D'hier…

L'histoire du Salvador ne commence pas à s'écrire avec l'arrivée des Espagnols en 1522, puisque les Pilpils, peuple nahuatl, l'occupaient de longue date et lui avaient donné pour nom Cuzcatlan, « l'endroit des pierres précieuses ». L'autre richesse – culturelle – succomba malheureusement à la colonisation et, de nos jours, à peine quelques centaines de locuteurs maîtrisent encore la langue originelle. En 2017 et 2018, la nouvelle génération s'est alors lancée dans une collecte de ce patrimoine nahuatl. Ce projet – Titajtakezakan – reçut le soutien de l'Unesco. C'est encore l'oralité qui donna naissance au premier genre littéraire car le théâtre s'y épanouit bien avant la poésie, même si Miguel de Cervantes, dans son célèbre Voyage au Parnasse, mentionna avec ferveur Juan de Mestanza. Celui-ci, originaire d'Agudo (Espagne) puis maire de Sonsonate entre 1585 et 1589, versifiait en effet à ses heures. Si la mémoire collective a retenu qu'il défendit les Indiens, son œuvre fut par contre perdue… Deux siècles plus tard, c'est encore dans le monde politique qu'exerça celui qui est considéré comme le premier poète du Salvador, Miguel Álvarez Castro (1795-1856). Un terrain hostile qui lui valut un exil nicaraguayen et une mort dans la plus absolue pauvreté ; un terreau fertile qui lui inspira certainement son œuvre néo-classique aux forts accents patriotiques. Enfin, nous pourrions citer Francisco Díaz (1812-1845) et Juan José Cañas (1826-1918) qui à leur tour endossèrent une double casquette, celle de poète et de militaire.

Pourtant, c'est plutôt Francisco Gavidia qui a gagné sa postérité. Né en 1863 au Salvador où il perdit la vie en 1955, il abandonna ses études rapidement mais rejoignit La Juventud, cercle littéraire, où il put assouvir son insatiable curiosité pour les langues et les lettres. Autodidacte, polyglotte émérite – au point de créer son propre « idioma Salvador » qui ne rencontra guère le succès mais dans lequel il composa tout de même plusieurs poèmes (Los Argonautas, A Marconi) – il voyagea jusqu'à Paris et fut doublement couronné à la fin de sa vie, par le titre de Docteur Honoris Causa décerné par l'Université et par l'ordre José Matías Delgado reçu des mains du président de la République. Son œuvre est à la hauteur de ses connaissances, encyclopédique, éclectique et foisonnante ! Elle se déploie de la poésie (Versos) au théâtre (Ursino, Júpiter, Héspero), des essais (1814, Historia moderna de El Salvador) à la fiction (Conde de San Salvador o el Dios de Las Casas, Cuentos y narraciones). Il avait pour ami – et influença, dit-on – un écrivain célèbre, le poète nicaraguayen Rubén Darío, père du Modernisme.

Comme Gavidia, Alberto Masferrer (1868-1932) fut l'homme de tous les talents – journaliste, politicien, enseignant et écrivain – qu'il mit au service de sa lutte contre la pauvreté et de ses prises de position pour les droits des plus modestes. De nombreux édifices portent toujours son nom et sa sépulture a été érigée au rang de monument national. Arturo Ambrogi, né en 1875, se fit lui aussi, d'une certaine manière, le gardien des humbles en devenant le digne représentant du mouvement dit du « costumbrismo », cette littérature s'inspirant du folklore et parfois nimbée d'une touche de romantisme. On lui doit de nombreuses chroniques paysannes : Cuentos y Fantasías, Máscaras, Manchas y Sensaciones, El Libro del Trópico… À ce « costumbrismo », Salvador Salazar Arrué (1899-1975), dit Salarrué, ajouta des tournures plus littéraires : bien qu'il dépeignît la vie rurale, il osa mêler vocabulaire local et registre plus soutenu en une modernité et une expérimentation stylistique qui enflamment encore ses lecteurs. Ses recueils les plus populaires sont Cuentos de barro et Cuentos de cipotes, ce dernier n'étant pas dénué d'un certain humour trivial comme le suggère le titre.

… à aujourd’hui

Si le XIXe siècle n'aurait su s'achever sans voir apparaître les premières femmes autrices – la militante Prudencia Ayala (1885-1936), la poétesse Claudia Lars (1899-1974) et Consuelo Suncín Sandoval (1901-1979) dont le nom marital – de Saint-Exupéry – ne fera pas oublier qu'elle fut une artiste à part entière –, le XXe afficha quant à lui rapidement sa couleur. En effet, l'année 1932 vit naître celui qui devint le chef de file du mouvement littéraire le plus important – et le plus représentatif – de ce nouveau siècle. Mort en 1986 à Mexico alors qu'il n'avait que 53 ans, Italo López Vallecillos eut pourtant une carrière bien remplie puisqu'il fut rédacteur en chef du journal El Independiente et fonda l'Editorial Universitaria Centroamericana (EDUCA). C'est sous son impulsion également que vit le jour la Generación comprometida (« Génération engagée ») qui réunit en son sein, dans les années 50, de nombreux écrivains, Salvadoriens ou non, qui avaient en commun d'avoir à affronter une opposition politique dans leur pays. Ce cercle prit place à la Faculté de droit de l'Université du Salvador à partir de 1956, et eut une profonde influence non seulement sur les questions sociétales mais aussi sur la littérature qui sut s'ouvrir à d'autres perspectives, de la science-fiction au théâtre de l'absurde. Ce renouveau fut porté par des écrivains salvadoriens émérites dont Manlio Argueta et Roque Dalton, tous deux nés en 1935. Le premier entra en poésie à l'adolescence et un prix prestigieux couronna son passage à l'âge adulte. Exilé au Costa Rica à cause de ses écrits politiques durant quasiment deux décennies, il devint directeur de la Bibliothèque Publique nationale à son retour. Le second connut un terrible destin, ses descriptions jugées trop réalistes de la situation économique et sociale lui valurent de graves représailles, il fut assassiné à 39 ans.

Une liberté de ton chèrement acquise à laquelle ses successeurs ajoutèrent une vraie dose d'ironie, à l'image de deux écrivains qui se lisent en français grâce à l'engagement de certains éditeurs, Horacio Castellanos Moya – né au Honduras mais élevé au Salvador, pays dont il a la nationalité même si désormais il en vit éloigné –, et Rafael Menjívar Ochoa dont la réputation n'est plus à faire. La nouvelle génération se montre d'ores et déjà prometteuse grâce à Claudia Hernández, Grabriela Trujillo – expatriée en France dont elle a adopté la langue –, et au journaliste Óscar Martínez. Tous trois sont nés au Salvador entre 1975 et 1983.