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Naissance d’un mythe

Au cœur du mythe de l’Ouest américain, la Californie a fait fantasmer les artistes venus de partout avant de devenir un creuset d’écoles picturales. Ses paysages romantiques participent à la quête d’identité de la jeune Amérique. D’autre part, la conquête de l’Ouest est documentée par des peintres comme George Catlin (1796-1872) qui entreprend de constituer un musée indien. Portraitiste de la bourgeoisie américaine, il décide en 1828 de se concentrer sur les civilisations amérindiennes. Au cours de ses expéditions successives, il relate le quotidien de ces populations. Ses scènes de genre abondamment détaillées présentent les vêtements, les armes, les peintures corporelles, les us et coutumes dans de vastes paysages du Far West. Ce travail documentaire quasi ethnologique sera poursuivi par d’autres peintres et photographes, formés en Europe.

Au De Young Museum de San Francisco, la collection d’art américain la plus exhaustive du genre s’étend du XVIIe siècle à l’époque contemporaine. Dans le Golden Gate Park, ce musée englobe les arts de tous les continents. Plus de 27 000 œuvres constituent un véritable trésor national. Son département de photographie retrace toute l’histoire de la photo, en Amérique comme en Europe.

Photographie

La photographie est l'un des domaines de prédilection de la Californie. Les deux artistes phares de la Californie du Nord sont Dorothea Lange et Ansel Adams. Dorothea Lange (1895-1965) est connue pour ses clichés sur la Grande Dépression qui a suivi le krach de 1929. Elle documente la misère rurale pour le compte d’administrations américaines. Ses missions donnent lieu à des portraits en noir et blanc, d’une profonde humanité, qui continuent de marquer les esprits.

Le pionnier de la photo écolo se nomme Ansel Adams (1902-1984). Il demeure une référence dans le domaine de la photographie de paysage. Personne ne glorifie mieux que lui la beauté majestueuse de Yosemite National Park, de la côte Pacifique et de Big Sur. Le groupe f/64 qu’il fonde en 1932, avec Edward Weston et Imogen Cunningham, sonne les débuts d’une photo artistique pure, sans aucune manipulation. Le procédé du « zone system », qu’il élabore avec Fred Archer, permet d’ajuster l’exposition et le contraste afin de créer une profondeur et une clarté inédites. Ansel Adams ouvre à San Francisco la première galerie de photographie et d'arts plastiques, en 1933. En 1945, il fonde le département de photographie du San Francisco Art Institute, premier programme de la région dédié à l'art photographique. De nos jours, Yosemite Village abrite l’Ansel Adams Gallery.

L'impressionnisme californien

En peinture, une tendance impressionniste s’affirme au tournant du XXe siècle . Les artistes peignent en plein air, inspirés par les paysages sauvages de la Californie. Ce courant se répand sur la côte autour de la baie de San Francisco et dans le sud de l’Etat dans les années 1920 et 1930. La California Plein-Air School se caractérise par ses tons lumineux, ses traits de pinceau libres, qui ne sont pas sans rappeler l’impressionnisme français. Ce style continue de séduire en Californie plus tardivement qu’en Europe.

Les impressionnistes californiens se réunissent dans les grandes villes, San Francisco, Pasadena et Los Angeles, ou à Carmel-by-the-Sea et Laguna Beach. Ils forment des associations, telles que le Painters and Sculptors Club. Les premiers représentants de ce courant viennent d’autres Etats. Cependant, l’un des plus célèbres, Guy Rose (1867-1925) nait dans une famille aisée de Californie, à San Gabriel, et accède à la renommée dès la fin du XIXe siècle. Ses natures mortes peintes à l’huile sont acclamées dans les Salons. En 1888, Rose prend la direction de Paris et fréquente les grands noms de l’art. Rentré aux Etats-Unis, il s’installe à New York en tant qu’illustrateur. Dès 1899, il décide d’acquérir une résidence en France, à Giverny, où il produit une œuvre marquée par Claude Monet, le maître du genre avec qui il se lie d’amitié. En 1914, la famille Rose retourne à Los Angeles ; dès lors, il poursuit une carrière d’enseignant.

Le tonalisme du Nord

Dans le Nord de la Californie, dès les années 1890, la seconde génération de peintres se détourne des paysages grandioses, au profit d’un style plus intime. La couleur et l’émotion engendrée par le lieu sont au cœur de ce courant. William Keith, « le doyen des peintres de Californie du Nord », se consacre à ses débuts aux grands formats jusqu’à ce qu’il opère un tournant, après un voyage à l’étranger. L’ambiance d’un paysage qu’il souhaite épuré passe au premier plan. Il donne ainsi naissance au tonalisme, tendance qui retranscrit le climat frais et brumeux du Nord. La composition est sobre, la gamme chromatique réduite. Parmi les membres qui se joignent à cette tendance : Charles Rollo Peters qui peint au clair de lune, Xavier Martinez et le muraliste Giuseppe Cadenasso, deux membres du Bohemian Club qui ont fait connaître San Francisco au monde entier. Également issus du tonalisme, Arthur et Lucia Mathews prennent la tête du Bay Area Arts and Crafts Movement.

En 1915, on bâtit le Palace of Fine Arts pour accueillir l'Exposition internationale Panama-Pacifique qui fait découvrir l’impressionnisme français à San Francisco. La palette des peintres californiens s’enrichit. La peintre E. Charlton Fortune forme la colonie d'art de Carmel, avec pour enseignant William Merritt Chase. Deux peintres déjà renommés pour leurs vues marines rejoignent l’association, William Ritschel et Paul Dougherty.

Art de Plein-Air

Dans le Sud de la Californie, la scène artistique est quasi inexistante jusqu’au XXe siècle.  Avec l’ouverture des premières galeries d’art, les peintres développent un art coloré et lumineux, en accord avec l’ensoleillement du Sud.  William Wendt peint la Californie au printemps. Guy Rose rapporte l’influence de Giverny. D’autres viennent s’installer en Californie comme Benjamin Brown ou Fernand Lungren, originaire du Midwest, qui prend pour thème le désert au fil des saisons. Il fonde la Santa Barbara School of the Arts en 1920. Le peintre le plus marquant de cette mouvance est peut-être Richard E. Miller que Rose rencontre à Giverny. Ensemble, ils enseignent à Pasadena. Peintre de la lumière colorée, Miller délaisse peu à peu les paysages pour privilégier les modèles féminins. Son dessin plus marqué, ses compositions plus structurées, et sa palette qui s’assombrit à la façon de Renoir exercent une vive influence sur ses contemporains.

La Grande Dépression précipite le déclin de l’impressionnisme américain, bientôt relayé par des explorations modernistes.

Bay Area Figurative Movement

Le « mouvement figuratif de la baie de San Francisco », ou École de San Francisco, est actif dans les années 1950-1960. Il réunit des artistes qui proposent une alternative figurative à l’expressionnisme abstrait alors dominant. Leur démarche est soutenue par des institutions dont le San Francisco Art Institute. On distingue trois générations d’artistes. La First Generation rassemble les peintres abstraits David Park, Richard Diebenkorn, Elmer Bischoff, Wayne Thiebaud et James Weeks. À la fin des années 1940, l'art abstrait est produit par de nombreux plasticiens. Cependant, l'idée d'abandonner complètement le sujet des réalisations ne les convainc pas. En 1950, le californien David Park surprend avec la peinture kids on bikes, révélant ses sujets tout en restant dans l'abstrait. Deux autres générations suivront : la « bridge génération » (Henrietta Berk, Paul Wonner, Nathan Oliveira entre autres) puis la « seconde génération » qui regroupe des élèves de la première génération.

Après un séjour au Mexique, Richard Diebenkorn redevient l'un des chefs de file du mouvement en 1955. Peintre de l'expressionnisme abstrait, il se tourne progressivement vers l'art figuratif. Sa série Ocean Park, peinte entre 1967 et 1988, fait de lui une icône internationale, et le symbole de la Bay Area Figurative School.

Ce courant fait partie de la Renaissance de San Francisco, élan qui bouleverse tous les domaines de la création entre 1945 et 1960. D’abord sensible en poésie et en littérature, cette renaissance se traduit par des lectures, données dans des galeries d’art, dont celle de la Six Gallery qui lance la Beat Generation. Harold Martin Silver, dit Jack Micheline, retranscrit le blues et le jazz en peinture. Il expose des peintures murales à l’Abandon et au Planet Bookstore de San Francisco au moment de son décès survenu dans un train.

Photorealism

Ce mouvement né dans les années 1960 est inspiré par le pop art et le minimalisme new-yorkais. Il s’affirme en réaction à l’abstraction, tendance peu suivie en Californie. Le photoréalisme se base sur la reproduction la plus précise possible d’une photographie, que ce soit en peinture, en sculpture, ou tout autre média. Tous les détails et expressions de l'humain sont dévoilés afin de transmettre des émotions ou même des messages politiques. Les deux grands représentants de ce style, Ralph Goings et Chuck Close, sont tous deux exposés au SFMoMA, le musée d’art moderne de San Francisco.

Une galerie d’œuvres photoréalistes se trouve au Crocker Art Museum de Sacramento.

Le renouveau du plein air

À la fin des années 1970, Theodore Lukits (1897-1992) invite ses élèves à renouer avec la tradition californienne de la peinture au grand air. Nés dans les années 1950, ses élèves Peter Seitz Adams, Arny Karl et Tim Solliday arpentent la région dans le but de peindre et revigorent  le California Art Club. Les expositions collectives qu’ils organisent imposent l’impressionnisme américain sur le marché de l’art. La California Plein-Air Painting intéresse un nombre croissant de collectionneurs, historiens et conservateurs. Sur la côte centrale, la tradition est perpétuée par Ray Strong (1905-2006) qui fonde le groupe Oak qui dynamise le milieu artistique de la région de Santa Barbara.

En 1981, le Los Angeles County Museum of Art consacre une exposition à la naissance de la peinture californienne de plein air.

En 1985, l’artiste Denise Burns forme l’association des Plein-Air Painters of America (PAPA) puis, en 1986, lance avec Roy Rose le Festival annuel des peintres sur l'île de Santa Catalina. Les manifestations de plein air, au cours desquelles les artistes peignent en public, se multiplient. On doit ce type de manifestation, toujours prisé en Californie, au Plein-Air Revival. Signalons le Festival de Santa Ana et de Carmel-by-the-Sea.

En parallèle, de nombreuses galeries d’art en Californie sont spécialisées dans l’impressionnisme, comme le Laguna Museum of Art de Laguna Beach. Le Musée Irvine, qui couvre l’art californien, présente une collection impressionniste.

Art conceptuel

Dès les années 1940, les artistes fuient la Grosse Pomme, trop coûteuse et compétitive, pour Los Angeles. Les écoles d’art poussent comme des champignons. Elles attirent d’illustres enseignants qui forment les futures célébrités dont John Baldessari, Mike Kelley et Paul McCarthy. Pour mémoire, ce dernier, avait installé au cœur de la place Vendôme à Paris son « Tree », une sculpture aux airs de sex toy gonflable.

Les artistes conceptuels John Baldessari (1931-2020) et Edward Ruscha (né en 1937) associent langage, photographie et pop art. Ruscha, admiré pour ses livres d’artiste, collabore en 1962 à l’une des premières expositions Pop Art, « New Painting of Common Objects ». L’événement réunit à Pasadena des artistes tels que Roy Lichtenstein, Andy Warhol ou encore Jim Dine. Tout au long de leur carrière, Baldessari et Ruscha mêlent les moyens d’expression pour aboutir à une unité, souvent dans des séries répétitives. Baldessari se démarque par sa poésie visuelle, ses collages destinés à provoquer l’œil et l’esprit. Après avoir détruit les peintures de ses débuts, dans les années 1980, il gomme les visages de ses photos qu’il remplace par des ronds colorés. L’ensemble de son œuvre est récompensé par le Lion d’Or de la 53e Biennale de Venise.

L’artiste conceptuelle Barbara Kruger devient célèbre pour ses photomontages en noir et blanc, inspirés de coupures de presse et frappés de slogans. On peut admirer Thinking of You, au Museum of Contemporary Art de Los Angeles.

Performances

Mike Kelley (1954-2012) se joint à la scène artistique de Los Angeles en 1976 et se distingue à travers ses performances. Son travail s’articule autour de grands projets, dans lesquels il intervient de différentes manières, autour de questions sociales et philosophiques. Peinture, écrits, objets, collages, photographies, son œuvre protéiforme trouble le spectateur. Son contemporain Chris Burden (1946-2015) quitte Boston pour perfectionner son art à l’Université d’Irvine, tout en étudiant la physique, la gravure et l’architecture. Ce touche-à-tout réalise des performances remarquées en Californie ; dans Shoot exécutée en 1971 à Santa Ana, il se fait tirer dans le bras. A partir de 1975, il se tourne vers les installations qui ont pour thèmes la science et la politique. Il collabore avec l’artiste Nancy Rubins, son épouse, qui incorpore la sculpture, la photographie et d’occasionnelles pièces d’avion.

Energie forever

L’énergie créative de la Californie est entretenue par les vagues d’artistes qui continuent d’affluer d’un peu partout. Les préoccupations s’actualisent. Indissociable du mouvement gay, la photographe Catherine Opie, née en 1961, s’établit à Los Angeles, où elle milite pour les causes LGBT et queer. Sa série de portraits sur fond neutre coloré, Being and Having, joue avec l’ambiguïté des genres dès 1990. Tout en documentant la marginalité, elle se rapproche par son style des portraits de la Renaissance flamande.

Bien installée sur la scène internationale, la nouvelle vague d’artistes basée à L.A. multiplie les expérimentations. Ruben Ochoa remanie l’espace urbain pour offrir un aperçu de ce qui se cache derrière les murs ; Matthew Brandt renouvelle la photographie expérimentale pour questionner le quotidien et le lien au réel ; dans ses installations, Mark Hagen jongle avec toutes les techniques.

Parmi les centres d’art de pointe : à San Diego le Museum of Contemporary Art San Diego et le spectaculaire The Broad à Dowtown L.A.

De l’art mural au street art

San Francisco est aussi le berceau de l’art mural. Le peintre mexicain Diego Rivera y séjourne en 1930 avec sa compagne et peintre Frida Khalo. Il peint à cette occasion deux fresques murales à la Stock Exchange Tower (aujourd’hui The City Club of San Francisco) et au San Francisco Art Institute. Quatre ans plus tard, ce sont ses disciples qui peindront les fresques murales de la Coit Tower. Une vingtaine d’artistes locaux emmenés par Victor Arnautoff ou José Moya del Pino répondront ainsi aux commandes d'État dans le cadre des grands travaux du Work Projects Administration (WPA).

Récemment, la communauté artistique s’est insurgée contre le projet de mise en vente de l’œuvre de Rivera du San Francisco Art Institute, The making of a fresco showing the building of a city (1931). Estimée à plus de 40 millions de dollars, sa vente aiderait à sauver l’institution de la ruine causée par la pandémie. Les réactions montrent à quel point l’œuvre fait partie intégrante de San Francisco.

Autre actualité pour Rivera, sa gigantesque fresque de 23 m de long Pan American Unity, peinte en 1939 sur des panneaux (et donc transportable) a quitté temporairement le City College of San Francisco qui l’abrite. Le temps qu’un nouvel espace y soit créé pour l’accueillir, on peut l’admirer au SFMoMa jusqu’à l’été 2023.

De nos jours, c’est dans le quartier coloré de Mission District que le street art s’épanouit à San Francisco. Plus de 600 peintures murales se déploient sur les murs, principalement le long de Balmy Alley et Clarion Alley.

À Los Angeles, direction l’Arts District à l’est du Downtown, pour une balade entre art des rues, restos sympas et galeries hype. Cœur battant de ce quartier en plein boom, The Container Yard (ou TCY) intervient en tant qu’incubateur de talents de tous horizons, dans un espace unique. Expositions, événements, rencontres, détente et culture, tout ce qui fait la richesse de la Californie se retrouve ici. Incontournable !