Des débuts balbutiants entre néoréalisme et comédie à l’italienne

Le néoréalisme italien constitue l’apport principal de la Botte au cinéma mondial : le tournage en extérieur devient normal, permettant aux réalisateurs d’investir villes et paysages naturels et de se confronter directement à la réalité parfois misérable de l’après-guerre. Païsa (Roberto Rosselini, 1946) présente une Italie dévastée : les personnages y empruntent le Corridor de Vasari pour traverser une Florence fantomatique, hantée par une poignée de soldats allemands. Peut-être parce que l’Italie n’est pas avare en lieux pittoresques et dignes d’intérêt, les grands cinéastes de l’après-guerre ne s’attardent guère en Toscane. Fellini fait un bref passage à Chianciano Terme, qu’il affectionnait, pour Huit et demi (1963), ou à Florence le temps d’un bal dans le théâtre Goldoni pour I Vitelloni.  Et lorsque Visconti décide de situer ses Nuits blanches à Livourne en 1957, il récrée la ville et son port entièrement en studio, comme pour signifier son congé au néoréalisme. Mais c’est bien dans le charmant village de Volterra qu’il tourne Sandra (1965) avec Claudia Cardinale, adaptation d’Electre aujourd’hui un peu oubliée au sein de sa prestigieuse filmographie. La richesse sans pareille du cinéma italien des années 1960 s’incarne alors dans ce genre si particulier qu’on a appelé comédie à l’italienne, qui vient corriger le néoréalisme en y instillant une verve satirique d’une cruauté parfois extraordinaire, mais non exempte, pour ce qui est de ses plus grandes réussites, de tendresse. C’est le cas du Fanfaron (Dino Risi, 1962), qui met en scène la virée en voiture de Vittorio Gassman, incarnation du macho italien type, et de Jean-Louis Trintignant, étudiant réservé et influençable, dont la course vient s’achever tragiquement sur la côte toscane. Mes chers amis (1975) de Mario Monicelli, un autre fleuron du genre – qui a davantage vieilli –, présente d’éternels adolescents dont le passe-temps favori consiste à faire des farces à travers la Toscane. Zeffirelli, qui est né à Florence, fait se rejoindre passé et présent dans ses adaptations de Shakespeare ou dans sa version aux effluves hippies de la vie de saint François d’Assise, rehaussée par la musique de Donovan (François et le chemin du soleil, 1972).

Une Toscane entre visions touristiques et personnelles

Le cinéma dénote alors la fascination touristique exercée par un patrimoine d’une richesse inégalable comme dans Obsession (Brian de Palma, 1976), remake de Vertigo de Hitchcock et prétexte à une balade à travers une Florence romantique à souhait, avec ses tunnels comme tourmentés, ou la piazza della Signoria plongée dans la nuit, sous l’œil énigmatique de la basilique San Miniato. James Ivory, avec Chambre avec vue (1986), une adaptation du roman de Foster, renoue avec la tradition du Grand Tour qui voyait Britanniques et Américains sillonner l’Italie à la découverte de ses multiples richesses, artistiques comme paysagères. Une bonne partie de cette histoire d’amour raffinée se passe à Florence, dans la basilique Santa Croce, qui abrite le tombeau de Dante, sur la piazza della Santissima Annunziata ou sur la piazza della Signoria. Portrait de femme (Jane Campion, 1996), adaptation d’un roman de Henry James, où le choc de l’Ancien et du Nouveau Monde trouve dans les raffinements légués par la Renaissance un décor de choix, s’inscrit dans la même lignée. Cette vision jure peut-être avec celle de cinéastes du cru, comme les frères Taviani qui, en accord avec leur style, en présentent une version plus aride en même temps que plus conforme à la réalité dans Le Pré (1979), tourné à San Gimignano et dans la campagne alentour, ou dans La Notte di San Lorenzo (1982), exploration poétique du folklore toscan. Andrei Tarkovski, alors en exil en Italie, réconcilie les deux visions avec Nostalghia (1983), dont l’extrême austérité ne va pas sans offrir quelque récompense aux spectateurs les plus preux : l’abbaye de San Galgano, le village de Bagno Vignoni, l’abbaye San Salvatore y composent, entre autres, le portrait d’une Italie profondément spirituelle, immémoriale et hors du temps, où l’on dirait que les vieilles pierres sont douées de parole.

Éternelle, intacte, Toscane

Le cinéma italien, autrefois si fécond, connaît une sorte de déclin à la fin des années 1970. Les bien nommées années de plomb laissent place à une sorte de laisser-aller, de vide comblé en partie par les productions étrangères qui y trouvent peu à peu – et qui leur donnerait tort – une terre d’élection. On doit à Kenneth Brannagh une adaptation fidèle de Beaucoup de bruit pour rien (1993), qui plaira aux amateurs de Shakespeare et de la splendide villa de Vignamaggio dans laquelle elle fut tournée. Au fil du temps, la Toscane reste ainsi pareille à elle-même : dans Beauté volée de Bernardo Bertolucci (1996) par exemple, autre nom fameux qui n’y avait jamais posé ses caméras, est autant le récit d’une initiation sentimentale qu’une ode à la campagne toscane des environs de Sienne. Cette année est particulièrement remplie, puisqu’elle voit la sortie du Patient Anglais (Anthony Minghella, 1996), mélodrame flamboyant qui se partage entre Égypte et Toscane (dans la petite ville côtière de Viareggio, le village de Pienza ou l’ancien monastère de Sant'Anna in Camprena, qui est aujourd’hui un agriturismo). Quant à Dario Argento, le pape du giallo italien, il livre la même année une interprétation toute personnelle et forcément horrifique du syndrome de Stendhal, dans un film du même nom où sa fille, Asia, interprète le rôle principal et Ennio Morricone signe la musique. La Vie est belle (Roberto Begnini, 1998), fable sur l’horreur des camps d’extermination qui fut portée aux nues à sa sortie, commence dans la petite ville d’Arezzo. Mettant une ultime fois à l’honneur sa région natale et en particulier la charmante petite ville médiévale de San Gimignano, perchée sur une colline, Zeffirelli signe l’un de ses films qui a le mieux résisté à l’épreuve du temps, l’autobiographique Thé avec Mussolini (1999). Le point commun de bon nombre de ces films, c’est que la Toscane s’y présente comme un havre, comme c’est le cas une nouvelle fois dans Sous le soleil de Toscane (Audrey Welles, 2003), sorte de tract touristique hollywoodien pour la région. Cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas faire office de distraction tout à fait plaisante, en même temps que de prétexte à découvrir la jolie petite ville de Cortone. C’est en partie ici, ainsi qu’à Arezzo et à Lucignano, qu'Abbas Kiarostami, pour les adeptes d’une facture moins standardisée, filme dans Copie conforme (2010) une balade aux côtés de Juliette Binoche. L’œuvre, bavarde, donne comme le sentiment intime, presque en temps réel, de la douceur toscane. Loin de cette vision idyllique, la grande fresque de Marco Tullio Giordano, Nos meilleures années (2003), qui retrace sur six heures près de vingt ans d’histoire italienne, revient sur les inondations de Florence en 1966, quand les deux frères qui lui servent de protagonistes se portent volontaires pour venir en aide aux sinistrés. De son côté, Johanna Hogg dans Unrelated (2007) joue du contraste entre les névroses de riches Anglais en vacances et la splendeur imperturbable de la campagne qui les entoure. C’est près de Pienza et de Certaldo que les frères Taviani ont tourné leur avant-dernier film, Contes italiens (2015), adaptation de cinq nouvelles de Boccace qui témoigne d’un certain retour en forme et surtout retranscrit bien la beauté quasi miraculeuse des paysages toscans et des châteaux. Hasard du calendrier, Tale of Tales de Matteo Garrone, inspiré de contes de Giambattista Basile, sort la même année. De langue anglaise, beaucoup plus baroque visuellement, bénéficiant d’une distribution prestigieuse, il a été tourné partiellement en Toscane. Un épisode récent de James Bond (Quantum of Solace, Marc Forster, 2008) donne lieu à une course-poursuite sur les toits de Sienne qui a lieu, évidemment, pendant le Palio, et quelques vues de la côte toscane. Une des réalisatrices italiennes les plus prometteuses, Alice Rohrwacher, a tourné en partie l’un de ses films, Les Merveilles (2014) sur une famille d’apiculteurs, dans la province de Grosseto, à travers la nécropole étrusque de Sovana, les sources chaudes à Bagni San Filippo, ou encore le pittoresque village de Sorano. Egalement, la télévision s’est emparée de la riche histoire florentine pour raconter l’histoire de la famille Médicis et de son ascension pendant la Renaissance dans une série à succès pas forcément regardante sur l’exactitude historique (Les Médicis : Maîtres de Florence, 2016-2019). Enfin, le biopic House of Gucci de Ridley Scott, sorti en 2021, revient sur l'assassinat du petit-fils du fondateur de la maison Gucci, fleuron de la haute couture italienne fondée à Florence en 1921.