Structure étatique : l’autonomie renforcée

Le Groenland a à sa tête Margrethe II, reine du Danemark, intronisée en 1972. Son pouvoir est représenté sur place par un haut-commissaire. Deux députés représentent le Groenland au sein du Parlement danois (folketing, chambre unique), composé de 179 membres. Le Parlement groenlandais (inatsisartut) est composé de 31 membres élus pour 4 ans. Le gouvernement local (naalakkersuisut) est responsable de l’administration centrale (l’éducation, la santé, les pêcheries, l’environnement…) sous la direction d’un Premier ministre. Certains domaines relèvent de l’autorité danoise : la justice et la police, la défense et la sécurité nationale, les secteurs financiers et monétaires, le droit civil (famille et succession) et les affaires étrangères. Cependant, le Groenland peut être représenté dans certains pays ou institutions ayant un intérêt commercial pour l’île. Ainsi, une représentation a été établie avec l’Union européenne en 1992 et le Groenland garde des liens étroits avec les pays nordiques et arctiques.

En 2008, les Groenlandais approuvèrent un plan pour une plus grande autonomie qui fut validé par le gouvernement danois en juin 2009. Ce nouveau statut politique est communément appelé « autonomie renforcée » (self-rule). Des élections tenues le même mois se soldèrent par une victoire du parti de gauche Inuit, Ataqatigiit, après plus de 30 ans de gouvernance du parti Siumut. Mais les élections de 2013 virent le retour de ce même parti à la tête d'un gouvernement de coalition. Aleqa Hammond devint la première femme Premier ministre, mais fut suspendue le 28 novembre 2014 en raison d'un scandale financier. Lors des élections anticipées qui ont suivi, le gouvernement sortant (Siumut) remporta la majorité des suffrages, mais étant quasi à égalité avec le parti Inuit Ataqatigiit, dut former une coalition avec les partis Demokraatit et Atassut. Il est dirigé par Kim Kielsen (Siumut). En avril 2018 ont eu lieu les dernières élections législatives.

Les différents partis politiques

Il en existe six au total.

Parti Siumut. Siumut (en avant), parti le plus ancien fondé en 1977, fut le principal parti du Groenland après l’entrée en vigueur de l’autonomie territoriale en 1979 et dirigea le Groenland pendant plus de 30 ans avec successivement les Premiers ministres Jonathan Motzfeldt, Lars Emil Johansen et Hans Enoksen. De manière générale, le parti prône une forte autonomie dans le présent et l’indépendance à long terme. En 2018, ils remportent 9 sièges avec Kim Kielsen en tête du parti.

Parti Inuit Ataqatigiit (IA). Inuit Ataqatigiit (littéralement « communauté inuite ») est un parti à l’origine socialiste et d’orientation indépendantiste. Le parti est né dans les années 1970, principalement suite à la radicalisation de la jeunesse groenlandaise en quête de reconnaissance des particularismes inuits. Il souhaite faire du Groenland un État indépendant axé sur une collaboration accrue avec la fédération des peuples circumpolaires. Lors des élections législatives au Groenland du 15 novembre 2005, il obtient 7 des 31 sièges du Parlement local. De 2005 à 2009, il gouverne le Groenland aux côtés du parti social-démocrate Siumut. Lors des élections anticipées du 1er juin 2009, Inuit Ataqatigiit obtient 14 sièges sur 31 au Parlement pour la durée de la législature, devenant ainsi le premier parti politique de l'île. Son chef, Kuupik Kleist, devient donc Premier ministre le 21 juin 2009. En 2018, ils remportent 8 sièges avec Sara Olsvig en tête du parti.

Parti Demokraatit. Demokraatit (littéralement « les démocrates »), ou Parti démocrate, est un parti social-libéral qui a été fondé en 2002 et a obtenu la même année 5 sièges lors des élections au Parlement du Groenland, puis 7 lors du scrutin de 2005, avant de reculer lors des élections suivantes. Pendant les élections législatives anticipées de 2014, les Démocrates se placent en troisième position et obtiennent 4 sièges au Parlement groenlandais. En 2018, ils remportent 6 sièges.

Parti Atassut. Le Parti Atassut (littéralement « connexion ») est un parti politique libéral qui fait partie de la coalition gouvernementale actuelle. Ce parti conservateur attaché au Danemark regroupe surtout les fonctionnaires, les artisans, les commerçants et les entrepreneurs. En 2018, ils remportent 2 sièges.

Parti Naleraq. Dernier parti à avoir été fondé en 2014 par l’ancien Premier ministre de Siumiut, Hans Enoksen. Ce sont les indépendantistes les plus radicaux de l'échiquier politique groenlandais. Le parti se déclare pour la défense de la pêche et de la chasse. Il affirme défendre une politique qui permettrait de « donner des opportunités égales » à toute la population et dans toutes les régions en termes de développement économique et de services sociaux. En 2014, le parti obtient trois députés au parlement grâce à ses 11,6 %.

En 2018, ils remportent 4 sièges.

Parti Inuit. Parti de gauche, indépendantiste, fondé en 2013 par des ex-IA (Inuit Ataqatigiit) déçus de la politique de leur parti. Ils obtiennent 2 députés au parlement à leur fondation et les perdent ensuite aux élections de 2014.

L’épineuse question de l’émancipation économique face au Danemark

Le PIB du Groenland s’élève à un peu plus de 2 milliards de dollars. Le taux de croissance est de 7,7 % et le taux de chômage était de 7 % en 2016. Il est aussi estimé que 9 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. En outre, la situation économique est loin d’être florissante comme en témoigne le montant des exportations qui ne couvre que la moitié du montant des importations, la différence étant épongée par des aides du Danemark (les subventions du gouvernement danois, de l'UE et des États-Unis représentent plus de la moitié du budget de l’État). Le Groenland se trouve ainsi dans une forte situation de dépendance économique vis-à-vis du Danemark. Si cela engendre un investissement financier non négligeable pour la couronne, peut-être est-il tout de même important de nuancer ces propos en rappelant l’importance géostratégique du Groenland sur l’échiquier mondial, le partenariat économique principal avec le Danemark sans omettre les fortes richesses de son sol. Il ne s’agit donc pas de philanthropie, mais bien de stratégie politique et économique (indirecte) sur le long terme.

La pêche : première activité économique du pays

L'économie groenlandaise est fortement tributaire de la pêche qu'elle a seulement développée intensivement dans les années 1970, les Inuits étant auparavant surtout des chasseurs de mammifères marins pendant des centaines d'années. La pêche industrielle est gérée par plusieurs sociétés privées notamment la société d'État Royal Greenland A/S, en particulier pour la production de crevettes qui est la principale ressource exportatrice de l’île. Du côté des poissons, le flétan du Groenland tend à supplanter la morue, surpêchée dans le passé. Le Groenland dispose d'environ 5 000 petites embarcations, 300 chalutiers de petite taille et 25 grands chalutiers. Il est à noter les effets positifs du réchauffement climatique sur ce secteur puisque ce dernier permet un accroissement des espèces de poissons dans les mers.

L’abondance des ressources naturelles

On estime que l'Arctique recèle le quart des ressources de pétroles et de gaz de la planète (non encore découvertes) dont plus d'un tiers serait au Groenland, favorisé par la fonte des glaces en raison du réchauffement climatique. En reculant, l'inlandsis laisse émerger de nouvelles terres exploitables. Dans le passé, de nombreuses mines exploitaient différents métaux (cryolite à Ivittuut ; charbon à Qullissat ; marbre, zinc, plomb et argent à Maarmorilik ; zinc, molybdène et plomb dans la baie de Mesters Vig), mais commencèrent à progressivement fermer dès les années 1990, provoquant un déficit de la balance commerciale groenlandaise. Depuis 2009, les gouvernements successifs du Groenland ont ainsi tablé sur un nouveau développement accéléré de l’industrie minière. En plusieurs années, le nombre de concessions accordées a considérablement augmenté au profit de multinationales souvent américaines, norvégiennes, canadiennes et australiennes. Certains projets ont ainsi commencé, comme le projet d’extraction de rubis et saphirs d’Aappaluttoq dans le sud-ouest de l’île, de fer au nord-est de la capitale et, plus inquiétant d’un point de vue écologique, d’uranium dans le sud du pays dans la région de Narsaq. Le Groenland pourrait devenir l'un des plus gros exportateurs d'uranium au monde. Tous les principaux partis politiques sont en faveur du développement de l’industrie minière, mais le parti Inuit Ataqatigiit est opposé aux mines d’uranium pour des raisons environnementales et souhaite un référendum sur l’exploitation de cette ressource. D'après les sondages, la majorité de la population du Groenland, opposée à l'extraction de l'uranium, prône pour autant le développement économique. Dans cette même mine d’uranium, se trouve aussi un gisement particulièrement important de terres rares (matière devenue indispensable aux nouvelles technologiques notamment aux téléphones portables) ; l’île en recèlerait même 12 à 25 % des réserves mondiales !

L’industrie pétrolière

En dépit du réchauffement climatique et de la fonte des glaces, les ressources pétrolières du sol groenlandais restent encore majoritairement inaccessibles. Alors que certains géologues estiment que le pays recèle d'importantes ressources en pétrole et en gaz, aucun forage off-shore ne propose jusqu'à aujourd'hui de résultats satisfaisants. À la plus grande surprise de tous, et au plus grand bonheur des militants écologistes, trois géants de l'industrie pétrolière – GDF Suez (France), Statoil (Norvège) et DONG (Danemark) – abandonnent en janvier 2015 la prospection à l'ouest du Groenland, et ce, malgré l'offre alléchante du gouvernement groenlandais de prolonger gratuitement les licences d’exploration.

Cette décision historique s'explique pour plusieurs raisons : les changements climatiques majeurs, les hauts coûts de production dans les conditions polaires, l'effondrement du cours du pétrole, l'incertitude quant à pouvoir forer de manière plus sûre, puis également l'intérêt croissant du reste du monde pour la préservation de l'environnement. En effet, des ONG comme WWF et Greenpeace font pression pour l'arrêt total des explorations qui mettent en danger une faune marine et des fjords très fragiles. Si les cours du pétrole ne repartent pas rapidement à la hausse, il faudra certainement plusieurs décennies avant que le Groenland ne puisse compter sur d’hypothétiques revenus pétroliers.

Au Groenland vert : le secteur de l’agriculture

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette île en majorité couverte de glace est aussi une terre d’agriculture. Depuis quelques décennies, le sud du Groenland connaît un développement agricole (à l'instar de la période viking). On y élève des moutons et des vaches, mais, outre les fourrages pour les animaux, on y cultive aussi des fruits et légumes (pommes de terre, navets, tomates, rhubarbe, brocolis, fraises, framboises…) destinés à la consommation locale. Une école d'agriculture a ainsi ouvert pas loin de Qaqortoq pour former les futures générations ! Le Groenland espère ainsi franchir une première étape vers une éventuelle autonomie alimentaire. Les fermiers de la région se plaignent toutefois des instabilités climatiques qui les empêchent de produire de manière stable et régulière, en plus de la menace de l’ouverture d’une mine d’uranium à Narsaq (en cours de décision).

Une destination touristique prisée

Le tourisme est un secteur en pleine extension au Groenland, et ce malgré les coûts importants et sa courte saison estivale. Ainsi, le Groenland est maintenant visité par environ 85 000 touristes par an.  L’île glacée attire de plus en plus en raison de son caractère unique et son office de tourisme national, Visit Greenland, dispose de grands moyens pour mettre en avant les atouts exceptionnels du pays (chiens de traîneaux, icebergs, aurores boréales, animaux, culture inuite et sa modernité, soleil de minuit, kayak…). Le gouvernement, ayant opté pour la « stratégie de la harpe » visant à diversifier les sources de revenus, accroît ainsi continuellement ses budgets dans le secteur du tourisme avec notamment la construction ou l’agrandissement prochain d’aéroports ou encore la création d’un splendide nouveau centre des visiteurs à Ilulissat (dessiné par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor).

Enjeux actuels

Le gros projet d’extraction de terres rares et d’uranium à la mine de Kvanefjeld va jusqu’à créer des tensions internationales avec la récente intervention, très médiatisée, de Donald Trump indiquant souhaiter racheter le Groenland. Sa réaction n’est guère anodine : le président américain, conscient des exceptionnelles richesses du sol groenlandais et de sa force géopolitique, souhaite également faire barrage aux Chinois, détenteurs de la quasi-totalité́ des réserves mondiales de terres rares et aussi d’une partie des parts de l’entreprise australienne GME chargée de l’exploitation de la mine.

Par ailleurs, le Danemark, pratiquant une politique de tolérance zéro envers l’uranium au sein de son propre pays, se retrouve dans une position alambiquée : ayant permis l’autonomie renforcée du Groenland en 2009 sur certains domaines, dont la politique intérieure, le Groenland peut maintenant décider lui-même ce qu’il souhaite faire de ses sols. L’île glacée a même voté une loi en 2013 autorisant la levée de suspensions de l’exploitation de l’uranium, jusque-là interdite. Depuis, un débat virulent divise le pays en deux groupes distincts antagonistes : les partisans d’une politique « black Greenland », en faveur du pétrole et des mines, et les partisans d’une politique « white Greenland » en faveur du tourisme, de l’agriculture, de la pêche et de la chasse.

Si certains Groenlandais désirent obtenir leur indépendance économique coûte que coûte face au Danemark, une autre partie de la population, consciente de ses insuffisances économiques pour s’affranchir des aides danoises, souhaite prendre son temps et, surtout, ne pas parvenir à cette émancipation à n’importe quel prix. « Nous devons travailler avec la nature, et non contre la nature. » Toutefois, sur le long terme, il apparaît un désir d'indépendance totale…