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Effervescence médiévale

Dans les nations baltes, le christianisme s’est véritablement développé à partir de 1186, donc relativement tardivement, ce qui explique qu’elles n’abritent que très peu d’édifices romans, le premier « style » de la chrétienté. L’église Saint-Georges de Rīga, avec ses belles arches, en est l’une des représentantes. C’est un style hybride romano-gothique qui s’est, en revanche, rapidement développé, associant sobriété romane et élancement gothique. Certaines églises se sont alors démarquées par des silhouettes extrêmement simples, une austérité décorative et parfois même une absence de clocher, témoignant d’un rôle clairement défensif. C’est le cas de la cathédrale d’Haapsalu. Cette période fut suivie du plein rayonnement du gothique, quasiment toujours de brique, s’illustrant dans des édifices caractérisés par d’impressionnantes hauteurs sous voûtes, une étonnante richesse décorative et des clochers perçant le ciel. Parmi ses grands chefs-d’œuvre, notons : l’église Saint-Jean de Tartu avec sa façade ornée de minuscules sculptures en terre cuite, l’église Saint-Pierre de Rīga, dont le clocher fut longtemps la plus haute construction en bois d’Europe, l’église Sainte-Anne de Vilnius avec sa façade ouest sublimée par pas moins de trente-trois variétés de briques, ou bien encore la cathédrale Sainte-Marie de Rīga, dont les pignons à redans témoignent de l’expansion de la Ligue hanséatique. Cette dernière a permis le développement d’un style gothique particulier fait de briques rouges évidemment, que l’on retrouve sur les puissantes fortifications, les riches entrepôts ou dans les imposants hôtels de ville, mais aussi de bois, que l’on retrouve dans les maisons à colombages, souvent désignées par le terme fachwerk signifiant « main-d’œuvre qualifiée » du fait de l’expertise nécessitée par leur construction. Pignons à redans, blasons et écussons comptent parmi les attributs décoratifs de ce gothique hanséatique dont la ville de Rīga abrite de beaux exemples, notamment de très belles maisons de corporation, à l’image de la confrérie des Têtes Noires. On voit ainsi se dessiner un urbanisme typiquement médiéval avec de florissantes cités protégées par d’imposantes fortifications, parcourues par une multitude de ruelles tortueuses, souvent reliées à une artère principale pavée (la rue Pilies de Vilnius est l’une des plus anciennes), organisées autour de petites places et abritant des maisons aux formes souvent irrégulières. Un joyeux « chaos » dont la vieille ville de Tallinn est la plus belle représentante. Ses fortifications et sa forteresse rappellent que le Moyen Âge fut une période de troubles et de guerres constantes. C’est ce qui explique la multiplication des châteaux dans les trois pays baltes. Le château de Kaunas, premier en pierre de Lituanie, impressionne avec ses murs de 13 m de haut et de 2 m de large ; mais dans le pays, c’est le château de Trakai et son imposante silhouette de brique rouge à quatre étages qui est le plus célèbre. En Estonie, le château de Kuressaare, dont la silhouette de pierre de dolomite locale surplombe un impressionnant système défensif, peut s’enorgueillir d’être le mieux conservé de la Baltique !

Fastueux XVIe-XVIIIe siècles

Au XVIe siècle, les nations baltes continuent à voir se construire châteaux et fortifications. C’est à cette époque que sont renforcés les remparts de Tallinn jalonnés de quarante-huit tours, dont la plus célèbre est la tour Grosse Marguerite. En parallèle, les commerçants continuent de se faire construire de belles maisons. Kaunas regorge d’édifices de l’époque, à l’image de la pharmacie-entrepôt dont voûtes et façade traduisent la survivance du gothique en pleine période Renaissance…Renaissance dont l’église Saint-Michel de Vilnius est l’un des rares exemples. Le baroque, au contraire, va trouver dans ces pays un terrain propice à son rayonnement. Au XVIIe siècle, les maisons bourgeoises, qu’elles soient de pierre ou de bois, rivalisent de richesses ornementales (frises, portiques et portails joliment décorés…). Rīga en possède de superbes exemples, comme la maison Mentzendorff ou la maison Jean Rheuttern. Les palais et châteaux d’alors voient leurs élégantes silhouettes rehaussées par la nature environnante, mise en scène dans des parcs somptueux, comme dans le château de Raudondvaris. On retrouve l’omniprésence de la nature dans le superbe monastère Pazaislis de Kaunas dont l’impressionnante coupole de l’église (45 m !) domine jardins et vergers. La Réforme s’était largement développée, notamment en Estonie et en Lettonie, voyant se multiplier de nombreuses églises luthériennes sobres et austères, et souvent de bois. Pour contrer cette influence, les Jésuites ont entamé un impressionnant programme de constructions destinées à ramener les fidèles dans le giron de l’Église. Le baroque jésuite a d’abord pris des atours défensifs comme le montre bien l’église Saint-Pierre de Daugavpils avec l’impressionnante voûte en tunnel de sa nef principale et sa silhouette flanquée de deux tours. Puis il a ensuite fait place à une exubérance décorative dont l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Vilnius, avec ses deux mille personnages en stuc couvrant les voûtes, est le plus bel exemple. Clochers élancés surmontés de flèches décorées et puissants dômes dessinent l’horizon de la belle cité… qu’ils soient les attributs des églises catholiques ou orthodoxes ! Ces dernières se parent souvent aux couleurs vert, blanc et or du baroque moscovite. C’est durant le XVIIIe siècle que vont se construire les plus beaux manoirs et palais de campagne, témoins de la prospérité des élites germano-scandinaves. Dans la campagne lettone, ces palais portent le nom de muizas. Le plus beau est sans aucun doute le palais de Rundale réalisé par Bartolomeo Rastrelli, architecte de l’Ermitage et du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg. Sa grande allée bordée d’écuries semi-circulaires mène au cercle d’honneur, l’espace faisant directement face au palais… de cent trente-huit pièces ! Sa réalisation nécessita près de quinze cents ouvriers et artisans. En Estonie, le manoir de Palmse possède, lui, un superbe jardin peuplé de pavillons. C’est à un autre Italien, Niccolo Michetti, que l’on doit le palais du parc de Kadriorg, demandé par Pierre le Grand… on comprend mieux ses couleurs blanc et pêche rappelant les plus beaux édifices du Saint-Pétersbourg baroque. Au foisonnement décoratif baroque va succéder la pureté des formes classiques. Ce classicisme se caractérise par le recours à des éléments antiques (colonnes, frontons…) et par l’emploi de couleurs pastel soulignant l’harmonie des édifices. L’hôtel de ville de Kaunas, surnommé « le cygne blanc » du fait de la tour de 53 m qui le surmonte, se partage encore entre baroque tardif et classicisme ; mais l’université actuelle de Tartu, avec sa façade jaune pâle rehaussée de six colonnes blanches est, elle, pleinement classique.

Renouveau et Art nouveau

Le XIXe siècle est une période de renouveau urbanistique. De nombreuses fortifications sont démantelées pour permettre l’expansion des villes, d’autres sont transformées en espaces verts. C’est le cas notamment à Vilnius, Tallinn et Rīga. On perce également de nouvelles artères, à l’image de l’avenue de la Liberté de Kaunas, longue de près de 1,6 km. En matière stylistique, ce siècle se fera éclectique, les styles néo étant très prisés des élites pour témoigner de leur prospérité. On retrouve également ce style dans les grandes stations balnéaires et thermales. Pärnu possède ainsi d’étonnantes maisons aux façades ornées de colonnes corinthiennes et frises de couleurs, tandis que le parc de son complexe thermal néoclassique accueille kiosques, pavillons, fontaines et arches décoratives. Ne manquez pas non plus les superbes maisons en bois à la décoration ciselée (frises, lambrequins…) de la belle station thermale estonienne de Narva-Jöesuu. Ces stations sont souvent très prisées de l’intelligentsia russe qui fait aussi édifier de somptueuses églises orthodoxes avec leurs dômes à bulbes, leurs couleurs vives et leurs dorures, et leurs silhouettes mêlant brique et bois. À Kaunas, l’église d’Igulos, à la silhouette néobyzantine rehaussée de bleu, impressionne par son harmonie et sa symétrie. En parallèle, les grandes fortunes continuent de se faire construire de somptueuses demeures, à l’image du château de Sangaste, réplique du château de Windsor, ou du château de Plunge dont les atours néo-Renaissance rappellent le Palazzio Vecchio de Florence. Cet éclectisme est si présent qu’il va teinter les premières réalisations de l’Art nouveau. Ces dernières se font très décoratives, accordant une attention toute particulière à la façade qui s’orne de volutes, guirlandes et sculptures. Le grand représentant de ce courant est l’architecte Mikhaïl Ossipovitch Eisenstein (le père du célèbre cinéaste) qui qualifiait lui-même son style « d’Art nouveau esthétiquement éclectique ». On trouve un grand nombre de ses réalisations à Rīga, dans la rue Alberta notamment. D’abord très influencé par le Jugendstil (Art nouveau allemand) et par le mouvement Arts and Crafts anglais, l’Art nouveau va progressivement se faire le vecteur d’une identité nationale, grâce à l’école de Rīga, à l’origine du « romantisme national », mêlant  éléments Art nouveau et motifs traditionnels dans des réalisations faisant la part belle aux matériaux naturels. Ces réalisations se caractérisent également par des embrasures de fenêtres effilées et des toits s’élançant vers le ciel, leur donnant une étonnante silhouette verticale. L’Art nouveau « tardif », sous l’impulsion des architectes formés à l’Institut polytechnique, se fait plus rationnel et anguleux, annonçant le modernisme architectural… que l’on retrouve en Estonie, largement influencée par la Finlande. Tartu abrite ainsi les réalisations de deux légendes finlandaises : Alvar Aalto qui y réalisa la villa Tammekan, structure cubique minimaliste et fonctionnelle, et Eliel Saarinen, qui y dessina les plans de l’église Saint-Paul. On doit également à ce dernier de nombreux immeubles à Tallinn.

Après-guerre

Si les Soviétiques ont laissé une telle empreinte dans les pays baltes, c’est parce qu’ils en ont planifié la reconstruction… tout en « sacrifiant » une grande partie du territoire pour y installer des infrastructures militaires. Si l’on associe souvent aujourd’hui ce modernisme soviétique à des réalisations de béton uniformes et grises, c’est oublier qu’au départ, ces projets étaient liés à une réflexion urbanistique novatrice en lien avec de vraies visées sociales. Conçus pour accueillir l’immigration de masse générée par la très forte industrialisation, les nouveaux quartiers se voulaient autonomes, disposant de tous les services de proximité nécessaires et faisant la part belle aux espaces verts. Les immeubles, préfabriqués en béton, offraient un confort moderne pour l’époque, malgré des espaces relativement petits. Le préfabriqué permettait de construire vite, y compris de petites maisons individuelles dans les campagnes, même s’il entraînait de fait une uniformité peu esthétique…En parallèle, les Soviétiques ont développé une architecture mémorielle grandiloquente, comme l’illustre très bien le mémorial de Maarjamägi de Tallinn composé notamment d’un obélisque et d’une arche. La ville abrite d’autres témoins de ce monumentalisme soviétique, à l’image de l’hôtel Viru, unique témoin d’un projet qui prévoyait de nombreux gratte-ciel. La ville, qui accueillit les épreuves nautiques des JO de Moscou en 1980, se dota également d’un étonnant palais des Congrès fait d’esplanades superposées s’étageant vers la mer telle une pyramide maya. Aujourd’hui, un nouvel élan créateur souffle sur les pays baltes. En Lituanie, c’est le célèbre architecte Daniel Libeskind qui a été choisi pour réaliser le MO Museum de Vilnius, étonnante réalisation tout en angles. L’emblème de la Lettonie, la Bibliothèque nationale, est une œuvre de l’architecte américano-letton Gunars Bikerts. Surnommée « le château de lumière » du fait de sa façade vitrée, elle impressionne par ses allures de montagnes géantes (68,3 m de haut, 170 m de long, 44 m de large). Le pays se fait aussi novateur en matière environnementale comme le montre bien l’étonnant lotissement écologique à Cēsis où toutes les maisons sont réalisées en matériaux naturels et durables (cadres en bois, toitures de chaume ou copeaux de bois, tuiles de terre cuite, boiseries décoratives…). La Lettonie mise aussi sur la préservation de son patrimoine historique, comme l’illustre bien la réhabilitation du quartier Spikeri de Rīga où chaque entrepôt de brique a été transformé en galerie ou musée. Mais c’est peut-être l’Estonie qui connaît la plus forte vitalité créatrice. Les réalisations de l’agence KOKO Architects illustrent très bien le souhait de créer un dialogue harmonieux entre passé et présent. C’est à elle que l’on doit le Baltic Station Market de Tallinn qui intègre la structure du marché originel à une nouvelle structure à la charpente de bois, l’ensemble étant unifié par un toit à haut pignon. On lui doit aussi la Fahle House composé d’un volume en verre superposé à une ancienne chaufferie en brique. De nombreux quartiers de la ville se transforment, à l’image de l’ancien port dont toute la zone va être repensée d’ici à 2030 par les architectes de l’agence Zaha Hadid. Au programme : voies piétonnes, espaces verts, meilleure intégration à la ville et nouveaux édifices tout en courbes. L’Estonie mise aussi beaucoup sur la filière bois dont elle est la championne incontestée. Grâce à ses structures en préfabriqué, elle peut construire rapidement des logements sains, résistants, bien isolés et surtout écologiques. Le pays voit plus loin, puisqu’il participe à des projets de tours réalisées entièrement en bois. Une belle manière de perpétuer cette tradition de l’architecture du bois que l’on retrouve dans les trois nations baltes. Simples cabanes de rondins aux toits couverts d’herbe, fermes en planches de bois sur fondation de pierre et surmontées de toit de chaume rehaussé de faîtes décorés, maisons de pêcheur au bois protégé par de la peinture de couleurs (le rouge souvent), résidences secondaires agrémentées d’un sauna et décorées de fleurs, fermes en bois aux toits de roseaux, maisons sur pilotis, moulins à vent mêlant pierre et bois… l’architecture vernaculaire est une déclinaison presque infinie des potentialités du bois. Pour en découvrir les richesses, rendez-vous dans les nombreux musées en plein air et ethnographiques des pays baltes, ils sont la mémoire vivante de ces pays qui n’ont pas fini de vous surprendre !