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Quelques spécificités québécoises

L'escalier Casse-Cou, qui relie Basse-Ville et Haute-Ville et le Château Frontenac, comptent parmi les vues reconnaissables du film d'Hitchcock. Il ne fut cependant pas le premier à y tourner un film noir, honneur échu à Fedor Ozep en 1947. Particularité rare dans l’histoire du cinéma, il tourne en anglais et en français deux versions du même film avec des acteurs différents (La Forteresse / The Whispering City). Des scènes sont tournées à la chute Montmorency voisine. La légende du muet, Buster Keaton, viendra pratiquement finir sa carrière au Canada avec The Railrodder (Gerald Potterton, 1963), qui le voit, monté sur une draisine, filer à travers le pays à l’invitation de l’Office national du film du Canada. Deux réalisateurs ont un peu auparavant exercé une influence décisive sur le cinéma du Québec, Pierre Perrault et Michel Brault, participant à une révolution plus globale : le cinéma direct. Le cinéma s’y présente sans afféteries comme une captation immédiate. Brault tournera un court-métrage à Québec en 1964, Geneviève, consacré aux premiers émois de deux adolescentes venues en ville pour le carnaval. Ce concentré de poésie porte le nom de l’actrice qu’il révèle, Geneviève Bujold. La ville de Québec enneigée sera le théâtre d'énièmes retrouvailles entre l’actrice et le réalisateur pour Mon amie Max (1994), douloureux drame maternel. La sensibilité de Perrault l’attire plus du côté des merveilles naturelles du Canada : à l'Isle-aux-Coudres dans Pour la suite du monde (qu’il coréalise avec Brault), près de Maniwaki pour une partie de chasse dans La Bête lumineuse (1982), sur l’île d'Ellesmere dans Cornouailles (1994) qui voit l’affrontement de deux bœufs musqués. Plus conventionnel, Kid Sentiment (Jacques Godbout, 1968), raconte l’histoire de deux adolescents, un après-midi d’été, qui vont courir les filles sur la terrasse Dufferin, caractéristique de l’époque et de cet affrontement entre traditions et révolution sexuelle.

La Belle Province mérite son surnom

Gilles Carles adapte pour le grand écran un roman célèbre de Roger Lemelin, Les Plouffe en 1981, chronique gouleyante du quotidien de la Basse-Ville dans les années 1940. Son succès donne lieu dans la foulée à une mini-série de Denys Arcand, juste avant que Le Déclin de l’empire américain (1986) ne révèle ce dernier sur la scène internationale. Quelques films abordent la riche histoire canadienne, comme le méconnu et passionnant Black Robe / Robe noire (Bruce Beresford, 1991), qui revient sur la colonisation du Canada en suivant le périple d’un missionnaire jésuite chargé par Samuel de Champlain de convertir les populations locales autour du lac Saint-Jean – Algonquins, Hurons, Innus – à l’époque où Québec n’était encore qu’un campement. Militant indépendantiste, Pierre Falardeau fait le récit de la prise d’otages par quatre felquistes – membres du Front de libération du Québec – qui a conduit à la crise d’Octobre en 1970 (relatée dans un film de Michel Brault, Les Ordres en 1975) dans son film Octobre (1994). Il évoque aussi le soulèvement de Patriotes francophones contre la Couronne anglaise dans 15 février 1839 (2001).

Les années 1990

Dans les années 1990, le cinéma québécois se met à adopter des recettes hollywoodiennes. Témoin de cette standardisation sauce québécoise, la série Les Boys (Louis Saia), initiée en 1997, suit les membres d’une équipe de hockey amateur et connaît un énorme succès. La production d’Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg, 2002) fait escale dans la capitale à la place Royale, au même moment où une nouvelle génération de cinéastes pointe le bout de son nez. Jean-Marc Vallée (décédé subitement en décembre 2021), Denis Villeneuve, pour les plus connus, s’en sont allés à Hollywood, quant à Xavier Dolan, sa productivité qui va sans faiblir fait qu’on ne l’oublie pas. Plus confidentiel, Francis Leclerc se distingue avec Une jeune fille à la fenêtre (2001) : dans les années 1920, une jeune fille de la campagne monte à Québec pour y poursuivre des études de piano. Tentative de polar crépusculaire, Mémoires Affectives, tourné entre Québec et La Malbaie, dénote un certain talent pour l’image. Ricardo Trogi n'a pas encore a notoriété qu’il mérite : sa trilogie autobiographique très réussie fait quelques incursions (1981, 1987, 1991 sortis respectivement en 2009, 2014, 2018) à Québec où il a longtemps vécu. Il y est revenu récemment pour filmer une série, La Maison Bleue, qui imagine un Québec indépendant à la suite du référendum de 1995.

Les réalisateurs contemporains

Quelques films sont consacrés à la population autochtone laissée pour compte : Ce qu'il faut pour vivre (Benoît Pilon, 2008) sur un vieux trappeur inuit qu’une tuberculose conduit à son grand désarroi dans un hôpital de Québec, ou Maïna (Michel Poulette, 2013), odyssée arctique se déroulant 600 ans avant l'arrivée des Européens. La beauté naturelle des paysages alentour constitue une sorte d’incitation permanente à filmer en même temps qu’elle procure un sentiment de liberté, comme avec l’éclatante beauté de la région de Charlevoix, autour de La Malbaie (Le Règne de la beauté, Denys Arcand, 2014). Franchissant fréquemment la lisière du cinéma expérimental, Denis Côté creuse une œuvre exigeante où la sauvagerie de la nature occupe une place importante. Adepte d’un cinéma formaliste, Sébastien Lafleur fait preuve d’un même penchant à la radicalité. Avec Tout ce que tu possèdes (2012), sur un professeur d’université qui choisit de s’isoler pour se confronter à son passé, puis Le Journal d'un vieil homme (2015), Bernard Émond poursuit une filmographie sobre, rigoureuse et mélancolique. Les films de Sébastien Pilote sondent la grisaille de l’arrière-pays et de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean (Le Vendeur en 2011, La Disparition des lucioles en 2018). À voir : Le Démantèlement (2013), chronique de l’apocalypse intérieure d’un homme vieillissant contraint de se séparer de sa ferme. Sarah préfère la course (Chloé Robichaud, 2013) ne se dépare pas d’une mélancolie typiquement québécoise. Louis Bélanger y ajoute une fantaisie toute particulière dans Les Mauvaises herbes (2018), dont le héros s’improvise cultivateur de chanvre. Ajoutons pour finir que le Québec s’est aussi jeté avec enthousiasme dans la confection de séries en tout genre.