Rose Hall Great House à Montego Bay © Toni-Ann McKenzie - Shutterstock.com.jpg
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Habitat autochtone

Si, en les décimant, la colonisation a voulu effacer toute trace de leur présence, les habitants originels de la Jamaïque, les indiens Tainos, appartenant à la grande culture arawak, ont malgré tout laissé d’étonnantes empreintes sur l’île. Vous pourrez ainsi découvrir de nombreuses grottes dont les parois arborent un art rupestre unique, mêlant peinture, sculpture et gravure, dans un savant jeu de lumière et de couleurs. Les villages tainos, le plus souvent basés à l’intérieur des terres, dans des clairières à la lisière des forêts, s’organisaient autour d’une place centrale bordée de deux types de huttes : le bohio, habitat commun de plan circulaire, et le caney, plus grand et généralement de plan rectangulaire, accueillant le cacique (chef) et sa famille. Toutes ces huttes étaient construites en matériaux naturels et donc périssables, limitant ainsi leur impact sur l’environnement. L’ossature était en bois de palme, les murs en torchis et le toit en chaume.

Si aucune trace de cet habitat ne subsiste aujourd’hui, son influence est palpable sur l’habitat traditionnel qui s’est progressivement développé dans l’île et dont la forme de base est celle de la case, telle qu’on la retrouve partout dans les Antilles. De plan rectangulaire et composée de deux pièces, la case originelle se caractérise par des murs en brindilles ou en roseaux tressés recouverts de boue ou en planches de bois brut alors assemblées par un système de chevilles en bois, et par un toit de chaume (paille ou palmier) ou en bardeaux de bois (Acajou ou Cèdre du Canada), généralement à deux pans. Simple, cet habitat se veut aussi et surtout fonctionnel, ce qui explique, par exemple, la mise à l’écart de la cuisine et la disposition de l’habitat de façon à éviter que la fumée ne pénètre à l’intérieur. La case est également adaptée aux contraintes du climat. Pour se prémunir de l’humidité, ces cases ne sont jamais posées à même le sol. Elles peuvent ainsi reposer sur des pilotis en bois ou sur des fondations en dur, généralement en ciment. Une galerie court le long de la façade, faisant le lien entre la nature environnante (le jardin est une autre caractéristique phare de ces cases) et l’intérieur qui est ainsi bien ventilé. La case dispose également souvent d’un porche protégé par un petit auvent en façade. Si aujourd’hui ciment et tôle ondulée, plus résistants aux cyclones, remplacent de plus en plus les matériaux naturels, l’habitat traditionnel perpétue cette tradition d’un habitat pensé en harmonie avec la nature et se pare des chatoyantes couleurs de la riche identité caribéenne… impossible donc de le manquer !

Héritage colonial

Pourtant découvreurs de l’île, les Espagnols n’ont laissé que peu de traces de leur présence. Cette dernière peut cependant se lire dans les balcons en fer forgé ornant les façades de certains édifices dont la hauteur sous plafond des pièces est, elle aussi, typiquement espagnole. Ces derniers étaient le plus souvent de plan rectangulaire et possédaient trois grandes pièces, dont la pièce centrale servait de grand hall et d’espace de réception. Les portales ou arcades que l’on peut voir au rez-de-chaussée de certains édifices sont également d’inspiration espagnole. Brique et pisé étaient alors les matériaux privilégiés.

Mais, en Jamaïque, ce sont surtout les colons britanniques qui ont laissé le plus de témoignages de leur présence. Tout commence évidemment avec une architecture défensive destinée à protéger cette nouvelle possession. Le Fort Charles, à Port Royal, en est le plus célèbre exemple. Son plan asymétrique n’est pas sans rappeler la forme d’un navire. Ses fortifications de brique rouge, mêlant puissants créneaux et abris à canons semi-circulaires, abritent une petite place d’armes bordée de bâtiments de garde. L’autre facette de la domination britannique est celle des grandes plantations sucrières, système économique hautement rationalisé fondé sur une mise en valeur des terres à des fins spéculatives rendue possible par une exploitation de l’homme réduit en esclavage. Aussi élégante soit-elle, l’architecture de cette époque ne doit jamais faire oublier cette part sombre de l’histoire. Ces plantations se composaient donc d’infrastructures industrielles (entrepôts, magasins, moulins, forges…), de « quartiers » abritant les logements sommaires et inconfortables des ouvriers-esclaves et d’espaces à vocation communautaire (chapelle, case-hôpital…). Et au cœur de la plantation, construites en hauteur pour surveiller et dominer, se trouvent les maisons de maître que les Anglais baptisèrent Great Houses. L’évolution de ces dernières est particulièrement intéressante. Au départ, les propriétaires mettaient surtout l’accent sur les infrastructures, imposants édifices de pierre et de brique dont les silhouettes évoquaient les puissantes abbayes anglaises. Les ruines de Kenilworth en sont les impressionnantes représentantes. Le propriétaire vivait alors dans un habitat plutôt modeste. Mais, rapidement, certains propriétaires ont choisi de se tourner vers une architecture résolument défensive. Leurs maisons prenaient alors des allures de maisons-tours fortifiées ou de châteaux forts aux murs épais. Stewart Castle en est l’exemple le plus frappant. Puis, à partir de 1750, ces Great Houses vont connaître une nouvelle évolution, se faisant les représentantes d’un style hybride conciliant les normes et le goût pour le faste et le décorum résolument britanniques et la nécessaire adaptation aux contraintes climatiques. C’est la naissance de ce que l’on appelle le style géorgien-jamaïcain. Du style géorgien, alors très en vogue en Grande-Bretagne, les Great Houses ont repris le sens des proportions et de l’équilibre, la régularité et la symétrie, la sobriété et l’élégance du décor emprunté au vocabulaire classique (frontons, portiques, colonnades…) et la blancheur immaculée de la pierre de taille. Mais si vous regardez de plus près ces « palais sucriers », vous découvrirez toutes les adaptations apportés au style européen : les édifices reposent sur des pilotis en bois ou des fondations en maçonnerie (pierre ou ciment) de façon à se prémunir de l’humidité et des attaques de nuisibles ; les grandes vérandas courant sur les façades, les halls centraux ouverts, les fenêtres ajourées et les murs de persiennes assurent une aération constante ; les structures à un étage et toits bas, en bardeaux de bois ou en tuile, et à quatre pans, limitent la prise au vent. Les motifs décoratifs évoluent également. Il n’est ainsi pas rare de découvrir au détour des corniches et lignes de toits d’étonnants fleurons en forme d’ananas, des motifs végétaux sur les balustrades sculptées et parfois même des visages d’hommes noirs sur le mobilier et le textile, rappelant les injustes fondations de cette prospérité… Le Manoir Rose Hall avec ses impressionnantes fondations en pierre et ses multiples escaliers, la Plantation Greenwood et son élégante véranda donnant sur un luxuriant jardin et Devon House, tout en symétrie et en rigueur classique, comptent parmi les plus célèbres exemples de cette architecture de plantation. Un vocabulaire classique que l’on retrouve dans d’autres édifices publics témoignant de la domination britannique, telles les cours de justice, à l’image de Falmouth Courthouse avec ses colonnes toscanes et son portique central.

Au cours du XIXe siècle, les Britanniques vont également développer une architecture mêlant recherche stylistique et prouesse d’ingénierie, comme le montrent le Old Iron Bridge à Spanish Town avec ses quatre arches et ses impressionnants contreforts ou bien encore l’étonnant hôpital naval de Port Royal, reconstruit en 1818 à l’aide d’éléments en fonte préfabriqués importées d’Angleterre. Si vous regardez bien, vous découvrirez que ces colonnes de fonte sont attachées à l’arrière du bâtiment à des appuis secondaires permettant une résistance accrue aux séismes et cyclones. Une architecture métallique que l’on retrouve dans les cast-iron buildings ou bâtiments dont l’ossature est entièrement en fonte, ou dans les infrastructures ferroviaires, tel le terminus ferroviaire sur Pechon Street à Kingston. Kingston, dont le visage fut totalement transformé après le séisme de 1907. Suite aux innombrables destructions, de nouvelles règles strictes apparurent : hauteur limitée à deux étages maximum ; pierre et ciment préférés à la brique puis multiplication des constructions en ferrociment (mortier renforcé ou plâtre appliqué sur une armature en treillis métallique) puis béton armé. En matière de style, ce vent de renouveau se pare des atours d’un historicisme pour le moins éclectique, mêlant façades Beaux-Arts, décor néo-palladien, emprunts néo-romans et rigueur gréco-romaine. Parmi les édifices les plus étonnants de l’époque, notons : la Holy Trinity Cathedral avec son dôme en cuivre néo-byzantin et la Shaare Shalom Synagogue mêlant colonnes et sculptures classiques et éléments romans. En parallèle de ces styles « néo » se développe l’Art déco, porté notamment par le designer Burnett Webster. Vous pourrez observer de nombreux exemples de ce style aux lignes géométriques épurées entre Halfway Tree Road et Kingston Waterfront. Et ne manquez pas le Carib Theatre, c’est l’un des plus beaux édifices Art déco de la ville !

Architecture contemporaine

Dès les années 1950, la Jamaïque voit émerger une nouvelle génération d’architectes, formés certes à l’étranger, mais désireux de revenir construire sur l’île et de la faire entrer pleinement dans la modernité. Un vent de renouveau qui soufflera plus fort encore lors de l’accession à l’Indépendance en 1962. Parmi ces nouveaux maîtres de la modernité, trois figures se détachent en particulier. La première est celle de Wilson Chong, dont les origines résument à elles seules le caractère cosmopolite des Caraïbes. Chong est un Sino-Jamaïcain, né à… Cuba ! Toute son œuvre est une ode aux potentialités infinies du béton et une mise en lumière d’une architecture prônant innovation et adaptabilité. Parmi ses grandes sources d’inspiration, Wilson Chong cite Le Corbusier, dont il reprend certains des éléments phares. Le Henriques Building, à la façade de béton aux allures de grille asymétrique, possède ainsi les célèbres brise-soleil du maître suisse ; tandis que l’ancien siège du ministère de l’Education sur Race Course est bâti sur pilotis. Wilson Chong est également connu pour ses réalisations aux allures de coquilles de béton abritant aussi bien une station-service qu’une église ! Mais sa réalisation la plus célèbre est le National Stadium avec sa structure en tripode pensée pour mieux résister aux colères de la Terre, et sa tribune principale ombragée par une étonnante poutrelle en porte-à-faux aux élégantes lignes courbes. Autre figure clé de cette époque : Vayden Mcmorris, membre de MSR, première agence entièrement jamaïcaine, fondée avec Jerry Sibley et Bert Robinson. Leur style mêlant rationalisme et style international se lit dans des bâtiments tels que le Pan-Jam Building, ou le siège de la National Commercial Bank, en plein cœur de New-Kingston, le quartier des affaires aux multiples tours redessinant la skyline de la ville. Troisième figure de ce renouveau architectural : Herbert Denham Repole, célèbre pour l’ancien siège de la Life of Jamaïca avec son atrium végétalisé surplombé d’un pont et pour son monument dédié aux héros nationaux Paul Bogle et George William Gordon au cœur du National Heroes Park. Parmi les autres édifices illustrant cette modernité stylistique, ne manquez pas les différents bâtiments de l’Université des West Indies avec leur plan rectangulaire, leur pilotis de béton libérant de grands espaces au sol et leurs façades dont l’alternance de brise-soleil et de blocs ouverts crée un effet mosaïque. L’Arts Building avec ses murs en pierre de taille et ses joints en mortier irréguliers trace, quant à lui, un élégant trait d’union entre artisanat et industrialisation.

En parallèle de ce renouveau architectural, l’île tente de juguler les effets d’une croissance démographique exponentielle à l’aide de programmes de logements à destination des plus modestes, dont les Jamaican Bungalows en matériaux préfabriqués seront les grands représentants. Alors architecte de la ville de Kingston, Wilson Chong participe à l’élaboration de kits d’habitations préfabriquées en béton, tout en imaginant des immeubles en hauteur destinés à libérer de l’espace au sol pour doter la ville de plus d’espaces verts. Malheureusement, ces tentatives de planification urbaine ont été mises à mal par une croissance impossible à juguler et qui a donné naissance à de nombreux bidonvilles, les shanty towns, en périphérie des villes. Aujourd’hui, et à peine commencé, le nouveau Parlement au cœur de Kingston soulève déjà nombre de critiques. Si le projet est mené par l’architecte jamaïcain Evan Williams, et fondé sur la devise du pays « Out of Many, One People », son architecture monumentale aux allures de soucoupes volantes interroge. Le bâtiment ne va-t-il pas rapidement devenir le symbole d’une classe dirigeante déconnectée des réalités ? D’autant que le projet prévoit également la construction de ministères et infrastructures qui supposeront très probablement de déloger de nombreux habitants. Et le Parlement n’est qu’un nouvel exemple de cette spéculation immobilière qui a engendré la destruction de nombreux témoins de l’histoire du pays. Pourtant le Kingston Conference Centre est la preuve qu’on peut associer tradition et modernité puisque sa structure intègre avec succès les anciens entrepôts portuaires. Nombreux sont aujourd’hui les architectes à appeler de leurs vœux une politique de préservation et de restauration des trésors de l’île. Une prise de conscience qui se développe également dans le secteur du tourisme. Alors que de grands resorts sans âme continuent à sortir de terre, des projets d’écotourisme s’appuyant de façon raisonnée sur les ressources minérales et végétales voient le jour à l’est de l’île notamment. Peut-être Gordon Gill, dont les buildings à hautes performances énergétiques s’affichent partout dans le monde, reviendra développer sur son île des projets durables et en harmonie avec sa nature unique ?