes italiens de tout horizon se rencontrent et le centre du Moscou du XVe siècle est un mélange unique entre les écoles vénitienne, bolonaise, milanaise et la tradition russe.
En premier lieu, la construction de la cathédrale de la Dormition, la première église en pierre de Moscou et la plus grande du Kremlin, a lieu entre 1475 et 1479. Son architecte Aristotile Fioravanti, aussi responsable des plans du palais du Podestat de Bologne, crée un chef-d’œuvre architectural quasiment inchangé depuis, qui devient un haut lieu du pouvoir russe. Les tsars, à commencer par Ivan IV, s’y sont fait couronner et marier ; les patriarches orthodoxes – élire et inhumer. C’est sur son parvis qu’Ivan III déchira symboliquement le traité qui soumettait Moscou à la Horde d’or et déclara l’indépendance de la Russie. La relation d’Ivan III avec son architecte est discutée : certaines chroniques content qu’Aristotile serait mort en captivité, emprisonné par Ivan III pour avoir demandé à retourner chez lui, en Italie.
Le second édifice que l’on peut faire remonter à Ivan III est l’église de la Déposition, construite entre 1484 et 1485. Sa version actuelle est une reconstruction après le grand incendie de Moscou de 1737.
Enfin, la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel, achevée en 1508 par l’Italien Aloysius le Jeune, vient compléter l’ensemble. Elle est la nécropole des Grands-princes de Moscou et des premiers tsars (dont Ivan III) jusqu’à Pierre II. Sous les tsars, les victoires militaires étaient célébrées dans son enceinte en honneur du chef de la milice céleste.
Juste à côté se trouve le clocher d’Ivan le Grand, terminé aussi en 1508, qui culminait à 82 m. À l’époque, la plus haute tour de la ville, elle est maintenant intégrée au palais du Kremlin.
Cet ensemble religieux est assorti d’un complexe palatial qui ne sera pas complété sous le règne d’Ivan III. Si le palais à Facettes, œuvre des architectes Marco Ruffo et Pietro Antonio Solari, visible sur la place des Cathédrales, est fini de son vivant, le palais des Térems quant à lui ne sera terminé qu’après sa mort.

Moscou, la Troisième Rome

Vous avez sûrement déjà entendu parler de Moscou comme de la « Troisième Rome ». Cette expression devient populaire chez les religieux au XVe siècle et soutient que Moscou serait destinée à protéger la foi orthodoxe et la porterait la volonté divine héritée de la Rome impériale. En effet, alors que Byzance renommée Constantinople (aujourd’hui Istanbul) rayonnait comme la « deuxième Rome » aux mains de l’Empire romain d’Orient, sa conquête par le sultan Mehmet II en 1453 crée une vacance pour le siège principal de l’orthodoxie chrétienne et l’héritage de l’Empire romain. C’est pour prétendre à cet héritage romain que Ivan III se marie en 1472 à Zoé Paléologue (rebaptisée Sophie), nièce du dernier empereur. Alors même qu’elle n’a pas grandi à Byzance, elle prend son rôle au sérieux et rapporte avec elle les codes de l’étiquette impériale et le symbole de l’aigle à deux têtes qui sera celui de l’empire russe pour les siècles à venir. Ivan III commence alors à se faire appeler tsar, ou « César » pour signaler sa filiation, mais ce titre ne devient officiel qu’avec son successeur Ivan IV dit Le Terrible. Ivan III était intéressé par la création d’un puissant État centralisé plus que par idéalisme religieux. Il utilise donc l’idéologie de la Troisième Rome et fait construire des cathédrales en même temps qu’il encourage l’innovation militaire. Après sa mort, la Russie des tsars joue avec cette filiation romaine et religieuse, et Moscou est reconnue comme le siège du patriarcat autocéphale en 1589 par Constantinople. Le réformateur et Occidental Pierre le Grand élimine ensuite en 1725 toute allusion à cette pratique qu’il trouve d’un autre âge. Il faudra attendre le couronnement d’Alexandre II un siècle plus tard, en pleine réaction aux guerres napoléoniennes, pour que le titre « successeur des affaires de Constantin » et « souverain de la Troisième Rome » soit réutilisé dans un cadre officiel. Paradoxalement, la Troisième Rome vient à symboliser le particularisme russe face au monde, et cette idéologie est reprise par la philosophie des eurasistes de la « troisième voie » dans les années 1920, en passant par la promotion de l’Idée russe.