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Les origines

Comme souvent, et cela se confirme dans les trois pays baltes, la tradition orale – légendes, contes et mythologies mêlés – laisse place à une littérature écrite d’inspiration religieuse. Dans un très court laps de temps, respectivement en 1525, 1535 et 1547, la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie voient imprimer un catéchisme. Du premier il ne reste pas d’exemplaire connu, mais il aurait été mis sous presse en Allemagne, tout comme le second, compilé par Simon Wanradt puis traduit du bas-allemand vers l’estonien par Johann Köll, dont il existe une copie fragmentaire. Le troisième, en revanche, a miraculeusement traversé les siècles : deux fascicules s’admirent toujours, l’un à Vilnius, l’autre à Toruń (Pologne). Ce Catechismusa Prasty Szadei (Les Mots simples du catéchisme) est l’œuvre d’un auteur et éditeur prolixe, Martynas Mazvydas (1510-1563), qui a peut-être collaboré avec Stanislovas Rapolionis, autre écrivain majeur qui aurait entamé une traduction de la Bible en lituanien après avoir œuvré sur une version polonaise. De source plus sûre, le livre saint a été transposé en letton au XVIIe siècle par Johann Ernst Glück.

Tandis que le siècle suivant voit se développer en Estonie et en Lettonie des littératures nationales fortement influencées par les modèles allemands ou écrites dans cette langue, à l’image de Die Letten (1796) qui vaudra à Helwig Merkel tout autant le succès que l’exil car il y dénonçait le sort réservé aux serfs de son pays, la Lituanie voit secrètement être composée par Kristijonas Donelaitis, né en 1714 à Lasdinehlen (Prusse-Orientale ou Lituanie mineure), une œuvre poétique d’envergure : Metai (Les Saisons). Ce recueil, réuni par le professeur Ludwig Rhesa, fut édité à titre posthume presque quarante ans après le décès de l’auteur en 1780. Bien que la première version ait été drastiquement expurgée, sa métrique parfaite en a fait le premier chef-d’œuvre écrit en lituanien. Représentation réaliste de la vie des paysans, il est aussi témoignage précieux donné par un futur pasteur ayant grandi dans un milieu modeste.

Le 14 mars 1801 voit le jour un autre poète au génie méconnu de son vivant, Kristjan Jaak Peterson. Sa date anniversaire a été retenue pour la célébration de la langue maternelle en Estonie bien qu’il fût né à Rīga alors sous domination russe, car c’est effectivement dans la langue de ses parents que le jeune homme écrira ses plus beaux poèmes, malheureusement fort peu nombreux car la tuberculose l’emportera à vingt et un ans. Affranchi de la versification, il a consacré ses odes à la nature et à l’esprit humain – ce en quoi se devine l’influence des préromantiques allemands –, mais s’est intéressé aussi aux dieux finnois en donnant une traduction allemande de la Mythologia fennica du Finlandais Cristfried Ganander. En cela, à son tour, il inspirera Friedrich Reinhold Kreutzwald (1803-1882), le « père du chant » de la littérature estonienne, qui assista durant sa vie au « réveil » de son peuple. Dans cette recherche d’une identité nationale se dessine l’envie de collecter les vestiges de la tradition orale et d’y discerner, peut-être, une épopée oubliée. Kreutzwald poursuivra l’œuvre du philologue Friedrich Robert Faehlmann après la mort en 1850 de ce dernier, et achèvera la rédaction de ce qui est devenu un monument culturel incontournable : le Kalevipoeg. En pratiquement 20 000 vers est racontée l’histoire de Kalev et de Linda qui ont donné naissance à un garçon d’une force surhumaine. L’équivalent letton, postérieur d’une vingtaine d’années, est le Lāčplēsis (Tueur d’ours) composé par Andrejs Pumpurs, car la Lettonie est également à la recherche de références depuis qu’elle a, elle aussi, vécu un renouveau porté dès 1850 par de jeunes intellectuels. À la faveur de cet élan auront émergé les plumes de Krisjānis Valdemārs (1825-1891), folkloriste qui aura fait collection des chants traditionnels dainas, tout comme Krisjānis Barons (1835-1923), Juris Alunāns (1832-1864), linguiste et écrivain dont le neveu Ādolfs (1848-1912) est considéré comme le père du théâtre letton, ou encore Kārlis Baumanis (1835-1905), qui a composé l’hymne national Dievs, Sveti Latviju.

L’époque contemporaine

Hélas, cette recherche d’une identité propre par trois nations que l’on considérait jusqu’à présent comme « sans histoire » va être progressivement interrompue par un XIXe siècle qui déjà laisse présager à quel point le siècle suivant sera dévastateur pour l’ensemble des pays baltes. En 1832, l’université de Vilnius doit fermer ses portes, en 1864 l’alphabet latin qui servait à écrire la langue nationale est remplacé par l’alphabet cyrillique. La situation se tend aux quatre coins du territoire mais peu à peu s’impose l’idée de l’indépendance. Celle-ci ne sera que chèrement acquise, elle coûtera par exemple l’exil à Jānis Plieksāns (1865-1929), dit Rainis, qui s’était investi dans la révolution lettone de 1905. C’est donc en Suisse que cet auteur protéiforme composera quelques-unes de ses pièces les plus célèbres : Cheval d’or en 1909, Je joue, je danse ! en 1915, et son fameux poème Daugava. Il finira par regagner son pays après que l’indépendance aura été proclamée en 1918.

Survient alors une relative période d’accalmie durant laquelle est signé en septembre 1934 un pacte, l’Entente baltique, qui respecte le multiculturalisme de chacun de ses signataires mais reconnaît aussi des similitudes fraternelles. Quelques talents littéraires alors se démarquent, notamment la poétesse estonienne Marie Under qui publie en 1935 Une pierre ôtée du cœur, et son concitoyen Anton Hansen Tammsaare qui fait date avec son cycle Vérité et Justice dont les cinq tomes sont publiés entre 1926 et 1933. En Lettonie, c’est le très engagé Jānis Akuraters qui bouleverse dès 1905 avec son poème Des cris de guerre sur les lèvres, et Kārlis Skalbe qui étonne avec ses contes de fées qui ne sont pas que pour les enfants. Enfin, la Lituanie compte un digne représentant à Paris en la personne d’Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, poète de l’évocation, tandis que sa consœur Sofija Kymantaitė-Čiurlionienė voyage, expérimente et se fait tout spécialement reconnaître en tant que dramaturge. Pourtant, à nouveau la guerre va interrompre cette émulation, et l’annexion russe rimera avec exil, censure… voire déportation comme celle que subira durant de longues années en Sibérie l’Estonien Jaan Kross dont Le Fou du tsar se lit avec passion aux éditions Robert Laffont. Il faudra alors attendre la nouvelle indépendance des pays baltes, à l’aube des années 1990, pour que puisse refleurir la littérature qui s’incarne dans des noms qui petit à petit nous deviennent familiers : Andrus Kivirähk, Tõnu Õnnepalu, Inga Abele, Elena Selena…