Une littérature millénaire

Il faut remonter à l’époque lointaine où l’écrit prend le pas sur l’oralité, celle où les cynferdd, premiers bardes, ont succédé aux druides et pris place aux côtés des souverains. En ce VIe siècle naissent Taliesin et Aneirin, tous deux ont laissé leur nom sur des livres que les historiens et les linguistes peinent encore à dater avec certitude. Une chose est certaine, Hanes Taliesin et Y Gododdin constituent les premières œuvres d’importance de la littérature celtique galloise. Autres textes fondateurs, ceux qu’a rédigés en latin l’évêque gallois Geoffroy de Monmouth dans la première partie du XIIe siècle. Au vu du nombre d’exemplaires retrouvés, considérable pour l’époque médiévale, son Histoire des rois de Bretagne (Historia regum Britanniae) acquiert immédiatement le statut de ce que l’on nommerait aujourd’hui un best-seller. Cet ouvrage est aussi l’un des premiers à mettre en scène le roi Arthur et Merlin l’enchanteur, ce qui pousse au débat, toujours en cours de nos jours. Ainsi, soit l’auteur n’a fait que traduire, comme il l’affirme, l’introuvable Britannici sermonis liber vetustissimus rédigé en breton, et dans ce cas la légende est basée sur des faits historiques, soit ses déroulés ne sont que le fruit de son imagination…

En 1282, le Gwynedd, l’un des principaux royaumes du pays de Galles au Moyen Âge, s’incline devant les Anglais. La tradition poétique ne se perd pas pour autant, mais elle évolue par son inspiration, préférant l’amour courtois aux louanges guerrières, et dans sa forme, se soumettant au cywydd, mètre complexe enseigné par la guilde des poètes professionnels, selon un apprentissage qui, se dit-il, durait plusieurs années. Bien que n’appartenant pas à cet ordre, Dafydd ap Gwilym (XIVe siècle) use à la perfection de cette forme particulière, il rivalise en technicité avec son contemporain, Iolo Goch. Un autre art était prisé en ces temps anciens, le conte, improvisé par les cyfarwydd pour le plus grand plaisir de la cour. Les Mabinogion en sont un savoureux exemple. Ces quatre récits s’inspirent de la mythologie celtique de l’Antiquité, à laquelle s’ajoute, évidemment, la légende arthurienne. Poésie et mysticisme continuent d’évoluer de pair, Henry Vaughan (1622-1695) n’avait-il pas un jumeau alchimiste avant de se tourner lui-même vers la métaphysique ? Sa poésie est rude et riche de symboles, elle reflète son amour pour le pays de Galles et une certaine inquiétude quant aux tensions en cours. Au XVIIIe siècle, sous l’impulsion de Goronwy Owen, les bardes gallois décident de se réunir lors d’une eisteddfod, la dernière remontant à 1450, et d’annualiser leurs assemblées. Edward Williams (1747-1826), plus connu sous son nom bardique, Iolo Morganwg, organise quant à lui la première gorsedd, rencontre littéraire, en 1792, sur la colline Primrose de Londres. Son livre, Druid’s prayer établit un rituel précis, poursuivant l’idée que la culture druidique n’a succombé ni au christianisme ni aux persécutions. Mais l’homme est également faussaire, certains vers qu’il attribue à Dafydd ap Gwilym, et dont il est pourtant l’auteur, sont repris à tort dans des anthologies, ce qui, avouons-le, est gage d’un génie certain.

Les temps modernes

Le XIXe salue la naissance de celui qui est considéré comme le premier romancier de langue galloise, Daniel Owen (1836-1895). Si sa jeunesse a des airs dickensiens, son père meurt à la mine en même temps que deux de ses frères, le thème de ses compositions se rapproche également de l’œuvre du remarquable écrivain anglais. Rhys Lewis prend place à Mold, sa ville natale, Owen y raconte la pauvreté des mineurs, l’injustice et le réconfort dans la foi, quand celle-ci n’est pas enseignée par des hommes violents. Très prisés, ce roman ainsi que sa suite, Enoch Huws, sont toujours lus aujourd’hui. Dans un style totalement différent, Arthur Machen, né à Caerleon en 1863, s’essaye au fantastique, les lecteurs français pourront d’ailleurs se délecter de ses romans, Le Grand dieu Pan ou La Colline des rêves, republiés par les éditions Terre de brume, et sa plume s’avère si réaliste que sa nouvelle The Bownen, parue dans le Evening News du 29 septembre 1914, dans laquelle il raconte que des anges envoyés par saint Georges sont venus au secours de soldats mis à mal sur le front de bataille, est prise au pied de la lettre. Il mettra des années à essayer de couper court à la légende urbaine qu’il a créée, malgré lui. Lors de cette même guerre perd la vie, pour de vrai, Ellis Humhrey Evans dont le surnom, Hedd Wyn, Paix blanche, prend dès lors un accent tragique, surtout au regard de ses trente ans. Le jeune fermier et poète gallois a durablement marqué ses pairs, tout autant que la chaise qu’il laissa inoccupée lors du National Eisteddford de 1917 quand, par trois fois, l’archidruide prononça son nom, lui le lauréat, avant de comprendre qu’il ne reviendrait pas. Un autre mort de la Première Guerre mondiale aura une influence notable sur une auteure en devenir, Kate Roberts (1891-1985). En deuil de son frère, celle-ci se réfugie dans l’écriture. Dans ses nouvelles, son premier recueil O gors y brynaiau est publié en 1925, puis dans ses romans, dont Traed mewn cyffion, elle décrit la pauvreté, mais aussi la lutte. La relation épistolaire qu’elle entretiendra avec Saunders Lewis durant près de 40 ans est restée célèbre, ils auront en commun leur engagement politique, le poète ayant fondé le Plaid Cymru (parti national du pays de Galles) tout en enrichissant la littérature galloise de ses vers et de ses pièces. Enfin, il n’est pas possible de clore ce XIXe sans citer Bertrand Russell qui lui a pourtant largement survécu, étant décédé en 1970, à 97 ans. Libre penseur, philosophe émérite, mathématicien, c’est pour sa littérature qu’il est récompensé par le prestigieux Prix Nobel en 1950. Nombre de ses œuvres sont disponibles en français, notamment ses Écrits sur l’éducation réédités par Écosociété au début de l’année 2019.

Le pays de Galles peut s’enorgueillir que le XXe lui soit tout aussi fécond. En 1913, Ronald Stuart Thomas naît à Cardiff. Amoureux de sa culture, c’est pourtant en anglais qu’il se décide à écrire, laissant derrière lui pas moins de 1 500 poèmes, dont la simplicité rivalise avec la beauté, et qui lui valent d’être distingué par la Reine en 1964. Son presque homonyme, Dylan de son prénom, voit le jour l’année d’après, mais c’est bien tout ce qui les rassemble, puisque le premier, prêtre anglican, fréquente les églises quand le second leur préfère les pubs. Mort précocement à 39 ans, certainement d’une défaillance du foie, Dylan Thomas n’en a pas moins laissé derrière lui une œuvre qui est considérée comme l’une des plus brillantes de la littérature de langue anglaise. D’aucuns pourront en juger, découvrant son autobiographie, Portrait de l’artiste en jeune chien aux éditions Points, ou ses poèmes, dans l’anthologie Ce monde est mon partage et celui du démon, disponible chez le même éditeur. Le siècle n’a que 16 ans et fête la naissance d’un auteur incontournable pour les enfants de tous âges. Roald Dahl est élevé au pays de Galles par des parents norvégiens. Orphelin de père dans sa prime enfance, il n’attend pas sa majorité pour s’en aller à la découverte du monde. Sa carrière de pilote de chasse lui inspire la première nouvelle qu’il écrit, A piece of cake, et il s’épanouit dans cette littérature pour adultes, tout en mettant sa plume au service de la jeunesse, un talent récompensé par une très grande renommée internationale. James et la grosse pêche, Charlie et la chocolaterie, Les Gremlins, ou encore L’énorme crocodile, nombreuses sont les histoires qui continuent d’allumer une étincelle de joie dans l’œil des lecteurs, quelle que soit leur génération. Honoré par de multiples récompenses, Roald Dahl s’est notamment vu remettre le Prix Edgar-Allan-Poe, en 1954 et 1960, distinction qu’il partage avec une autre figure célébrée bien au-delà des frontières galloises, Ken Follett. Étudiant en philosophie à Londres, le jeune homme retrouve sa Cardiff natale dans les années 70 pour y devenir journaliste. Une écriture efficace, des descriptions historiques minutieuses, une construction sans faille qui entretient le suspense, telle est la recette imparable qui lui vaut le succès dès son premier livre, L’Arme à l’œil, en 1979. Rares sont ceux qui ne se sont pas essayés aux Piliers de la Terre, ou qui n’ont pas consacré de longues nuits blanches à terminer son autre trilogie, Le Siècle.

Aujourd’hui, la littérature galloise se porte bien, même s’il lui arrive de prendre des chemins inattendus, tel le succès de la très jeune Beth Reekles (née en 1995) qui a signé un contrat avec Random House UK en 2012, suite aux 19 millions de lectures de son manuscrit, The Kissing Booth, qu’elle écrivait sur Wattpad. Netflix en a commandé une adaptation, le film est sorti en 2018 et la version française est disponible chez Hachette Livres. Dans le même temps, les Gallois n’ont pourtant pas oublié leurs racines, et encore moins leur parler ancestral, car, comme le veut le dicton, cité par Ifor ap Glyn, poète national couronné par deux fois par le toujours très attendu National Eisteddfod, « Cenedl heb iaith, cenedl heb galon », « Une nation sans langue est une nation sans cœur ». Il est à parier qu’au cours de ce nouveau millénaire qui débute à peine, les écrivains gallois sauront encore trouver les mots justes pour franchir toutes les frontières, toutes les mers.