La Vocation de Saint-Matthieu, 1600.jpg
La Conversion de Saint-Paul, vers 1604. .jpg
Saint-Matthieu et l'Ange, 1602 .jpg

Le triptyque de saint Matthieu, le premier succès romain

Hier comme aujourd'hui, pour réussir à Rome il faut savoir s'entourer ! Le jeune Caravage l'avait déjà bien compris et ses fréquentations furent décisives. Son amitié avec le cardinal Francesco Maria del Monte, un esthète érudit dont il fut au service pendant trois ans après que ce dernier l'eut remarqué grâce à des tableaux comme La Diseuse de bonne aventure dont une copie est conservée aux Musei Capitolini, lui permit ainsi de recevoir sa première commande publique en 1599 : le triptyque de saint Mathieu. Ces toiles se trouvent dans la chapelle Contarelli de l'église San Luigi dei Francesi non loin de la piazza Navona. Cette commande fut originellement passée par le cardinal Matthieu Contarelli, un grand mécène qui participa à la reconstruction de la façade de l'église San Luigi dei Francesi. Toutefois, ce dernier mourut en 1585 et ne put jamais voir les toiles du maître orner sa chapelle. Aujourd'hui, il suffit aux visiteurs d'introduire une pièce de 2 € dans le système lumineux de la chapelle Contarelli pour que les œuvres du Caravage se dévoilent ! À gauche : La Vocation de saint Matthieu, au centre : Saint Matthieu et l'ange et à droite : Le Martyre de saint Matthieu. Ces trois tableaux représentent, comme leurs noms l'indiquent, des étapes cruciales de la vie de saint Matthieu. Conclu en 1600, Le Martyre de saint Mathieu se base sur la description de Jacques de Voragine dans La Légende dorée et met en scène la mise à mort du saint à l'issue d'une messe. La Vocation de saint Matthieu, qui illustre le moment où Dieu l'appela à l'apostolat, s'inspire directement de l'Évangile. Fait intéressant, on notera dans ce tableau un clin d’œil assumé à La Création d'Adam, la plus fameuse des fresques de Michel-Ange que vous verrez dans la Cappella Sistina lors de votre visite des Musei Vaticani. En effet, le bras tendu de Jésus vers Matthieu l'appelant à lui – répété par la figure de saint Pierre, devant Jésus – renvoie clairement à l'index de Dieu pointé vers Adam lors de sa création dans l’œuvre de Michel-Ange. Par cette référence, le Caravage rappelle son admiration pour ses prédécesseurs tout en imposant son style novateur, notamment dans un jeu de lumière unique. Le troisième tableau, Saint Matthieu et l'ange, au centre, fut réalisé deux ans plus tard, en 1602. L’œuvre que l'on admire aujourd'hui est la seconde version proposée par le Caravage puisque la première fut rejetée, car jugée trop triviale : saint Matthieu y croisait les jambes et on voyait trop ses pieds, pensez-vous ! Celle qui est exposée est beaucoup plus conventionnelle, on y voit le saint vêtu d'une tunique orange rédigeant son Évangile, sous la dictée d'un ange.

Le Caravage dans les églises

Après le triptyque de saint Mathieu, l'artiste amplifia sa production pour les plus grandes églises romaines et acquit une notoriété considérable auprès des grandes familles romaines qui aimaient son style unique, empreint de sa fougue et de l'héritage de ses illustres prédécesseurs, les peintres flamands et les grands maîtres de la peinture italienne. Un circuit de visite consacré au Caravage débuterait dans la basilica Santa Maria del Popolo, sur la monumentale piazza del Popolo, au nord de Rome. Cette église très discrète abrite deux trésors : La Conversion de saint Paul et La Crucifixion de saint Pierre. Situés dans la chapelle Cerasi, ces deux tableaux furent commandés au Caravage en 1600 et encadrent un autel d'Annibal Carrache. L'artiste proposa deux versions de ces tableaux mais la première, qui fut probablement refusée, appartient désormais à une collection privée et n'est, malheureusement, que très rarement exposée. La Conversion de saint Paul est l'une des œuvres principales du Caravage. Elle illustre brillamment l'épisode biblique où Paul entendit la voix de Dieu le menant à lui après une chute de cheval.

Pour continuer cette découverte des œuvres du Caravage dans les églises romaines, rendons-nous dans le centre historique, dans la basilica di Sant'Agostino plus précisément. On trouve, dans la chapelle Cavaletti de cette église du XVe siècle, La Madone des pèlerins, parfois appelée la Vierge de Lorette, peinte entre 1604 et 1606. Ce tableau époustouflant de détails et de réalisme représente la Vierge vêtue de manière populaire, faisant face à deux pèlerins agenouillés, les pieds sales comme vous le noterez. Par ces détails triviaux, le Caravage s'éloigne de l'esthétique religieuse canonique du XVIe siècle. D'ailleurs, plusieurs historiens de l'art ont affirmé qu'une courtisane, Maddalena Antognetti, aurait même servi de modèle pour la Madone ! Ce mélange de trivial et de sacré marqua l'esthétique du Caravage et se retrouve aussi dans La Mort de la Vierge, tableau aujourd'hui conservé au Louvre à Paris car refusé par les moines de l'église Santa Maria della Scala, dans le quartier du Trastevere, à laquelle il était destiné.

De galeries en musées, une production valorisée

Si certaines œuvres demeurent encore dans leurs églises d'origine, d'autres sont aujourd'hui exposées dans les musées de Rome, contribuant grandement à leur conservation. La pinacothèque des Musei Vaticani possède un seul tableau du Caravage, mais pas des moindres puisqu'il s'agit de La Déposition de la croix. Peinte entre 1602 et 1604, cette œuvre gigantesque qui s'inspire du dernier épisode de la Passion du Christ affirma le talent du peintre qui fut, après son exécution, reconnu dans le milieu artistique romain. Ce retable se trouvait, jusqu'au XVIIIe siècle, dans l'église Santa Maria in Vallicella, ou Chiesa Nuova, dans le centre historique.

Pour avoir un panorama complet de l’œuvre du Caravage, c'est toutefois à la Galleria Borghese qu'il faut se rendre : c'est le musée qui compte le plus d’œuvres de l'artiste à Rome. Parmi les plus emblématiques, on retrouve le fameux David avec la tête de Goliath qui illustre le moment où David arbore la tête de son adversaire après sa victoire. Très symbolique, il aurait été peint par le Caravage après l'homicide d'un joueur dans un tripot dont il fut accusé en 1606 et qui l’obligea à fuir Rome, condamné à la décapitation : l'artiste était décidément très irascible ! Certains historiens de l'art voient d'ailleurs dans la tête de Goliath un autoportrait du Caravage. Le peintre aurait envoyé cette précieuse toile à Scipione Borghese, neveu du pape Paul V, dans le but d'obtenir sa grâce et de pouvoir revenir à Rome, ville qui, comme on l'a vu, célèbre aujourd'hui son génie sans modération. Cette grâce ne fut pas accordée et l'artiste dut fuir à Naples, puis à Malte, avant de se rendre en Sicile, puis de nouveau à Naples. Il meurt à Porto Ercole, en 1610, laissant derrière lui une production unique.