Des classiques au purgatoire

En 1950, Bratislava se dote de ses propres studios, les studios Koliba, favorisant la production d’un cinéma national avant la lettre. À cause de son goût pour le folklore et les traditions rurales, le cinéma slovaque a parfois été assimilé à un cinéma d’évasion qui servait les intérêts du régime communiste, loin de la liberté de ton qui régnait alors à Prague, ce qui ne résiste pas à un examen poussé. Le Soleil dans les filets (Štefan Uher, 1963), d’une renversante beauté formelle, constitue par exemple l’une des pierres angulaires de la Nouvelle Vague tchécoslovaque. Plus conventionnel, Le Boxeur et la mort (Peter Solan, 1963), à propos d’un prisonnier que sauvent momentanément dans un camp de concentration ses talents de boxeur, fait preuve d’un impeccable savoir-faire. C’est un film local qui vaut au pays son premier Oscar du meilleur film étranger, Le Miroir aux alouettes (Ján Kadár et Elmar Klos, 1965), saisissante évocation de la collaboration et de l’emprise insidieuse du nazisme dans le petit village de Sabinov. Juraj Jakubisko, auteur d’une œuvre prolifique pour le cinéma et la télévision, sera longtemps en butte à la censure communiste : Les Oiseaux, les Orphelins et les Fous (1969), interdit jusqu’à la chute du régime, est une ode teintée de surréalisme à la liberté et à l’enfance dans un pays ravagé par la guerre. Fantaisie, narration décousue, inventivité formelle semblent alors les mots d’ordre du cinéma slovaque, comme dans Fête au jardin botanique (Elo Havetta, 1969). À la même époque, le pape du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet ,est invité en Slovaquie pour y tourner deux films, L’homme qui ment (1968) et Éden et après (1970), preuve que les tentatives avant-gardistes sont alors en odeur de sainteté. La beauté de la campagne slovaque va de pair avec un penchant pour la fantasmagorie. C’est encore le cas dans Images du vieux monde (Dušan Hanák, 1972), fascinant poème filmé sur un monde en voie de disparition, celui de vieux fermiers des Tatras. Faisant l’objet d’une moindre surveillance de la part des autorités communistes, après la répression du Printemps de Prague, les studios slovaques deviennent alors une sorte de refuge pour les réalisateurs soucieux de préserver leur liberté artistique, qui se heurtent cependant à la concurrence de la télévision. Fort d’une liberté retrouvée, Jakubisko signe les films essentiels des années 1980, tel Perinbaba (1985), adaptation d’un conte des frères Grimm, qui en conserve toute la cruauté et où l’on retrouve le château d’Orava et les Hautes Tatras.

Après l’indépendance

L’industrie cinématographique a logiquement subi de plein fouet l’indépendance et l’acclimatation au capitalisme après 1993. Martin Šulík est le principal cinéaste qui émerge dans la foulée : Le Jardin (1995) est révélateur de cette veine bucolique et méditative caractéristique du cinéma slovaque. Plus récemment, il a signé un film, Gypsy (2011), consacré à la communauté tzigane. Mon chien Killer (Mira Fornay, 2013) met en scène la haine d’une poignée de skinheads désœuvrés. Autre signe d’un intérêt nouveau, un documentaire, Hole in the Head (Robert Kirchhoff, 2017), qui revient sur le génocide parfois occulté des Roms par les nazis. Ces dernières années ont vu une augmentation de la production cinématographique, parmi laquelle on peut citer Le Candidat (Jonáš Karásek, 2013), un thriller politique, La Chèvre (Ivan Ostrochovský, 2015), sur un ex-boxeur à la dérive qui a connu une brève heure de gloire à l’occasion des Jeux olympiques, des portraits de femme comme Sans jamais le dire (Tereza Nvotová, 2017), des films en général assez sombres. Le cinéma documentaire connaît quelques réussites comme La Frontière (Jaroslav Vojtek, 2009), enquête sur la façon dont un village fut arbitrairement scindé en 1947 entre Tchécoslovaquie et URSS, ou Terroristes de velours (Péter Kerekes, Ivan Ostrochovsk et Pavol Pekarcik, 2013).