Temple de la littérature, Hanoï © Efired - shutterstock.com.jpg

Pour bien comprendre la réalité du pays

Entre 1954 et 1975, et la fin de la guerre, la littérature suit deux courants de pensée radicalement différents. D’un côté, le sud du pays subit l’influence de la culture occidentale. De l’autre, le nord est contrôlé par le Comité central du Parti communiste et du ministère de la Culture : la littérature sert donc l’idéologie du gouvernement. Pour pouvoir publier, un écrivain doit être membre de l’Union des écrivains qui est une association d’État. Et cela jusqu’à la fin des années 1980. En effet à cette période, le pays s’ouvre (Đổi mới) et les lettres et les arts ont droit à plus de souplesse, laissant les auteurs aborder certains sujets jusqu’alors sensibles.

Le quatuor gagnant

Duong Thu Huong (née en 1947), Nguyên Huy Thiêp (né en 1950), Bao Ninh (né en 1952) et Pham Thi Hoài (née en 1960) font incontestablement partie des grands auteurs vietnamiens contemporains. Tous les quatre incarnent la renaissance littéraire qui a eu lieu dans cette période des années 1980. Tout le monde s’en doute, la guerre du Viêt Nam (1964-1975) a marqué les esprits et se devine souvent en filigrane. Duong Thu Huong, romancière et dissidente politique est LE visage de la littérature vietnamienne. Elle incarne cette nouvelle génération et écrit son premier roman en 1986, Histoire d’amour racontée avant l’aube. Un an plus tard, son deuxième roman Au-delà des illusions est publié à 100 000 exemplaires et fait donc de son auteure une figure incontournable de la scène littéraire. Ses ouvrages suivants connaissent le même succès. Dans Les Paradis aveugles (1989), Duong Thu Huong s’attaque au système politique tout en décrivant la vie quotidienne au Viêt Nam. Dans Roman sans titre, elle propose une description de la guerre par le regard des soldats vietnamiens qui se battaient contre le communisme. Citons également Terre des oublis (2006) nominé au Prix Femina, ou encore Au Zénith, roman écrit sur dix années, sans oublier Les Collines d’eucalyptus publié en 2014. Duong Thu Huong vit à Paris. De son côté, Nguyên Huy Thiêp a surtout publié des recueils de nouvelles telles que Un général à la retraite (1990), L’or et le feu (2002) ou encore Mademoiselle Sinh et autres nouvelles (2010). Il a également donné des pièces de théâtre (Les démons vivent parmi nous, 1996) et un roman paru en 2005, À nos vingt ans, interdit au Viêt Nam.

Quant à Bao Ninh, il est particulièrement connu pour son unique roman Le Chagrin de la guerre (1987). Engagé à 17 ans dans la guerre du Viêt Nam, il est l’un des dix seuls rescapés de la 27e Brigade Glorieuse de la Jeunesse. Dans cet ouvrage, il raconte le retour d’un soldat vietnamien. Interdit par le régime communiste du Viêt Nam, ce récit a connu un succès mondial.

Enfin, Pham Thi Hoài, née elle aussi en plein conflit du Viêt Nam, a connu le succès avec son premier roman, La Messagère de cristal, publié en 1991. Ce dernier a également été interdit par le gouvernement vietnamien, mais a été traduit dans plusieurs pays et a même reçu le Frankfurt Literaturpreis.

Ces quatre noms ont laissé place à une nouvelle génération, celle qui certes est née pendant la guerre, mais a grandi après, à l’ère de la mondialisation. Pourtant, la guerre est toujours là, quelque part en fond, en écho, et il faut le dire, cette génération n’a plus d’idéal ni même de repère. Les illusions perdues en quelque sorte… Citons par exemple Nguyên Viet Hà qui a publié Une opportunité pour Dieu en 1999, roman dans lequel quatre jeunes, se trouvant dans une impasse morale et matérielle, se réfugient dans l’alcool, l’argent et l’exil. Il faut également évoquer Do Kh (né en 1956) qui a écrit par exemple Saigon Samedi, un savoureux roman qui raconte l’échappée d’un étudiant et d’un soldat dans le Saigon de l’été 1975.

Les nouvelles plumes

Si plusieurs générations ont rêvé le communisme comme société égalitaire, depuis quelques années, la mondialisation a changé les mentalités, les rêves et même les paysages. Hanoi est un nouveau Paris ou un nouveau New York, les grandes marques occidentales s’y sont implantées ; les jeunes rêvent d’un ailleurs, voyagent et étudient à l’étranger. Les nouvelles plumes évoquent ce Viêt Nam contemporain à travers romans, nouvelles ou poèmes. Citons par exemple Thuân qui après avoir fait des études à Moscou s’est installée à Paris. Elle a notamment écrit cinq romans, dont Made in Viêt Nam (2002), T. a disparu (2006) et Vân Vy (2008). C’est une écriture contemporaine, très agréable et très appréciée des lecteurs. Elle a notamment reçu, en 2008, la plus haute distinction de la littérature vietnamienne : Le Prix de l’Union des écrivains !

Côté bulles

L’un des auteurs de bande dessinée les plus réputés, Vink, vit en Belgique depuis 1969. Né dans le centre du Viêt Nam en 1950, il s’est distingué pour sa série Le Moine fou, dont le premier album a été publié chez Dargaud 1984. Notons également les illustrations de Clément Baloup, né en France en 1978 d’une mère française et d’un père vietnamien. L’immigration est l’un de ses thèmes favoris et le Viêt Nam est le sujet de huit romans graphiques. Par exemple, dans Mémoire de Viet Kieu, l’artiste retrace l’exil des Vietnamiens installés en France, aux États-Unis ou à Taïwan. Il y a aussi Une si jolie petite guerre. Saigon 1961-1963 de Marcelino Truong (né en 1957) roman graphique dans lequel l’auteur évoque son enfance à Saigon. Dans Give peace a chance, sorti en 2015, il raconte la vie de sa famille en Europe pendant la guerre du Viêt Nam. L’auteur mêle à la fois chronique familiale et histoire, ses témoignages sont particulièrement bouleversants.

Fort est de constater que le Viêt Nam est encore marqué par son histoire. Entre ceux qui ont vécu la guerre, ceux qui ont vécu l’après-guerre, ceux qui portent encore le poids de ce passé par les blessures familiales, les auteurs témoignent encore et le mélange d’hier et d’aujourd’hui est flagrant. N’oubliez pas de vous rendre au Temple de la littérature dans la vieille ville d’Hanoi construit en 1070 par l’empereur Ly Tong en hommage à Confucius. Ce centre intellectuel et spirituel, devenu première université nationale au XVe siècle, est tout particulièrement grandiose. Ce lieu enchanteur laisse des souvenirs impérissables…