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Naissance d’un style

Occupée tardivement, l’Islande a tout d’abord adopté les codes picturaux des colons norvégiens. Jusqu’à l’union avec la Norvège en 1254, l’île entretient des relations commerciales régulières avec l’Europe, et découvre ainsi les courants anglais, français et allemands. Cependant, les échanges avec l’étranger sont freinés par les puissances dominantes, la Norvège et le Danemark. Bien vite, les épidémies et les catastrophes naturelles entraînent une forte baisse démographique. Au XVIIIe siècle, les traditions picturales se perdent presque. Le renouveau survient par les poètes et les intellectuels, porteurs d’un sentiment d’appartenance naissant. Au XIXe siècle, l’art associe le sentiment national à la nature.

Peinture islandaise

En peinture, l’expression du lien fort qui unit l’homme à la nature a pour précurseur Johannes Kjarval (1885-1972). Artiste majeur, il est le premier peintre islandais à acquérir une renommée internationale. D’origine modeste, il devient pêcheur mais il aime dessiner. Grâce au soutien matériel des pêcheurs de l’île, il étudie aux Beaux-Arts du Danemark. C’est à Copenhague qu’il découvre les mouvements novateurs qui jalonnent sa carrière. Vénéré de son vivant, il demeure une légende en Islande. Sa vision mystique de la nature fait partie des aspects les plus appréciés de son œuvre. Car la notion d’une nature vivante sera le fil conducteur de sa carrière prolifique. Ses œuvres sont regroupées au Kjarvalsstaðir à Reykjavik, qui donne sur le Klambratún Park. Sur l’île, nombre de musées sont individuels : Gunnlaugur Scheving, Svavar Guðnason, Nína Tryggvadóttir, Helgi Þorgils Friðjónsson, Þórarinn B. Þorláksson, Ásgrímur Jónsson...

Le naturalisme domine la peinture islandaise jusque dans les années 1930. Un expressionnisme modéré commence alors à percer. Les paysages sont délaissés par la jeune génération qui retranscrit la réalité sociale, comme le milieu de la pêche et des travailleurs.

Art abstrait

Les années 1940 sont celles des peintres abstraits, menés par Svavar Gudnason et Thorvaldur Skulason. Dans la période faste de l’après-guerre, les premiers mouvements artistiques islandais se constituent. Peintres et écrivains prennent goût aux voyages. Mais ce sont les années 1960 qui sont cruciales pour l'art contemporain islandais. L’avant-garde s’affirme sous la houlette de Erro, Gunnar Örn Gunnarsson, Einar Hakonarson, Jon Gunnar Arnason, Magnus Palsson et Hreinn Fridfinnsson. Le groupe SUM, sous l’impulsion de Dieter Roth, laisse entrevoir les styles en cours à l’étranger. Par la suite, tous les courants occidentaux traverseront l’Islande : pop art, art conceptuel, land art, performances, puis nouvelle peinture dans les années 1980.

Figure de proue de l’avant-garde islandaise, Louisa Matthíasdóttir (1917-2000) se fait remarquer dès la fin des années 1930. Ses tableaux, peints à larges coups de brosse favorisent la forme géométrique. En fin de carrière, elle peindra des paysages islandais ainsi qu’une série d'autoportraits. Mariée à un Américain, elle n’abandonne jamais la spécificité de sa terre natale qui procure une luminosité audacieuse à ses toiles.

Einar Hákonarson

Né en 1945, Einar Hákonarson est le peintre qui a ramené la figure dans la peinture islandaise en 1968. Expressionniste et figuratif, il est un pionnier de la scène artistique islandaise. Einar grandit dans une famille d’artistes, ce qui était peu commun de son temps. Il exécute très jeune ses premières œuvres, et est reçu à seulement 15 ans à la National Art School of Iceland. Il poursuit sa formation à l’étranger : Suède, Danemark, Argentine. S’il réalise en majorité des huiles sur toiles, il pratique aussi la gravure, la sculpture, le vitrail, les émaux et la mosaïque pour interroger la place de l’humain dans l’environnement. Ce faisant, il n’a jamais cessé d’œuvrer pour la défense de l’art islandais.

Erró

Autre grand nom de la peinture islandaise, Erró naît en 1932. Il travaille entre la France et l’Espagne. Très jeune, il s’initie à la mosaïque à Florence, puis participe à de nombreuses expositions à travers le monde. Sa peinture s’inscrit dans le mouvement pop art, porté dans les années 1950 par Andy Warhol. Chef de file de la figuration narrative, la variante française du pop art, il est aussi connu comme le pionnier du collage peint. C’est au contact des surréalistes parisiens qu’il renonce à son style pour se consacrer au collage. Il développe une technique de production en série qui consiste à peindre sur un assemblage d’images issues de bandes dessinées, de publicités, de cartes postales et de reproductions d’œuvres d’art. On compte parmi ses sujets récurrents, les politiciens et célébrités, les super-héros et les guerriers. Il émane de ses œuvres une joie délirante nuancée d’absurdité.

Sculpture

Les femmes s’illustrent principalement dans les arts textiles et la sculpture. Júlíana Sveinsdóttir (1889-1966) est une peintre et artiste textile islandaise. Installée au Danemark, Júlíana Sveinsdóttir revenait l’été peindre les paysages islandais. En 2008, son nom a été donné à un cratère de la planète Mercure. Pas banal !
Brynhildur Thorgeirsdottir, née 1955, expose dans le monde entier. Dans l’espace public, on peut admirer son Landscape à Garðabær ou Cliff à Leirvogur, Reykjavík. Ses sculptures, entre le minéral et le sacré, sont des énigmes intemporelles.

Steinunn Thorarinsdottir s’est formée à la sculpture en Italie. Depuis 40 ans, elle expose en Europe, en Australie ou encore au Japon. Ses figures humaines anonymes, nues et grandeur nature, grimpent au mur ou vous tiennent compagnie sur un banc.

Le centre-ville de Reykjavík est animé par de nombreuses sculptures modernes. Plusieurs musées sont consacrés à un unique sculpteur : le musée Einar Jónsson (ses œuvres sont inspirées par la mythologie et le folklore islandais), le Sigurjón Ólafsson Museum, où sont exposées ses sculptures abstraites et le musée Ásmundur Sveinsson (Ásmundarsafn) qui abrite 370 sculptures en bois, plâtre, terre, pierre, métal ou bronze du pionnier de la sculpture islandaise.

Street art

Le street art n’a pas toujours eu la vie facile en Islande. Issu de la culture underground, il est d’abord toléré. Dans les années 1980, des graffitis sont peints dans des tunnels ou dans des lieux d’initiés. Il évolue sans déranger. Jusqu’en 2006. Le maire de Reykjavik part alors en guerre contre le street art. Déterminé à l’éradiquer, il fait repeindre tous les murs et distribue des amendes excessives (2 000 euros). Mais l’art chassé revient au galop. La situation s’envenime jusqu’à ce qu’un groupe de défenseurs négocie un espacé dédié : Hjartagarðurinn, ou Heart Park. Seul hic, l’espace est insalubre. Ce n’est qu’en 2012 que des fonds sont alloués à son entretien et que le lieu s’épanouit : peinture, concert, skate-park animent le temple du street art. Des street-artistes étrangers viennent graffer : les Britanniques The London Police, l’Italien Galo et le Berlinois Nomad. Ce projet modifie définitivement la vision du street art dans la culture islandaise. Désormais, des street-artistes reçoivent des commandes publiques et privées et la population accepte cette pratique. Bien qu’elle reste interdite. D’autres événements valorisent le street art : Wall Poetry, qui regroupe tous les arts de rue, et Iceland Airwaves, festival qui invite musiciens et graffeurs à collaborer. Les murs de la ville relaient désormais la part de magie, le bestiaire des légendes qui sont l’âme de l’Islande. Comme le montrent les fresques qui bordent l’artère principale de Laugavegur, le street art est ici plus poétique que protestataire.

Photographie

RAX, ou Ragnar Axelsson, photographie le pays des couleurs en noir et blanc. Et pourtant, il raconte l’Islande comme personne. On se souvient de ses images apocalyptiques de l’éruption de l’Eyjafjallajökull, en 2010. Ses portraits font l’objet de mises en scène surréalistes : un homme immergé dans la lagune glaciaire, des gros plans d’icebergs qui révèlent des visages, des fermiers aux visages intemporels. Dans un autre registre, Gunnar Freyr fait découvrir la faune islandaise avec humour. Des maisons isolées, des moutons égarés montrent une autre Islande.

Des photographes venus d’ailleurs ont choisi l’Islande. L’Australien Benjamin Hardman se passionne pour les paysages extrêmes. Il documente la faune et la flore dans l’espoir d’alerter sur les méfaits du réchauffement climatique. D’origine moldave, Iurie Belegurschi arrive à Reykjavik en 2006. En parallèle de ses activités de guide touristique, il poursuit une carrière : paysages, aurores boréales et images oniriques sont publiées par The Huffington Post et The Telegraph. Il expose aussi bien à Hong Kong qu’en Islande.

De nos jours

Pour prendre le pouls de la scène d’aujourd’hui, une escale s’impose au NYLO Living Art Museum, lieu dirigé par des artistes.

Parmi les artistes islandais présents sur la scène internationale, Sigurdur Arni Sigurdsson (né en 1963) expose dans plusieurs musées français et islandais dont le Musée national d’Islande et le Musée de la Ville de Reykjavik. Représentant de l’Islande à la Biennale de Venise de 1999, Sigurdur Arni questionne l'espace et sa dimension abstraite en peinture et en photographie.

Olafur Eliasson, né en 1967, exerce son art en sculpture, photographie, vidéo, installations et peinture. Pour lui, l’art est un moyen fondamental de transformer la réflexion en action.

Katrin Fridriks, née en 1974, a développé une technique qui retranscrit la dynamique de ses gestes sur la toile, pour capturer l’acte même de peindre. Quand peindre devient un acte chorégraphique.

Au Palais de Tokyo, Ragnar Kjartansson (né en 1976) est surnommé « le viking flamboyant ». Son œuvre évolue à la croisée de la performance, de la vidéo, de la sculpture, de la peinture et de la musique. Vedette montante, il a reçu les honneurs du Guggenheim de Bilbao, ou encore du New Museum à New York. Grâce à lui, la poésie islandaise continue d’embellir la scène artistique.