La Porte Dauphine de la ville de Québec © meuninerd Shutterstock.com.jpg
Marché de Bonsecours à Montréal © Richard Cavalleri Shutterstock.com.jpg
Château de Frontenac © mervas Shutterstock.com.jpg
04_Biosphère de Montreal © jnnault - iStockphoto.com .jpg

De l’influence française à la naissance d’une architecture vernaculaire

Entre 1660 et 1760, les colons français impriment leur marque sur le paysage québécois. Cherchant à tout prix à défendre ses positions stratégiques et à séparer de manière claire la ville des faubourgs, l’administration coloniale fait ériger de nombreuses fortifications, à l’image des remparts de la ville de Québec qui entourent la ville sur près de 5 km. À côté de ces ouvrages défensifs, les Français vont développer une architecture imprégnée de classicisme. Tout est recherche d’élégance et de raffinement dans le plus pur style « Grand Siècle ». Si le château Saint-Louis de Québec et son élégante symétrie classique ont aujourd’hui disparu, on peut encore admirer le baldaquin de l’église de Neuville (plus imposante pièce de mobilier de Nouvelle-France d’alors) ou le clocher du Sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré avec son double tambour et ses coupoles. L’architecture religieuse prend dès cette période une grande importance et les plus vieux édifices de la province sont religieux. À Montréal, le Séminaire de Saint-Sulpice, dont l’édification commence en 1685, suit un plan de type palatial avec trois corps de logis entourant une cour d’honneur. La chapelle des Récollets à Québec a, elle, été édifiée en 1670 et propose un plan avec une abside carrée et une seule nef recouverte d’une fausse voûte en demi-cercle pour l’isoler du toit.

C’est en effet le climat qui va progressivement transformer l’architecture de la province et lui donner ainsi une identité propre. C’est dans l’évolution de l’habitat individuel que cela transparaît le plus clairement. En arrivant au Québec, les colons ne peuvent guère s’inspirer de l’habitat des peuples amérindiens nomades puisqu’ils cherchent au contraire à se sédentariser. Ils vont donc employer des styles qu’ils connaissent, d'où les premières habitations de style breton, normand ou occitan. Mais ces premières maisons en pierre ou mélange de pierre et de terre avec un toit de chaume et un sol en terre battue ne sont guère adaptées au rude climat du Québec. Dès lors, les colons vont s’inspirer des techniques de construction navale et privilégier le bois, les doubles cloisons et l’usage de matériaux isolants (mousses, chiffons…). Le solage est désormais en pierre et les toits sont très pentus pour éviter l’amoncellement de neige. Le climat a imposé la naissance d’une architecture intimement liée à la nature. Fin XVIIe et début XVIIIe siècle, un changement s’opère entre monde urbain et monde rural. Alors que les campagnes gardent cette architecture de bois, de nombreux incendies poussent les municipalités à se doter de lois d’aménagement urbain et à réglementer les constructions. Le bois est interdit et les maisons en pierre de taille sont privilégiées. La toiture à double pente est portée par une charpente plus légère et surtout amovible en cas d’incendie.

Classicisme britannique

De la conquête de 1760 au milieu du XIXe siècle, les Anglais marquent durablement le Québec, tant en termes de style architectural que d’urbanisme. Ils importent ainsi le style palladien très en vogue à l’époque. Inspiré de l’architecte du XVIe siècle Andrea Palladio, ce style classique fait la part belle aux frontons, pilastres et autres colonnes doriques et ioniques. En 1781, le gouverneur de la province se fait construire une incroyable villa sur les hauteurs de la chute Montmorency. Le Manoir Montmorency porte la marque des villas palladiennes britanniques, mais aussi celle des maisons coloniales de plantations américaines avec ses galeries et son toit incurvé. L’Angleterre doit également s’imposer en matière religieuse. Pour asseoir le pouvoir de son Église, elle édifie l’étonnante cathédrale anglicane Holy Trinity à Québec. Ses lignes sobres et symétriques, son plan rectangulaire et ses trois nefs sous comble en font l’exemple de la version coloniale du style palladien. Les Anglais apportent aussi de nombreux changements en matière d’urbanisme. Les quartiers résidentiels avec maisons pour famille unique se multiplient, de grandes rues marchandes reliant la ville aux faubourgs apparaissent et les cœurs de ville sont transformés en centres institutionnels – comme à Québec où ont été construits, autour de la place d’Armes, la cathédrale et le palais de justice. C’est aussi aux Britanniques que l’on doit la Citadelle de Québec. Haute de près de 100 mètres, cette forteresse suit un plan d’enceinte polygonal à la Vauban… l’architecture défensive ou la fusion des influences coloniales !

Avènement des styles « néo »

Au XIXe siècle, le Québec recherche une identité, un style, sans pour autant faire l’impasse sur les apports passés. C’est en puisant ainsi aux sources de l’histoire et en s’appropriant ses codes que le Québec va produire une sorte de synthèse étonnante où les architectes créent au gré de leurs envies. Le style néoclassique est le premier à être beaucoup employé. S’inspirant de l’Antiquité, il prône ordre et rigueur et apporte un soin tout particulier à la décoration qu’elle soit intérieure ou extérieure. Avec son portique dorique et son dôme, le Marché Bonsecours dans le Vieux-Montréal en est un bel exemple. Tout comme l’église Plymouth Trinity de Sherbrooke qui présente des colonnes doriques et un portail comprenant deux colonnes en façade entre les prolongements du mur. À cette époque, l’architecture devient un art et une discipline enseignée dans les écoles d’art. Parmi les premiers grands architectes du Québec, on peut citer la famille Baillairgé, dont le fils Thomas dessina les plans de la plupart des édifices religieux de la province entre 1825 et 1845. Après le néoclassique, bien d’autres styles vont faire leur apparition. Le style Château avec son plus beau et célèbre représentant : le Château Frontenac de l’architecte Bruce Price. Tourelles et créneaux doivent rappeler l’histoire et la grandeur de la province. H. H. Richardson, lui, dote Montréal d’un édifice néo-roman avec arcs en plein cintre, contreforts, colonnes et arcades : c’est la Gare Windsor. Le style Second Empire, tout en ornementations, va être popularisé par l’architecte Eugène-Étienne Taché, à qui l’on doit notamment l’hôtel du Parlement à Québec. L’un des grands édifices Second Empire est la maison Shaughnessy à Montréal, double villa avec toit mansardé, fenêtres à linteaux cintrés et crêtes de toit en fer forgé. Elle accueille aujourd’hui le Centre Canadien d’Architecture. À Québec, un style purement américain va également faire son apparition, notamment dans le Faubourg Saint-Jean. L’alignement de maisons à toits plats est un emprunt direct à l’architecture « boomtown » qui se développe dans les villes champignons américaines où il faut construire vite en minimisant les pertes d’espace.

Le XIXe siècle est aussi le grand siècle de l’Église. C’est elle la garante des valeurs du Québec et c’est elle qui se charge de défendre les intérêts de la communauté francophone. Elle prend ainsi en main toutes les questions sociales importantes, comme la santé ou l’éducation. Les édifices religieux doivent souligner cette puissance. L’église Saint-Jean-Baptiste à Québec, très largement inspirée de l’église de la Trinité à Paris, fut longtemps considérée comme le monument national des Canadiens français. Mais le grand témoin de cette hégémonie de l’Église est bien sûr la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde à Montréal. C’est l’évêque lui-même qui la commanda à l’architecte Victor Bourgeau. Et son emplacement ne manque pas d’ironie : ce haut lieu de l’Église catholique romaine est construit en plein cœur de l’ancien bastion britannique et donc… anglican ! L’évêque souhaitait que la basilique soit en tout point similaire à la basilique Saint-Pierre-de-Rome. Symbole d’un style résolument néo-baroque, la basilique impressionne notamment par son baldaquin qui copie en tout point celui du Bernin à Rome. Dans les milieux ruraux, l’Église est aussi très présente et engendre une sorte d’urbanisme religieux organisé autour du complexe paroissial et qui se poursuit le long des routes avec les croix de chemin, calvaires et chapelles.

Entre tradition et modernité

Le début du XXe siècle va profondément bouleverser l’architecture québécoise. En incorporant le vocabulaire classique dans des constructions monumentales, le style Beaux-Arts impressionne. Les institutions culturelles et financières l’utilisent pour asseoir leur importance. C’est le cas de l’édifice Sun Life et du Musée des beaux-arts de Montréal dont l’escalier monumental et le portique-colonnade témoignent d’un académisme certain. Le moine bénédictin et architecte Dom Paul Bellot introduit au Québec une forme de gothique moderne tendant vers le rationalisme. Il privilégie les briques polychromes et alterne entre arcs paraboliques et arcs polygonaux, comme à l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac ou à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal à Montréal. On va retrouver ce rationalisme classique dans des édifices influencés par les architectes français de l’époque (Perret, Garnier), et auquel s’ajoute l’apport de l’Art déco dont les formes géométriques et l’élégante décoration transforment les premiers gratte-ciel de la province. Les édifices Aldred à Montréal et Price à Québec en sont de beaux exemples. Face à cet élan de modernité, certains tentent de « résister » et d’imaginer un style régionaliste soulignant l’histoire du Québec. C’est le cas du Manoir du Saguenay à Jonquière qui célèbre la Normandie de Jacques Cartier, le grand découvreur de la province.

À partir des années 1950, le Québec se targue d’être une société progressiste et son architecture se fait fonctionnaliste. En 1967, dans le cadre de l’Expo 67 de Montréal, Moshe Safdie, jeune étudiant en architecture, présente son projet de fin d’études : Habitat 67, une réflexion sur les grands ensembles qui prend la forme de modules cubiques de béton préfabriqués empilables et montés en quinconce. Ce rendu, qui n’est pas sans rappeler le cubisme en peinture, se voulait une réponse originale à la monotonie habituelle des grands ensembles standardisés. C’est dans le cadre de cette même Expo 67 que l’Américain Buckminster Fuller crée l’étonnant pavillon des USA : un dôme géodésique géant soutenu par une structure tubulaire arachnéenne. Cette architecture, comme en apesanteur, représente le rêve d’une enveloppe climatique qui serait totalement indépendante du monde extérieur. Au début des années 1970, c’est le célèbre architecte Ieoh Ming Pei qui repense la Place Ville Marie à Montréal. Son plan en croix, sa tour de bureaux aux lignes novatrices et à la façade en mur-rideau de verre et d’aluminium donnent à cette place des allures de cité américaine. À cette ville verticale répond l’étonnante ville souterraine de Montréal. 32 km de couloirs et passages piétonniers, il s’agit là du plus vaste réseau souterrain urbain au monde. En 1976 enfin, l’architecte français Roger Taillibert imagine le nouveau Stade olympique de Montréal. Sa forme elliptique rappelle celle d’un coquillage. Son ossature est faite de 34 consoles composées de 1 500 pièces montées et collées avec des porte-à-faux. Au total, il faut 300 000 m3 de béton et 30 000 tonnes d’acier pour le réaliser. Son originalité ? Le velum amovible de 1 800 m² et 20 tonnes soutenu par une tour de 168 mètres de haut pour le protéger des intempéries.

Du post-modernisme à l’architecture de demain

À partir des années 1980, le Québec entre dans le post-modernisme architectural. On rejette alors le fonctionnalisme que l’on juge trop élitiste, et l’on cherche à singulariser les constructions par des emprunts aux symboles de l’histoire et un attachement fort au contexte local. En 1989, Montréal se dote d’un de ses gratte-ciel les plus emblématiques : le 1000 De La Gauchetière. Coiffé d’un couronnement triangulaire, tout en verre, marbre, granit et aluminium, il impose sa géométrie maniérée du haut de ses 205 mètres. En 1992, le cabinet Kohn-Pedersen-Fox réinvente le gratte-ciel avec le 1250 René Lévesque Ouest, qui joue tout à la fois sur les textures et sur les volumétries, donnant un rendu étonnant et changeant selon la lumière et les points de vue. L’artiste et architecte Melvin Charney imagine des « sculptures-maisons » pour les rues et places de Montréal, créant ainsi une sorte d’architecture-paysage parfaitement intégrée à son environnement. Notons, également à Montréal, l’élégant site archéologique de Pointe-à-Callière dont la modernité sert d’écrin au passé le plus ancien de la ville. Parmi les constructions les plus récentes, il faut souligner la superbe Grande Bibliothèque à Montréal, dont l’habillage extérieur de verre dialogue avec un intérieur tout en bois clair, et le gratte-ciel l’Avenue qui culmine à 184 mètres. À Québec, un projet pharaonique a failli voir le jour : « le Phare de Québec », sorti de l’imagination d’un promoteur immobilier, était un projet de densification, c’est-à-dire un quartier vertical permettant d’accueillir des dizaines de milliers de personnes. Il se composait de 4 tours, dont une haute de 250 mètres. Toutefois, le projet fut abandonné et fera possiblement place à HUMANITI du promoteur montréalais COGIR Immobilier.

Mais face à ces folies immobilières, une autre architecture s’imagine… ou plutôt le Québec revient à ses fondamentaux, à cette architecture liée à la nature et qui lui est propre depuis le XVIIe siècle. Il s’agit de construire dans le respect de la nature et de l’environnement. Nombreuses sont les écoconstructions à se multiplier, d’autant que le Québec est un grand producteur de matériaux pouvant être utilisés pour la construction (bois) ou l’isolation (lin, chanvre). En Gaspésie, la Maison ERE 132 des Jardins de Métis était la vitrine d’excellence de l’écoconstruction et prônait une architecture qui fait dialoguer économie, environnement et communauté. Dans la région de Lanaudière, l’abbaye Val Notre-Dame est un superbe exemple d’architecture durable. La pureté de ses volumes s’intègre parfaitement à la nature environnante sur laquelle ouvrent d’ailleurs les cellules monastiques. Et le bâtiment a été pensé pour minimiser ses impacts énergétiques et environnementaux (énergie solaire, géothermie, récupération des eaux…). Au parc national du Mont-Tremblant, le Centre de découverte du secteur La Diable est une étonnante structure en bois, tout en finesse et légèreté qui a été, elle aussi, conçue pour minimiser l’impact sur l’environnement. Une architecture durable est possible et le Québec veut en être l’un des moteurs !