Guide de voyage Sary Tash

A 186 km d’Osh, la ville de Sary Tash marque la frontière entre le Kirghizstan et le Tadjikistan. Juste après le poste de douane, la route se divise. L’A371 part vers l’est et suit une des anciennes voies de la route de la soie qui mène vers la Chine par le poste d’Irkeshtam. Celui-ci est désormais ouvert aux touristes, mais il faut absolument avoir le visa chinois avant de se présenter à la frontière. Si l’on continue sur la M41, on arrive à la maison isolée au milieu de la vallée de Kyzyl Sou, qui sert de douane kirghize.Bordée au nord et au sud par une double muraille de cimes enneigées où culmine le pic Lénine, la vallée est majestueuse, mais inhospitalière. Les nuages coulent leurs gigantesques ombres dans ce couloir perpétuellement battu par le vent. En hiver, la température peut descendre jusqu’à moins cinquante degrés.Le poste de douane tadjik est niché au pied de la chaîne Alaïski. A la fois douane et poste vétérinaire, on y vérifie les papiers des véhicules, des marchandises transportées et les passeports des voyageurs. Il est impossible d’y passer sans visa tadjik spécifiant les villes de Mourgab et de Khorog. L’attente peu être longue, surtout pour les camions. Mais ce n’est que le premier d’une longue succession de postes tadjiks : mieux vaut s’entraîner à la patience dès le premier…La route qui conduit au col de Kyzyl-Art, à 4 282 m, est un patchwork de trous et de bosses fréquemment visité par les éboulements, les coulées de boue ou les avalanches. Un passage laborieux, été comme hiver. On peut atteindre le col en quelques heures comme on peut y rester coincé plusieurs jours… Les chauffeurs de camions racontent parfois des histoires à faire trembler le citadin ; tous sont restés au moins une fois bloqués en plein hiver, par moins trente degrés ou plus, les doigts gelés, les provisions épuisées.L’étranger s’extasie sur la beauté du paysage mais le chauffeur garde un étrange sourire un peu las : la vallée de Markansou est surnommée « la vallée de la mort ». Les verdures kirghizes sont oubliées, et les seules traces végétales sont les bois des poteaux électriques. Même en été, la température descend bien en dessous de zéro pendant la nuit. Le climat est sec, les précipitations annuelles atteignent seulement 64 mm et en été, les vents violents soulèvent d’énormes nuages de poussière.Dans cette mortelle vallée, il y a quelques années encore, on pouvait voir des cadavres de chevaux et de chameaux momifiés, tragiques restes des dernières caravanes commerçantes. A cause de l’altitude, les véhicules roulent moins vite, mais les Kirghiz l’expliquent tout autrement. Ils racontent que les prisonniers qui construisirent la route, périrent par centaines, d’épuisement, de froid ou de faim, et furent laissés sans sépulture le long de la route. Leurs fantômes errent encore dans la vallée de Markansou, veulent-ils retourner chez eux ou seulement avoir de la compagnie ? Personne ne sait, mais ce sont eux qui ralentissent les camions.Après le col de Kyzyl-Art et l’entrée sur le territoire tadjik, la route redescend à 4 000 m et le lac Karakul apparaît au détour d’un virage. Cet immense lac bleu émeraude – étrangement, son nom veut dire lac noir – est le plus grand lac du Pamir, 380 km² pour une profondeur maximale de 280 m. C’est aussi l’un des plus grands lacs de haute altitude puisqu’il est situé à 3 914 m. Son eau est salée, et les Kirghiz disent que c’est un lac mort car aucun poisson n’habite ses profondeurs gelées. Pourtant la rive ouest bénéficie de l’eau douce des glaciers, et à la fin des années soixante, on tenta, apparemment sans succès, d’y implanter des colonies de poissons en provenance des rivières de Sibérie. Le lac devrait son origine à la chute d’une météorite ou à des mouvements tectoniques de l’époque quaternaire. Il y a 100 millions d’années, il occupait une surface bien plus importante et communiquait avec la vallée de la rivière Kokouïbel au sud.Les analyses effectuées depuis le début du XXIe siècle montrent que le niveau de l’eau du lac augmente à nouveau : l’île Severni, située au nord du lac, était en 1900 encore reliée à la rive par une bande de terre. Une légende raconte que sur la grande presqu’île située au sud du lac se trouveraient des tombes de géants. Une route de terre, praticable en 4x4, conduit à l’un des lodges de chasseurs. Elle contourne le lac au pied des sommets enneigés, où domine le pic Lénine, suit la vallée de la rivière Kokouïbel et va jusqu’à la vallée de Bartang près du lac Sarez.Le plus photogénique poste de contrôle douanier est aussi le plus pénible pour les camions. Le poste du lac Karakul est particulièrement musclé pour les véhicules revenant de Khorog. Personne n’échappe à la fouille complète du véhicule, chambres à air comprises. Personne, sauf bien sûr ceux dont on ne parle pas et que tout le monde connaît ; la route ne fait pas mystère de ses trafics, mais le touriste a tout intérêt à les ignorer.La route principale longe encore la zone frontière avec la Chine pendant des dizaines de kilomètres. La véritable frontière est un peu loin, et le no man’s land qui sépare les deux voisins est le meilleur territoire de chasse de tout le Pamir. Les gardes frontières sont, paraît-il, très friands des « arak », enfermés dans cet immense couloir cerné de barbelés.A 4 655 m, les humains ne sont pas les seuls à souffrir de l’altitude, il faut voir les camions monter en marche arrière, à 3 km/h, le capot ouvert pour éviter la surchauffe. On en oublie ses maux de tête. Si l’hiver a été rude et se prolonge, les yourtes seront plus nombreuses le long de la route car les alpages sont encore enneigés. Ceux qui auront les moyens de se rendre plus à l’intérieur du plateau, dans la vallée de l’Oksou, pourront rencontrer un grand nombre de bergers et apprécier l’hospitalité de leurs yourtes.Peu avant Murgab une piste bifurque vers la Chine, et permet d’attendre le poste frontière situé au col de Qolma. La frontière entre la Chine et le Tadjikistan est désormais ouverte aux étrangers, à condition d’avoir les visas appropriés à l’avance.