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Les origines

Il est plutôt original de déclarer que le premier texte littéraire d’un pays a été gravé dans la pierre, cela est pourtant vrai en Suède si on se réfère à un bloc monumental de plusieurs tonnes découvert, un peu par hasard, dans le mur d’une église en 1843. Il faudra encore attendre vingt ans pour que la pierre de Rök recouvre sa position verticale, et pour que les archéologues s’attellent à essayer de décrypter les centaines de runes, miraculeusement conservées, qui ornaient cinq de ses côtés. Si le texte est sujet à bien des interprétations, la dernière hypothèse en cours voulant qu’il révèle la crainte d’un bouleversement climatique, il n’en est pas moins infiniment précieux puisqu’il s’agit de la plus longue inscription runique connue à ce jour dans le monde, et qu’il fait montre, en outre, d’un mètre si élaboré qu’il est difficile de ne pas le qualifier de littéraire. Les chercheurs s’accordent sur le fait que le bloc aurait été gravé au IXe siècle, qu’il honore la mémoire d’un fils mort au combat et qu’il mentionne des éléments mythologiques qui l’associent à la culture viking.

Contrairement à d’autres pays de la Scandinavie ancestrale, notamment l’Islande, les légendes se transmettront en Suède par le truchement de la tradition orale plutôt que par l’écrit, mais par leur passé commun il reste impossible de ne pas mentionner les grandes sagas et autres eddas rédigées aux XIIe et XIIIe siècles, surtout que ces œuvres, qui mêlent histoire et mythes, influenceront plus tard les écrivains suédois. Toujours est-il que le Moyen Âge voit surtout s’écrire des textes de loi qui laissent place, à la faveur du christianisme qui s’est progressivement implanté à partir du XIe siècle, à une littérature religieuse qui use principalement du latin. Ainsi, Petrus de Dacia, né sur l’île de Gotland aux alentours de 1235, a marqué les mémoires par sa correspondance avec la béguine allemande Christiana de Stommeln, qui subit les stigmates dès l’âge de 15 ans, et dont il écrivit une Vie de la vierge bénie du Christ. Dans la même lignée mystique, sainte Brigitte de Suède (1303-1373) a laissé des Révélations retranscrites et publiées à Rome en 1455 par le moine Pierre, prieur d’Alvastre, et diffusées jusqu’en France sous le titre Les Prophéties merveilleuses de sainte Brigitte. Les hommes d’Église s’adonnent parfois aussi à un genre dit profane, à l’image de Thomas Simonsson (1380-1443) dont les dernières strophes de son poème Engelbrektsvisan, connues sous le nom de Chanson de la Liberté, sont restées célèbres et résonnent par leur thème historique avec les chroniques médiévales alors très populaires. Le plus vieil exemple à nous être parvenu est La Chronique d’Erik, restée anonyme mais certainement composée aux alentours de 1325. Rédigée en vers libres qui recherchent plutôt la simple rime que la pureté poétique, elle raconte l’histoire du prince Erik Magnusson. D’autres chroniques chanteront de la même manière les louanges de certaines têtes couronnées.

Si le catholicisme a été un déclencheur d’importance, le protestantisme qui fait son apparition au début du XVIe siècle par l’entremise de l’arrivée au pouvoir de Gustav Ier Vasa, marquera un autre virage, bien que celui-ci se constate plus sur la forme que sur le fond. L’époque ne prône effectivement pas l’épanouissement ni d’une riche vie culturelle, ni d’un enseignement accessible au plus grand nombre comme semblent le confirmer les difficultés que rencontre la célèbre Université d’Uppsala qui assiste à la fermeture de ses chaires non dédiées à la théologie et au départ de ses étudiants notamment pour l’Allemagne. Pourtant, deux frères – Olaus et Laurentius Petri – vont, à la demande du roi, donner une traduction de la Bible en suédois (1541), ce qui posera les bases d’une langue moderne, bien différente du vieux-suédois utilisé au Moyen Âge, et encore plus du norrois précurseur. Dans le même temps, un autre duo fraternel, Johannes (1488-1544) et Olaus (1490-1557) Magnus, s’intéresse à l’histoire du pays, le premier dans Historia de omnibus Gothorum Sueonumque regibus, ouvrage où il se réfère aux théories de Nils Ragvaldsson, archevêque d’Uppsala du XVe siècle, et qui sera publié à Rome en 1554 ; le second dans Historia de gentibus septentrionalibus qui paraîtra également dans la capitale italienne l’année suivante. Ils posent alors les bases d’une théorie, le gothicisme, qui voudrait que les Suédois soient les descendants des Goths.

Littérature nationale

Georg Stiernhielm semble incarner la parfaite synthèse de ces deux courants qui expérimentent les recherches sur la langue et l’affirmation d’une identité nationale. Né en 1598, élevé dans la région de Bergslagen, ses études le mènent à vivre en Allemagne puis aux Pays-Bas avant son retour sur sa terre natale où il se consacre à la linguistique. Si certaines de ses théories laissant croire que le vieux norrois était à l’origine de toutes les langues ont depuis été contredites, sa dextérité dans l’art de l’hexamètre – vers de six pieds inspirés dans leur forme par les standards grecs et latins –, l’amènera à être proclamé père de la poésie suédoise, tout particulièrement pour son œuvre maîtresse Hercules. Ce long poème épique, certains de ses livrets de ballets, ainsi que les textes rédigés sous le règne de Christine de Suède qui l’avait anobli, se découvrent en traduction française aux éditions Les Belles Lettres.

Le pays est alors en train de s’affirmer sur la scène internationale et la littérature dans le même mouvement vit une véritable renaissance. Cela est d’autant plus vrai lorsque le siècle suivant, à l’âge dit des Lumières, voit naître deux hommes d’envergure. Le premier est Emanuel Swedenborg (1688-1772), philosophe et scientifique ingénieux, auteur du Livre des rêves, que l’on a volontiers comparé à Léonard de Vinci, le second Carl Michael Bellman (1740-1795), chansonnier dont le goût pour la caricature et la parodie le faisait frère d’âme d’Anacréon et qui laissa à la postérité Les Épitres de Fredman. En ce XVIIIe siècle fleurissent les Académies, littéraires ou artistiques, et les Cercles, à l’image de celui que tiendra la poétesse et traductrice Anna Maria Lenngren. Sans que ne soient minorées celles de l’Angleterre ou du Danemark, l’influence française prédomine et se fait source d’inspiration par exemple pour Olof Dalin (1708-1763) qui lança l’hebdomadaire Svenska Argus et fit sensation dès sa première tragédie, Brynilda.

Pourtant, c’est sous l’égide de l’Allemagne que la Suède embrasse le romantisme, à l’initiative certainement d’un fils de pasteur devenu professeur de philosophie, Per Daniel Amadeus Atterbom, né en 1790 à Östergötland et mort en 1855 à Stockholm. En 1807, il fonde une société artistique, L’Aurore, et lance dans la foulée une revue, le Phosphoros, qui donnera son nom à un courant de pensée. Sa fibre romantique y trouvera racine au milieu de textes d’autres auteurs, et s’épanouira dans son recueil Blommorna (Les Fleurs) qui entre en résonance avec l’œuvre de Novalis, et dans ses poèmes réunis sous le titre Lycksalighetens Ö (L’Île de la félicité).

L’époque voit également réapparaître le gothicisme sous la plume d’Erik Gustaf Geijer (1783-1847) mais s’empare de nouvelles figures tutélaires comme le suggère le titre de son poème Les Vikings qu’il fait paraître dans le premier numéro de la revue Iduna créée par la Götiska förbundet, association fondée en 1811 dans le but avoué de retrouver « l’esprit de virilité et de liberté des anciens dieux ». Geijer finira par délaisser le nationalisme au profit du libéralisme, et laissera inachevée son Histoire des Suédois. Son compère Esaias Tegnér (1782-1846), qui pour sa part avait fait renaître le genre de la saga avec celle consacrée à Frithiof publiée en 1825, se tournera pleinement vers la religion après qu’il eut été nommé évêque. Le tableau ne serait pas complet si n’était pas mentionnée l’œuvre phénoménale de Carl Jonas Love Almqvist (1793-1866), le premier à aborder la question de l’égalité des sexes dans Sara (1839), l’un de ses nombreux romans, un thème qui sera par la suite creusé par Fredrika Bremer (1801-1865) à qui on doit Hertha (1856) qui fera date puisqu’il entraînera deux ans plus tard la modification de la loi sur le mariage, et amorcera l’activisme féministe de l’auteure.

Modernistes et contemporains

Au mitan du siècle, en 1849, naît l’un des plus grands écrivains suédois dont la pièce Mademoiselle Julie, encensée bien au-delà des frontières du pays, évoque également les rapports entre un homme et une femme, et paraît en 1888, tout comme Années de pèlerinage et de vagabondage de son futur grand rival, Verner von Heidenstam. Complexe et torturé, August Strindberg exploitera la veine symboliste après avoir exploré le naturalisme, en cela il est devenu l’emblème aussi bien du courant moderniste que de l’expressionniste suédois. Cet écrivain fécond se découvre par son théâtre, bien sûr, mais aussi par ses textes semi-autobiographiques (Le Plaidoyer d’un fou, éditions Sillage, ou Inferno dans L’Imaginaire de Gallimard). Tout aussi célèbre, particulièrement chez les enfants, sa quasi contemporaine Selma Lagerlöf pousse son premier cri en 1858. Incarnant le courant régionaliste, elle est l’auteure du Merveilleux voyage de Nils Horlgersson à travers la Suède qui se décline toujours en maintes versions plus ou moins illustrées. Elle sera également en 1910 la première femme à recevoir le prix Nobel de littérature, à l’aube d’un nouveau siècle qui s’annonce bien plus sombre, comme semble le suggérer l’œuvre d’un écrivain que les Suédois tiennent en haute estime, Hjalmar Bergman (1883-1931) malheureusement difficile à trouver en traduction française. Obsédé par le fossé entre le rêve et la réalité, sujet qui l’accaparera dès Solivro paru en 1906, il poursuivra son exploration de la psyché humaine et de ses mécanismes dans une vingtaine de romans, notamment Markurells i Wadköping (1919) ou Clownen Jac (1930). La même force animera l’œuvre de Pär Lagerkvist (1891-1974), futur prix Nobel 1951 qui se découvre en partie aux éditions Stock. Barabbas a été salué par les plus grands, et son récit cruel Le Nain façonne les âmes à jamais.

L’entre-deux-guerres est marqué par une prise de conscience des problèmes sociétaux dans la pure voie du réalisme : les écrivains issus de milieu prolétaire partagent leur ressenti comme le font leurs chefs de file, Eyvind Johnson (Écartez le soleil, Dolorosa, Le Roman d’Olof, etc.) et Harry Martinson (Même les orties fleurissent, Il faut partir, La Société des vagabonds, etc.), qui seront ensemble couronnés par le prix Nobel en 1974. Cette lucidité nouvelle ne quittera plus les auteurs à en croire les écrits quasi journalistiques du regretté Stig Dagerman (1923-1954) et ceux de Per Olov Enquist (1934-2020) dont l’approche fort documentée aboutit à de remarquables romans à découvrir aux éditions Actes Sud (Blanche et Marie, Le Livre des paraboles). En 1945, Astrid Lindgren publie Fifi Brindacier, livre rapidement devenu un classique de la littérature jeunesse. Les poètes, quant à eux, s’autorisent d’autres visées, tels Gunnar Ekelöf qui goûte au surréalisme, Erik Lindegren qui s’éprend de musique, ou Göran Tunström qui flirte avec le réalisme magique.