L’art total de Vincent Mengin

Précurseur des lieux de création et artiste touche à tout, Vincent Mengin-Lecreulx a consacré sa vie entière à créer et à promouvoir l’art contemporain. Décédé à l’âge de 74 ans, en février 2023, il laisse derrière lui une œuvre majeure. Tout commence en 1980, lorsque Vincent ouvre sa maison-atelier aux visiteurs, qui devient un véritable musée, alliant vie personnelle et artistique. Épaulé par son épouse Roselyne, Vincent laisse son imaginaire remplir son espace. Situé à Saint-Pierre, le Lieu d’art contemporain Vincent Mengin a d’abord abrité l’atelier du lithographe, plus une salle d’exposition doublée d’une résidence d’artistes. Une cinquantaine d’expositions se sont tenues dans la galerie étalée sur deux niveaux. Le troisième étage était réservé aux ateliers destinés à la pratique de la gravure, de la peinture, de la sculpture, de la photographie et de la vidéo. Reconstruit en Palais aux 7 Portes, le P7P organise des visites commentées de son parc des Sculptures. Des dizaines d’artistes ont été reçus en résidence sur le domaine du quartier Archambaud 400. Parmi eux, de grands noms de l’art contemporain comme Errö, Hervé Di Rosa, Christian Jaccard, Sabine Weiss ou Nils Udo. Chacun a laissé des œuvres majeures au LAC, confectionnant au fil du temps le seul lieu de l’île de cette envergure, véritable temple de l’art total patiemment érigé par l’artiste au fil du temps. L'ultime œuvre de Vincent Mengin, une sculpture réalisée avec des élèves de Saint-Philippe, a été installée devant le cinéma de la commune.

Initiatives collectives

Un peu à sa suite, un peu parce que c’est dans l’ADN de la Réunion, les projets artistiques de groupe prolifèrent. La plus célèbre des manifestations locales, Boranbor, est née en 2003 sous l’impulsion de l’association Kriké Kraké. À cette occasion, des artistes de tous horizons exposent, vendent et se rencontrent sur les rives de la rivière d’Abord, près du port de Saint-Pierre. L’association Hang’art a ensuite pris le relai et invite les créateurs sous ses parasols. Véritable galerie à ciel ouvert, elle réunit tous les médiums artistiques mais aussi toutes les cultures présentes sur le territoire. Année après année, l’événement a vu se préciser une identité multiple et néanmoins soudée. Chaque dernier dimanche du mois, sous les arbres des berges de la rivière d'Abord s'installent chevalets, ateliers de portraits et sculptures, parfois au son d’un concert ou d’un défilé de mode.

Tiers lieu de référence, Vavang'Art propose régulièrement des événements variés. Expositions, ateliers, projections, jeux s’articulent autour du restaurant Le Comptoir des Arts. Une cuisine locale, bon marché et faite maison à savourer tout en s’immergeant dans l’art local. C’est le lieu incontournable de l'Entre Deux.

Dans un tout autre registre, presque à l’opposé, le projet Opus présente une galerie virtuelle qui s’attache à faire connaître le travail des peintres, photographes et sculpteurs réunionnais. En plus de promouvoir les artistes sur son site, ce concept révolutionnaire permet d’essayer les œuvres pour éventuellement les acquérir. Plusieurs formules de location sont proposées aux particuliers et aux entreprises : pour un mois, pour un an ou pour toujours, vous pouvez cohabiter avec des œuvres d’art originales. Pas banal !

Un street art foisonnant

En explorant l’île, personne ne peut louper les œuvres gigantesques qui se déploient un peu partout, sur les murs et les immeubles, en ville comme à la campagne. Là aussi, le maître mot est la diversité. Le plus célèbre graffeur actif sur l’île est probablement Jace. Né au Havre, Jace est le père du célèbre gouzou, personnage rondouillard, anonyme mais expressif qu’il met en scène sur les murs de l’île : gouzou fait du skate, gouzou et son amoureuse dans un hamac suspendu entre deux téléviseurs… Depuis 1992, gouzou ne manque pas d’humour même s’il se plaît à s’ancrer dans l’actualité.  Il arrive même que les gouzous partent en voyage à travers le monde. Citons par ailleurs Konix, précurseur de l’art du graffiti à Saint-Denis, Floé, la graphiste au trait sobre et joyeux, la poétique Floafleur, qui dissémine des fées sur les façades de l’île. Le duo Kid Kreol & Boogie (Jean-Sébastien Clain et Yannis Nanguet de leurs vrais noms) est particulièrement représentatif de l’identité créole dans l’art urbain. Nés à la Réunion dans les années 1980, ces deux artistes ont pour projet de raconter les racines de leur culture par l’image, là où la tradition créole est généralement orale. Ils traduisent ainsi par le street art des histoires ancestrales, des contes aux formes primitives à travers des techniques contemporaines. Tout un univers absolument fascinant se cache dans des friches, s’étale sur des murs isolés ou en devanture d’immeubles commerciaux.

Galeries ouvertes sur le monde

Sur l’île, plusieurs galeries-ateliers sont dédiées à l’art de leur propriétaire, mais quelques adresses se consacrent à la promotion de plasticiens locaux et internationaux. Ainsi, l'artiste-peintre André Béton fait de son atelier, à Bourg-Murat, une galerie d'art qui valorise des artistes d’ici et d’ailleurs avec pour mot d’ordre la diversité et l’altérité. André Béton est aussi un éminent « caritologue ». Il régale d'ailleurs ses hôtes dans son atelier avec de délicieux caris au feu de bois.

La charmante galerie Cheminements, à Saint-Gilles-les-Hauts, se cache dans une petite case en bois. L'association qui la dirige, située à l’Éperon à Saint-Gilles-les-Hauts, organise également la Nuit d'art de pleine lune depuis plusieurs années. À cette occasion, des œuvres sont spécialement conçues par des artistes sélectionnés. Cheminements valorise la création en provoquant des rencontres entre l'artiste, l’œuvre et le public. Par ses actions, elle tisse peu à peu un réseau qui participe à la vitalité de l'art à la Réunion et dans l’océan Indien, tout en proposant des projets destinés à rendre l'art contemporain accessible.

Les amateurs d’art photographique pousseront la porte de la galerie Edgar Marsy. Le photographe vous accueille dans son petit espace pour vous présenter son travail aux côtés de belles trouvailles. Né en 1973 à Lille, Edgar Marsy commence la photographie comme pigiste avant de s’établir à la Réunion. Depuis plus de dix ans, il édite ses photographies en noir et blanc sous forme de cartes postales. Sa thématique de prédilection est l’homme et son terroir, explorée hors les murs à Rodrigues, Maurice et Bangkok.

Deux artistes majeurs : Cathelain et Lesquelin

Aux Avirons, Jean-Marie Cathelain ouvre son atelier aux visiteurs. Après des années de peinture figurative, l’artiste se consacre aujourd’hui aux techniques mixtes alliant collage, peinture et matériaux de récupération. Il en résulte des reliefs accidentés zébrés de déchirures qui révèlent des superpositions d’espaces colorés. Cathelain se veut le relai d’un quotidien éphémère symbolisé par des textures et des assemblages qui capturent la matière pour nous rappeler à notre propre fragilité.

Charly Lesquelin, peintre réunionnais et leader du groupe de musique Gondwana, peint sa créolité depuis 1992. Dans ses toiles, il exalte ses souvenirs d'enfance implantés dans des cases colorées et la modernité dans un style unique. Ses tableaux à mi-chemin entre figuration et abstraction font le portrait de la complexité de son île, d’une population qui évolue entre technologie et traditions séculaires. Paysages, scènes de la vie quotidienne, portraits, chacune de ses œuvres confirme qu’il est devenu l’un des peintres majeurs de son île.

Patchwork d’inspirations

L’art contemporain réunionnais ne saurait se diviser en courants. La scène artistique se cherche, se détache lentement des influences issues des quatre coins du monde tout en valorisant ses origines. Il en résulte une grande ouverture d’esprit qui laisse s’exprimer tout type de personnalités. Cette sélection d’artistes a pour seule ambition de vous aider à vous repérer dans ce panorama à mille facettes.

Les amateurs de paysages locaux apprécieront sans doute le travail de Jean-Paul Apataudé. Cet autodidacte fait preuve d’une belle sensibilité à la lumière tropicale dans ses paysages réalistes de son île. Gérard Joly illustre l’île de la Réunion dans ses marines et ses paysages peints balayés par le vent. Entre abstraction et figuration, le peintre parvient à nous faire humer l’écume des vagues et les vapeurs volcaniques.

Influencée par le surréalisme, la peintre franco-italienne Fiorella, habitante de la Réunion depuis 2004, nous dévoile un univers à la sensualité exacerbée qui laisse transparaître sa fragilité. Dans ses œuvres, les forces s’opposent à l’image de ses couleurs : le rose affronte le noir comme le bonheur défie la douleur.

La peinture en camaïeux de gris de Rivelino Mammosa nous invite à voyager dans la Réunion d’autrefois. Personnages et lieux qui ont marqué son enfance transmettent la nostalgie d’une époque révolue. Les contrastes chromatiques de Gilbert Payet nous entraînent avec humour dans le monde d’aujourd’hui. Payet juxtapose sans souci de réalisme objets, visages et éléments d’architecture.

Nathalie Villate-Lafontaine élabore des sculptures à partir de frêles armatures composées de tiges métalliques. En fibres végétales trempées dans le plâtre, ses figures longilignes font penser à des personnages mythologiques venus questionner l’origine du monde. L’artiste dessine également à l’encre sur papier japonais des œuvres contrastées. Choc des couleurs, dialogue entre la lumière et l’obscurité, ses œuvres ne laissent pas indifférent.

Peintre et dessinatrice, Géraldine Gabin enseigne la « rando-croquis » avec passion. Ses carnets de voyage racontent bien plus que ses séjours en Afrique. C’est toute la mémoire d’une île, baignée de contes fantastiques et d’hommages à mère Nature, qui se déploie sur ses pages où l’aquarelle rehausse des portraits qui révèlent l’île actuelle.