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Une population extrêmement jeune

« Les enfants sont notre futur alors faites attention à eux » est une phrase qui apparaît fréquemment sur des panneaux routiers, et qui symbolise la place de l’enfant en Jamaïque, extrêmement respecté. En patois, « enfant » se dit « pickney ». La Jamaïque est un pays jeune, avec un taux de fertilité raisonnable de 2,01 enfants par femme mais très peuplé (densité de 266 habitants par km2). Ainsi près de 50 % de la population a moins de 25 ans. Pourtant l’espérance de vie est très élevée : 77 ans chez les femmes et 73 ans chez les hommes. Néanmoins les accidents de voiture et la criminalité restent élevés. Le système de retraite officiellement accessible aux hommes et femmes de plus de 65 ans est réservé aux classes aisées et moyennes. Car une grande partie de la population vit dans une pauvreté ne permettant pas d’obtenir les années de cotisation nécessaires en emplois déclarés.

Des origines en point d’interrogation

L’esclavage qui a entraîné la déportation de milliers d’Africains jusqu’à la Jamaïque n’a pas permis de recenser l’origine des ancêtres des habitants actuels de l’île, leur volant leur histoire comme leur culture et volant leur passé. Si des éléments de la culture noire ont été assimilée à la culture jamaïcaine héritée de rites Arawaks, difficile d’en savoir plus. Les Hollandais ont été les premiers à déporter des esclaves, de l’actuel Sénégal à l’Angola, vers les Caraïbes. Plus tard, les Anglais ont massivement emprisonné et exilé des Africains des tribus Coromantes, Eboe, Mandingos, Fanti et Ashanti des côtes Ouest de l’Afrique et des tribus Ibo et Yoruba, des territoires correspondant aujourd’hui au Nigeria. Les ancêtres les plus importants des Jamaïcains, même si des esclaves venus de toute l’Afrique ont été débarqués sur ces côtes.

Patronymes et surnoms étonnants

Il y a bien longtemps que les noms africains de ces descendants d’esclaves ont disparu. Quand ils étaient vendus, les esclaves prenaient souvent le nom de leur propriétaire ou un surnom, en l’occurrence anglophone. C’est ainsi que les annuaires téléphoniques comptent des pages de Brown, Campbell et pas mal de Mac, pour l’héritage écossais. Mais ce déshéritement patronymique reste gravé dans les mémoires, comme le chante Pablo Moses dans sa chanson Give I Fe I name (« Rends-moi mon nom ») : « Rends-moi mon nom, du tien nous ne voulons pas, les Chinois s’appellent bien Ching et Chang, les Indiens Raja et Basta, Mac Intosh venait d’Ecosse, moi je viens d’Afrique et je ne veux pas m’appeler comme ça. Je suis un homme noir-africain mais le nom que je porte est celui d’un Européen. »

Les Jamaïcains ont la drôle d’habitude de donner des surnoms. Ainsi, la première appellation d’un homme blanc est-elle whiteman. Si vous êtes français, on vous surnommera frenchie ou frenchman, bananaman si vous avez des taches de rousseurs, slim shady si vous êtes mince ou fattie si vous êtes enveloppé, horsemouth si vous avez une forte mâchoire, T-man si vous buvez beaucoup de thé ou mangoman si vous adorez les mangues. Bref, l’étiquetage de surnoms est un art imaginatif en Jamaïque ! 

Les Arawaks, peuple fantôme de l’île

Les Indiens arawaks ont été totalement décimés par l’arrivée des Blancs en Jamaïque, à la fois par la politique sanglante des colons mais aussi par les maladies qu’ils ont importées et pour lesquelles ils n’étaient pas immunisés. Pourtant, leur empreinte est partout dans la culture jamaïcaine. On ne possède aujourd’hui que peu de traces de cette civilisation arawak, seulement quelques poteries et pétroglyphes. En revanche, ils ont légué certaines techniques de pêche et d’agriculture, et surtout un vocabulaire riche dont sont issus les mots suivants : maïs, ouragan, canoë, cannibale, barbecue, iguane, maracas ou goyave.
On sait qu’ils étaient de constitution robuste ; leur peau cuivrée, leurs cheveux noirs, lisses et brillants. Leur nez était busqué, la forme du front, large et fuyant, obtenue par l’aplatissement du front des bébés à l’aide de bandes de coton et de palmes. Peuple tranquille, habitué à une vie calme et douce, les Arawaks vivaient de chasse, de pêche, de cueillette et d’une agriculture sur brûlis qu’ils maîtrisaient bien. Ils cultivaient le maïs semé à la pleine lune, le potiron, les patates douces, l’ananas, le tabac, le coton et le manioc à partir duquel ils fabriquent une galette de farine : la cassave. Habiles pêcheurs, ils se nourrissaient de poissons et de tortues. Les femmes tissaient des hamacs et le nawa, une sorte de tablier de coton, l’unique vêtement mixte. Sculpteurs et potiers talentueux, ils travaillaient la pierre et le bois, appréciaient la musique et la danse. Fumer du tabac était un rituel religieux. La cahoba était la principale cérémonie ; après plusieurs jours de jeûne, les hommes inhalaient une drogue, provoquant des hallucinations, qui leur permettait d’entrer en contact avec les divinités afin d’obtenir grâce et guérison et de pratiquer la divination. Leurs dieux étaient représentés par les zemes, des statuettes en bois ou en pierre, des amulettes et des masques. Le dieu suprême Yocahùma et son double féminin étaient identifiés au soleil et à la lune, associés à la création de la race humaine. On pourra admirer quelques vestiges de cette culture au National Museum of Jamaica.

La diaspora jamaïcaine

L’émigration a connu trois vagues successives historiques. La construction du canal de Panama est à l’origine de la première vague à destination de l’Amérique centrale. Puis les Jamaïcains ont participé à l’établissement de Harlem dans les années 1920, et au développement de la culture de la canne et de la fabrication du sucre à Cuba. Entre 1890 et 1920, on estimait à 145 000 le nombre de Jamaïcains expatriés. Enfin, entre les années 1950 et 1960, ils sont partis vers la Grande-Bretagne pour occuper des postes dans l’administration et dans l’armée, immigration endiguée dès 1961 par le Commonwealth Immigration Act, qui fixe des quotas pour les anciennes colonies britanniques des Caraïbes. Aujourd’hui, on chiffre à 3 millions le nombre de Jamaïcains vivant hors de l’île, principalement installés aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne, mais également 800 000 Britanniques, 740 000 Américains et 260 000 Canadiens d’origine jamaïcaine. Ces vagues migratoires ont dévitalisé le pays, provoquant déséquilibre démographique et stagnation sociale et économique, privant le pays d’une main-d’œuvre jeune et qualifiée. Cependant, cette population émigrée contribue au développement économique par l’envoi massif de devises dans l’île. Les queues constantes dans les très nombreux bureaux Western Union en témoignent. Aujourd’hui, même si on continue à rêver d’ailleurs, le développement du pays d’une part et les restrictions des pays d’accueil d’autre part ont freiné l’émigration – ils sont malgré tout une vingtaine de milliers à quitter le pays chaque année, depuis le milieu des années 1980. Toutefois, les liens établis avec la métropole de l’époque coloniale restent forts. L’exode rural est important et la population urbaine représente 40 % de l’ensemble. 

L’anglais jamaïcain, un accent très marqué

L’anglais est la langue officielle, celle utilisée dans l’administration et dans l’éducation, dans les magasins et en milieu professionnel. Un anglais néanmoins bien jamaïcain : si vous pensez parler bien anglais, vous allez être surpris en arrivant en Jamaïque, certains interlocuteurs ont un accent si prononcé que vous n’allez rien comprendre ! Il est d’ailleurs considéré comme un dialecte anglo-jamaïcain. Si les Britanniques ont marqué leur sceau sur la grammaire, il est fortement influencé par l’anglais américain, ces derniers étant très présents sur l’île. Plus étonnant : il est teinté d’accent irlandais dû à la colonisation là encore.

Le patois jamaïcain, historique et populaire

En Jamaïque, on parle officiellement l’anglais, mais la langue la plus parlée est le créole jamaïcain appelé patwa (patois). Bien différente de l’anglais jamaïcain et du patois rasta, elle est née du métissage de l’anglais (dont elle a les bases lexicales) avec des langues africaines, en particulier du peuple Akan, qui vient de l’ancien royaume Ashanti établi au Ghana et en Côte d’Ivoire à l’époque de l’esclavage, qui avait uniformisé sa langue sur une grande région. Des mots arawaks, indiens et autres se sont ajoutés au riche vocabulaire de cette langue parlée dans les maisons. Il s’agit d’une véritable expérience que de tenter de le comprendre !

Le patois rasta, religieux et politique

Le « Dread talk », « I-talk », « I-ance » ou encore « I-yaric » a été créé par la communauté rasta pour s’émanciper du joug colonial anglais, dont la langue dirige les institutions encore aujourd’hui. C’est une langue clairement politique qui a été très popularisée par le reggae et ses chanteurs convertis au rastafarisme. Elle s’est construite sur le créole jamaïcain et emprunte donc des mots africains, mais son champ lexical est tourné vers des sujets de prédilection : la religion, le reggae, la nourriture végétarienne et la ganja. D’ailleurs « Ja » veut dire Dieu et « ganja » Feuille de Dieu. Le régime « I Tal food » végétarien et cher aux Rastas que vous verrez souvent sur les vitrines des restaurants utilise par exemple le callalo (un épinard africain), et le mot ackee, qui désigne le fruit national jamaïcain, vient du patois rasta. Leur débit et flow vocal rappelle souvent des psaumes religieux, ponctué d’un « I and I » qui signifie « Jah, mes frères et moi ». « Babylone » est la ville, les « rude boys » les bad boys des ghettos. Comme toute langue de rue argotique, elles s’enrichit de jongles linguistiques et de néologismes tellement riches qu’il faudrait un dictionnaire pour les citer. Par exemple, « I am a rasta » se dira « I a rasta » ou « I-man a rasta ».