Le calendrier peint sur l'horloge de l'Hotel de ville. © TravnikovStudio -shutterstock.com.jpg
La Maison Municipale de style Art Nouveau. © Pyty -shutterstock.com.jpg
Un char soviétique repeint en rose par David Cerny en 1991 avant d'être déplacé. ©  Sergey Kosachev -shutterstock.com.jpg

D’Arcimboldo à Mikoláš Aleš

Giuseppe Arcimboldo (1527-1593) est un peintre italien qui est appelé à Prague en 1562 au service de Ferdinand Ier, empereur du Saint Empire, pour être le portraitiste de la famille impériale. Il enrichira principalement les fameux cabinets d’art et de curiosités des empereurs Maximilien II et Rodolphe II, mais il retournera à Milan en 1587 et y mourra en 1593. Les tableaux fantastiques qu’il réalisa pour le cabinet des curiosités de Rodolphe II ont trouvé des admirateurs parmi les surréalistes. Au Louvre, les amateurs pourront contempler ses Saisons, une série de portraits faits d’assemblages de végétaux.

Petr Johannes Brandl ou Jan Petr Brandl (1668-1735) est un artiste du baroque tardif ou rococo, connu de son vivant, bien qu’il n'ait jamais quitté le pays. Un Buste d’apôtre créé peu avant 1725 trône dans la Galerie nationale à Prague qui a, après la chute du rideau de fer, consacré une salle entière à l’artiste. Surnommé le « Rubens tchèque » ou « le premier bohème de Bohême », il a peint à Mala Strana un tableau de Saint Joseph avec l'Enfant Jésus et la sainte Vierge (1702) dans l'église Saint-Joseph. Il a aussi réalisé la Vision de sainte Luitgarde, un tableau qui aurait poussé Matyáš Braun, un autre artiste important du baroque tchèque, à sculpter une œuvre – qui s’inspire fortement du tableau – destinée au pont Charles. La révolte, l'indocilité, la lutte contre les conventions, le conflit perpétuel avec la loi, les dettes et le vagabondage constituant une part inséparable de sa vie, il meurt abandonné de tous, dans une auberge de Kutná Hora.

Après avoir peint des paysages romantiques en extérieur, Joseph Mánes (1820-1871) a très vite participé au mouvement appelé « renaissance nationale ». Ce mouvement culturel d’inspiration nationaliste visait à repousser la pression allemande des Habsbourg et à affirmer l’identité tchèque. Joseph Mánes est l’auteur du premier calendrier peint sur l’horloge de l’hôtel de ville (un cycle de douze idylles sur la vie du paysan tchèque) réhabilité au XIXe siècle. La plupart de ses tableaux ont une couleur patriotique, comme en témoignent des scènes de village et de paysans de Bohême, historique et mythologique.

Mikoláš Aleš (1852-1913) est l’un des principaux représentants de la peinture nationaliste tchèque. En 1878, il réalise la décoration du Théâtre national de Prague  avec des peintures sur le thème de la patrie. On peut encore visiter l’église de Vodňany, l’hôtel Rott et l’hôtel de ville actuel de Prague pour lesquels il a également réalisé des fresques. Il fonde, avec des amis artistes, le cercle artistique Mánes en 1887. Après avoir connu la faillite et vécu dans la plus grande pauvreté, l’artiste retrouve une certaine popularité vers 1900. Illustrations pour des magazines, des livres ou des poèmes, diplômes, invitations, jeux de cartes, faire-part, calendriers muraux et cartes postales forment son corpus d’œuvres constitué de plus de trois mille dessins et peintures.

De l’Art nouveau au surréalisme

L’Art nouveau émerge un peu partout en Europe à la charnière des XIXe et XXe siècles. En Europe centrale, on l’appelle Sécession, et il fait fureur à Prague entre 1890 et 1910. Vingt années pendant lesquelles cette vogue artistique va essaimer dans tous les quartiers de la ville.

Peintre, dessinateur, lithographe et affichiste, Alfons Mucha (1860-1939) est l’un des plus célèbres représentants de l’Art nouveau. Sa rencontre avec Sarah Bernhardt dans le Paris de la fin du siècle sera déterminante pour sa renommée. En effet, grâce aux bijoux et aux robes qu’il dessine à la demande de la célèbre actrice française, ses travaux sont exposés à Paris, Munich, Bruxelles, Londres, Vienne et Prague à partir de 1897. Ce banc d’essai lui permet de tenir une place importante à l’Exposition universelle de Paris en 1900. À Prague, paradoxalement, son triomphe est loin d’être assuré. Cet artiste, qui vit en France puis aux États-Unis, ne reviendra dans son pays qu’en 1910. Il est sollicité tout de même pour la construction de la Maison municipale (Obecní dům) qui monopolise les plus grands artistes. Il y réalisera les fresques de la salle du Maire et quelques médaillons, avant d’entreprendre la peinture de l’énorme cycle de L’Épopée slave, qui lui prendra plus de dix-huit ans et qui est aujourd’hui exposée dans le château de Moravský Krumlov.

Inspiré par les recherches chromatiques d’Edvard Munch, de Vincent Van Gogh et de Paul Gauguin, le mouvement expressionniste tchèque est plus particulièrement lié au groupe des Huit qui expose pour la première fois à Prague en 1907. Emil Filla, Antonín Procházka, Max Horb, Bohumil Kubišta, qui en devient membre en 1911, et Otakar Kubín nouent des relations d’échange artistique avec le groupe allemand Die  Brücke.

Créant un style spécifiquement praguois, le « cubo-expressionniste », qui s’appuie sur des thèmes d’inspiration biblique et mythologique, le groupe des plasticiens de Procházka et Kubišta expose pour la première fois en 1912 à la Maison municipale tout  juste  achevée. L’architecte Pavel Janák conçoit les  salles, les vitrines et les socles. Une grande sculpture d’Otto Gutfreund, L’Angoisse, domine l’exposition. Il s’agit en fait d’un « art total » utopique, regroupant la peinture, la sculpture et l’architecture, mais aussi l’aménagement d’intérieur, le design, les meubles, les objets et le graphisme.

František Drtikol (1883-1961) est un photographe tchèque, surtout connu pour ses photographies de nus et ses portraits influencés par le futurisme et le cubo-expressionnisme dans les années 1920. En 1910, Drtikol s’installe à Prague où il ouvre un studio avec un associé, Augustin Skarda, qui le laisse réaliser les photographies et s’occupe principalement de la gestion de l’atelier.  Il connaît un grand succès en réalisant des portraits de toute l’intelligentsia tchèque et européenne, voire même internationale. Il rencontre l’écrivain français Paul Valéry et le poète et philosophe indien Rabindranath Tagore, qu’il photographie alors. En 1935, il se retranche et décide de mettre de côté sa carrière de photographe qui l’a rendu célèbre. Il ferme donc son atelier et dans le plus grand anonymat continue son travail d’artiste avec d’autres médiums comme la peinture. Il apprend les techniques de la méditation, se consacre à l'enseignement du bouddhisme et traduit des textes religieux indiens et tibétains.

Proche du Bauhaus, du Vhutemas et du mouvement De Stijl, le mouvement tchèque Devětsil concilie le poétisme – une conception de l’art subjective et irrationnelle – et le constructivisme – une vision rationnelle et fonctionnelle qui tend au contraire à l’objectivité maximale. En 1923, le Devětsil organise une exposition intitulée « Bazar de l’art moderne » avec Jindřich Štyrský (1899-1942) et Marie Čermínová alias Toyen (1902-1980), ainsi que Josef Šíma (1891-1971). Les techniques du  photomontage, du collage, du montage typographique y sont utilisées pour créer des  tableaux-poèmes d’inspiration dadaïste. Membre de ce mouvement, le sculpteur Zdeněk Pešánek (1896-1965) inaugure peut-être le premier en Europe la sculpture cinétique produite avec l’électricité, des néons, de la Bakélite, des résines et du Plexiglas. En 1932, le Devětsil met fin à son activité.

Le poète Vitěslav Nezval est à l’origine de la fondation du groupe surréaliste praguois. Dès 1930, il publie la revue Zodiaque, qui fait connaître les activités du surréaliste français André Breton et des autres surréalistes parisiens, avec qui il noue des relations personnelles. En 1934, il fonde le groupe praguois avec Konstantin Biebl (poète), Vincenc Makovský (sculpteur), Jindřich Honzl (metteur en scène) et Bohuslav Brouk (psychanalyste). Štyrský et Toyen adhèrent aussi à ce groupe. Entre 1935 et 1938 – date de la seconde exposition du groupe praguois – Prague joue un rôle éminent dans le développement du surréalisme international.

De Josef Sudek au nouveau réalisme

Affilié à aucun mouvement, Josef Sudek (1896-1976) fait son service militaire à Kadaň. En 1915 il est enrôlé dans l’armée et est envoyé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale en Italie. Une guerre qu’il photographie. Il revient vivant du front italien, mais, amputé du bras droit, il bénéficie d’une pension d’invalide de guerre. Il décide de se consacrer à la photographie et son style pictorialiste fait penser à la peinture. En 1924, il fonde la Société photographique de Prague (Pražskou fotografickou společnost) grâce au soutien d’une association de photographes locaux. En 1927, il fonde son propre atelier de photographie. Aujourd’hui, le travail de ces années constitue l’un des meilleurs témoignages tchèques de l’entre-deux-guerres, puisqu’il photographie les mutilés de guerre. Il signe ensuite la restauration de la cathédrale Saint-Guy de Prague qu’il documente assidûment. De 1927 à 1936, il travaille comme photographe, toujours, pour le maison d'édition Dp (Družstevní práce) pour laquelle il réalise des portraits. Sa première exposition personnelle se tient dans cette même maison d’édition en 1932. Par la suite, des expositions personnelles s’enchaînent mais seulement à Prague. Son travail ne traverse pas la frontière tchécoslovaque. Durant la Seconde Guerre mondiale, Sudek s’enferme chez lui et produit la célèbre série « La fenêtre de mon atelier », à travers laquelle il peut voir son jardin, ainsi que la série les « Labyrinthes », l’intérieur encombré de son studio. Il sort la nuit photographier en cachette les rues de Prague. En 1975, son travail fait l’objet d’expositions à l’étranger, il meurt peu après.

Sous l’occupation allemande, des  artistes  et  des  écrivains  sont arrêtés  et  envoyés  en  camps  de  concentration, comme  Josef Čapek,  Filla  ou  Preissig.  D’autres sont  exécutés,  comme  le  romancier  Vladimir Vančura, un ancien membre du Devětsil. Cependant, le Groupe 42 fondé dans la clandestinité pendant la Seconde Guerre mondiale compte notamment parmi  ses  rangs  les  peintres  František  Gross, Antonin  Hudeček,  Kamil  Lhoták,  Ladislav  Zívr, le  photographe  Miroslav  Hák,  le  poète Jiří Kolář,  et  le  critique  d’art  Jindřich Chalupecký. Le groupe poursuit son activité jusqu’à la fin de la guerre, réalisant notamment toute une série  d’ouvrages  clandestins.

Après le putsch de février 1948, les associations d’artistes indépendantes sont  dissoutes  et  leurs revues  cessent  de  paraître. Le  Groupe 42 met fin à son activité. 1949 voit la fondation de l’Union des artistes tchécoslovaques, organisme centralisé dont le rôle est d’encadrer les artistes, de veiller au respect des orientations idéologiques du réalisme socialiste, de planifier et de contrôler les expositions, d’attribuer les ateliers et les commandes publiques.

Depuis 1989, une renaissance

En 1989, le mur de Berlin tombe et l’empire soviétique se délite partout en Europe de l’Est. Peu après la Révolution de velours, David Černý (1967), un sculpteur praguois et artiste conceptuel, repeint en rose le char Josef Staline en 1991 qui, érigé sur un piédestal, symbolise la libération de la ville de Prague par l'Armée rouge. Ce geste l’a rendu célèbre et il est devenu un sculpteur très connu, travaillant en particulier dans l’espace public. Monumentales, certaines de ses œuvres, entre pop et surréalisme, sont installées de manière pérenne dans les rues de Prague. Ouvrez grand les yeux !

De nos jours, graffeurs infatigables, Pasta Oner et Jan Kaláb (aka Point, aka Cakes) animent les rues de Prague. « God Saves, We Spend » dit le premier sur la société de consommation, quand le second, pionnier du street art en République tchèque, invente les fresques 3D sur les murs de la capitale. Il n’y a pas spécialement d’association praguoise pour le street art et les artistes de rue mènent leur carrière à l’international comme il se doit pour cet art sans frontière.

Dans le domaine de la photographie enfin, il faut évoquer Libuše Jarcovjáková (née à 1952 à Prague), photographe tchèque dont le travail a récemment fait l’objet d’une rétrospective aux Rencontres photographiques d’Arles (2019). Son style cru et poétique raconte la vie nocturne et underground de Prague, celle des minorités et de la communauté homosexuelle. Ses photographies en noir et blanc saisissent avant tout des instants de liberté en pleine période communiste. Longtemps resté dans l’ombre, le travail de Libuše Jarcovjáková est désormais internationalement reconnu. Elle vit aujourd’hui à Prague.