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Les cicatrices de l’occupation soviétique

Il existe également un très fort attachement à leur pays et au folklore, qui s’explique en grande partie par ce destin déchiré au cours de l’histoire et la volonté de l’URSS de détruire toutes racines. Il faut également rappeler que les cinquante années d’occupation soviétique ont sclérosé, muselé et assombri l’esprit des Lituaniens.

Des habitudes héritées du système passé restent présentes dans les mentalités – surtout chez les deux dernières générations, c’est-à-dire les 30/70 ans qui n’ont connu que cette période de l’histoire de leur pays – et même si tous cherchent à oublier ce trop long épisode, des années seront encore nécessaires pour que les traces disparaissent. L’indépendance est récente et l’avenir appartient désormais surtout aux plus jeunes générations. Toutefois, depuis quelques années déjà, les gens semblent avoir retrouvé le sourire et l’envie de s’amuser, de sortir… Car, même si les conditions économiques sont loin d’être satisfaisantes pour tous (il y a les nombreux laissés-pour-compte de l’indépendance et de la crise économique frappant désormais le pays), l’atmosphère pesante et pessimiste de l’époque soviétique a disparu. Seule la population russophone demeure attachée moins à l’ancien régime qu’aux symboles et aux souvenirs qu’ils véhiculent, d’où parfois des situations de heurts sérieux comme en Estonie en 2007 à la suite du déplacement d’une statue de bronze d’un soldat de l’Armée rouge.

Tempéraments nationaux

Le stéréotype veut que les Lituaniens soient un peuple émotif, parfois exalté, comparé à leurs voisins du Nord. Ils deviennent aussi facilement irritables si vous les jugez trop hâtivement. Pendant le conflit pour l’indépendance au début des années 1990, la Lituanie a acquis une renommée et une sympathie mondiale pour son duel « David contre Goliath » avec Moscou. Beaucoup ont considéré la Lituanie comme la plus courageuse des anciennes républiques soviétiques, la seule uniformément peu disposée à plier ses principes face aux menaces russes. Cette endurance face au climat ainsi qu’à l’adversité se retrouve dans le caractère quotidien du Lituanien avec cette inertie palpable lors de contacts avec la population.

Grands militaires, ils firent pièce jusqu’à sa disparition au puissant ordre Teutonique et étendirent la Lituanie du XVe siècle en un empire touchant les rives de la mer Noire ; elle a inclus de grandes régions de l’Ukraine actuelle, de la Biélorussie et de la Russie. Cette grande histoire mène quelques chefs lituaniens à agir singulièrement comme s’ils représentaient toujours une grande puissance.

Enfin, sans tomber dans les clichés, on pourrait dire que la Lituanie est le plus rural des trois pays baltes. Ce passé agraire plus fort que celui de ses deux voisins se traduit même dans les grandes villes comme Vilnius par une certaine rusticité dans le comportement comme dans les interactions humaines.

Plus citadin et international que ses voisins Tallinn et Vilnius, Rīga (la plus grande et la plus industrialisée des trois capitales) est un port de longue date destiné au commerce extérieur (depuis l’époque de la Hanse), ce qui a favorisé son ouverture sur le monde. Les Lettons n’en gardent pas moins un caractère très imprégné de culture scandinave. Ainsi ils pourront paraître très froids et distants alors même qu’ils vivent le moment le plus exaltant de leur vie. On retrouvera pourtant les mêmes, dansant avec une fantaisie et une énergie folle, sur la piste de danse du club du coin, sans se soucier de la convenance et du rythme de la mélodie. Reflets de leur position géographique, les Lettons oscillent étonnamment entre le feu et la glace, de fait ils sont le peuple le plus vivant des trois républiques et les plus abordables par les visiteurs de passage. Cependant attention, un jour ils partiront sans vous saluer, et le lendemain ils vous accueilleront avec l’effusion que l’on réserve à son meilleur ami. Pour mieux comprendre ces paradoxes, il faut garder l’histoire du pays à l’esprit. La toute fraîche indépendance a provoqué le renouveau de l’identité nationale, si longtemps opprimée, et donne aux Lettons la fierté d’un peuple jeune qui a rejoint la cour des grands.

Avec l’économie qui s’améliore et leur entrée dans l’Union européenne, les Lettons sont devenus plus confiants. Mais cette nouvelle confiance ne s’accompagne pas d’une arrogance aussi manifeste qu’en Estonie. Le Letton est un peu plus facile à vivre et le sourire lui vient plus facilement et naturellement que son voisin. Dans son livre, La Révolution balte, Anatol Lieven décrit les Lettons comme suit : « La Lettonie est une nation indéterminée, chevauchant de manière instable entre ses deux voisins plus décisifs… Les Lettons se considèrent comme des rêveurs avec un bon sens pratique… Ils sont considérés par les autres Baltes comme ayant la capacité rare de croire deux choses contradictoires en même temps… »

Le caractère des Estoniens a inévitablement été façonné par l’histoire du pays et l’environnement naturel. S’ils sont introvertis et taciturnes durant les longs et sombres hivers, les beaux jours leur donnent l’inspiration des grands festivals de chants. Les Estoniens sont réputés être têtus et avoir tendance à ne pas se laisser impressionner par le premier venu. Ernest Hemingway a écrit que dans chaque port du monde, on peut trouver au moins un Estonien ; il voulait parler de l’esprit d’entreprise qui anime ce petit peuple.

Tout comme les Lituaniens et les Lettons, les Estoniens sont très attachés à la nature qui les entoure. Les fleurs sont ainsi particulièrement présentes dans la vie quotidienne. Pour un rendez-vous galant ou non, que ce soit avec sa mère ou sa petite amie, un Estonien ne manquera jamais de se présenter au moins avec une fleur. Les fleurs s’offrent toujours en nombre impair et souvent emballées dans du papier. Même entre hommes, à l’occasion d’un anniversaire ou d’une célébration, les fleurs seront bien accueillies. De nombreux kiosques de fleuristes quelquefois même ouverts 24h/24 et 7j/7 ponctuent les rues des villes estoniennes. Le 1er septembre, jour de la rentrée des classes, les enfants dans leurs plus belles tenues se présentent à l’école avec des bouquets destinés aux professeurs.

L’Estonie, l’ultraconnectée

C’est ici que Skype a été inventé et le réseau téléphonique et de données cellulaires est excellent dans tout le pays. Pas étonnant, puisque c’est un pays très tourné vers le numérique.

Par exemple, chaque citoyen possède une carte d’identité électronique, permettant d’accéder aux services numériques de l’État. En 2018, quasiment 100 % des services publics étaient dématérialisés.

Au printemps 2020, quand la crise sanitaire s’est déclarée, le pays a pu rapidement s’adapter.

Le 13 mars 2020, le lendemain de l’annonce de l’état d’urgence, une plateforme d’innovations citoyennes a été lancée, Hack the Crises. Il a été proposé un « hackaton » – un marathon de 48h de développeurs informatiques qui ont travaillé sur des projets en mode collaboratif. Avec plus de 1 000 participations, cinq projets ont été récompensés :

une carte interactive qui donne les chiffres sur le Covid dans le pays ;

un chatbot pour s’informer et répondre aux questions les plus fréquentes sur le virus ;

un questionnaire pour s’auto-évaluer sur le risque d’être infecté ;

un site Internet pour les volontaires prêts à aider dans les hôpitaux si besoin ;

une plateforme pour les entreprises, pour se prêter de la main-d’œuvre dans cette période.

Des initiatives à la suite du Covid

En Lituanie, les artistes ont fait preuve d’innovation pour faire face à la pandémie. La ville de Vilnius a offert cent panneaux d’affiches extérieurs pour une centaine d’artistes. En plus de créer une galerie d’art en plein air, l’idée permet aux artistes de pouvoir vendre leurs œuvres. De nombreux autres artistes ont bénéficié d’une galerie virtuelle pour faire connaître leurs travaux.

Côté musique, toujours en Lituanie, de nombreux concerts en mode drive-in ont eu lieu. Et aucun haut-parleur pour retransmettre la musique, mais une fréquence radio spéciale.

Un tourisme « de mémoire »

Côté tourisme, les pays baltes ont développé un tourisme de mémoire, un peu atypique : d’anciennes prisons devenues hôtels, d’ex-bases soviétiques désormais ouvertes… Le passé historique est au cœur de ces visites. Appelé « tourisme carcéral », de nombreuses agences surfent sur cette mode et les publicités fleurissent comme celle de Karosta, « la seule prison militaire ouverte aux touristes en Europe ».

Droits LGBT

Dans ces anciens pays soviétiques, l'homosexualité a longtemps été interdite et considérée comme une maladie. Si aujourd'hui de nombreuses associations se battent pour faire avancer les droits LGBT, il reste encore un niveau d'homophobie élevé.

Kaliningrad étant russe, il convient d’être vigilant pour les voyageurs concernés, les droits LGBT ne sont pas respectés et l'homophobie est très présente. En février 2013, Kaliningrad a adopté une loi interdisant la « propagande homosexuelle » à l'égard de la population entière.

L'Estonie devient en octobre 2014 la première république ex-soviétique à permettre l’union civile aux couples homosexuels, même si dans les faits, c'est très compliqué. La population accepte – en grande majorité – l’homosexualité. Mais à l’automne 2020, le ministre de l’Intérieur Mart Helme a eu des propos ouvertement homophobes, en incitant les homosexuels « à fuir vers la Suède ». Heureusement, ces propos ont provoqué un véritable tollé et ont été fortement dénoncé par la présidente. Il sera poussé à la démission en novembre 2020.

En 2015, Rīga a accueilli l’Europride, devenant ainsi le premier pays ex-soviétique à organiser cet événement. Depuis janvier 2019, la Lituanie accorde les permis de séjour aux conjoints étrangers de citoyens en couple gay ou lesbien. En décembre 2020, l’archevêque de Lettonie a demandé qu’un cadre légal soit créé pour les couples gays. L’objectif est de protéger tous les couples et familles.

Égalité des sexes

Dans les pays baltes, l’égalité homme-femme semble assez respectée, sans doute due à son passé soviétique. « Pour qu’elle soit réellement émancipée, pour qu’elle soit vraiment l’égale de l’homme, il faut qu’elle participe au travail productif commun et que le ménage privé n’existe plus », affirmait Lénine.
En Lituanie, 57 % des scientifiques et des ingénieurs sont des femmes et 53 % en Lettonie. En revanche, même si l’Estonie s’est engagée dans une démarche de parité, les inégalités de salaire sont d’environ 25 %, soit un des taux les plus élevés d’Europe.

Quant à Kaliningrad, l’enclave russe, les violences domestiques sont dépénalisées depuis 2017…

Sur une note plus joyeuse, direction une petite île estonienne, celle de Kihnu. Sur les 16 km2 de l’île se trouve une des dernières sociétés matriarcales d’Europe. En 2008, l’île a été classée au patrimoine immatériel de l’Unesco. Depuis le XIXe siècle, les femmes s’occupent de tout pendant que les hommes partent pêcher en mer pendant des mois.