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Musée de la bande-dessinée à Bruxelles, conçu par Victor Horta © Botond Horvath - shutterstock.com.jpg

Renouveau créateur

L’Europe du tournant du XXe siècle bouillonne sous les effets d’une industrialisation croissante et de grands courants réformistes socioculturels. Pour les artistes de l’époque, il est temps de briser les carcans d’un historicisme sclérosé et d’imaginer un nouvel art… un Art nouveau. Novateur certes, mais nourri de nombreuses influences, parmi lesquelles trois se détachent : l’œuvre de Viollet-le-Duc, l’art japonais et le mouvement Arts and Crafts. Courants qui partagent des caractéristiques que l’Art nouveau va largement reprendre : le respect du matériau, la franchise et l’honnêteté dans la construction, l’absence de distinction entre arts mineurs et arts majeurs et la nécessité de créer un tout organique. À l’art japonais, il emprunte également une relation à la nature dont l’art doit exprimer les plus subtils changements. Mais l’Art nouveau n’en exclut pas pour autant les apports de la modernité. Là où certains détracteurs n’ont vu dans ce style qu’une surcharge ornementale sans but, se cache en réalité un art hybride mêlant tout à la fois splendeur de l’ornementation et fonctionnalisme dans des œuvres d’art totales d’une grande modernité où, de la structure même de l’édifice aux moindres détails décoratifs et utilitaires, tout est pensé pour former un tout organique et fluide. L’Art nouveau se fait ainsi précurseur en cherchant à associer forme, fonction et matériau, qui tous doivent concourir à l’effet esthétique. Le matériau est d’ailleurs le point central de ces nouvelles formes architecturales. Les formes expressives, riches et souples, allient intimité et puissance dans le traitement et le modelage des surfaces et textures. Chaque matériau est ainsi montré dans sa beauté brute, en particulier le fer, grande nouveauté de l’époque, que l’on voit dans les structures porteuses apparentes soutenant de superbes verrières, toutes dialoguant avec le bois, le marbre ou la brique, autant de matériaux traditionnels magnifiquement travaillés et ciselés. L’iridescence des mondes végétal et animal inspire aux artistes d’étonnants jeux de couleurs où vert émeraude, ocre doré et bleu profond éclairent l’espace au gré des mosaïques et verrières qu’ils dessinent. Courbes et contre-courbes matérialisent les mouvements de l’âme de ces artistes, également profondément empreints de symbolisme. Voilà pourquoi l’Art nouveau est un style très personnel. La Belgique fut un terreau particulièrement fertile pour ce renouveau artistique. Bruxelles est alors un grand centre financier et une ville progressiste. Ainsi, d’un côté les grands magnats du nouveau monde vont se faire les généreux mécènes de l’Art nouveau, commandant de nombreux hôtels particuliers où l’ornementation se fait autoglorificatrice, de l’autre les architectes vont réaliser des bâtiments utilitaires destinés au grand public (magasins, Maisons du Peuple…). Parmi les grandes figures de l’Art nouveau belge, citons Henry Van de Velde, Gustave Serrurier-Bovy, Paul Hankar et bien sûr Victor Horta.

L’Art nouveau selon Horta

Fils de cordonnier, Horta est élevé dans le culte du travail et des choses belles et bien faites. Son oncle entrepreneur l’emmène sur ses chantiers, et c’est là que le jeune homme se prend de passion pour l’architecture. Après avoir durement bataillé avec ses parents qui le voyaient plutôt avocat ou médecin, Horta devient élève à l’Académie des beaux-arts de Gand. Après un stage chez l’architecte-décorateur parisien Dubuysson, et une étude approfondie des grands bâtiments classiques, Horta s’inscrit à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles où il excelle. Il attire alors l’attention de l’architecte Alphonse Balat, à qui l’on doit les superbes serres royales de Laeken. Les possibilités architectoniques du fer ainsi révélées vont profondément marquer Horta. Sorti médaillé de l’Académie, Horta entame une période alternant concours et petites constructions, avant d’entrer à la loge maçonnique « les Amis Philanthropes ». Là, il rencontre de riches industriels qui vont lui commander des hôtels particuliers. La maison Autrique tend encore vers un certain classicisme, tandis que l’hôtel Tassel est considéré comme le tout premier édifice Art nouveau au monde. Le bâtiment est étroit. Mais pour contrer cette exiguïté, Horta utilise comme motif central une superbe fenêtre en arc de cercle flanquée de deux étroites surfaces en pierres ocre et bleu légèrement arquées vers le centre. Structures, colonnes et poutrelles sont apparentes, libérant ainsi la lumière et conférant aux espaces légèreté et transparence. Horta utilise également la peinture pour prolonger les mouvements d’ondulation des autres matériaux, créant une grande harmonie organique. Il innove aussi avec son superbe escalier hélicoïdal entièrement voué à l’ornementation et la verrière surplombant l’espace de circulation entre les différentes pièces de la maison. L’hôtel Tassel est le manifeste du style Horta. Lignes inspirées des tiges et pieds de plantes (ce qui valut au style Horta d’être qualifié de style « coup de fouet »), travail du fer en volutes et arabesques, verrières lumineuses, souci du détail (Horta réalise absolument tout, du tapis au radiateur en passant par les ampoules) se retrouvent dans les plus belles réalisations du maître : l’hôtel Solvay, l’hôtel Van Eetvelde et bien sûr sa maison-atelier. Horta réalise également des édifices utilitaires où le fonctionnalisme l’emporte sur l’ornementation, comme le montrent les images de la Maison du Peuple qui fut malheureusement détruite en 1965. Une architecture qui annonce les évolutions à venir. En effet, aussi vite qu’il est venu, l’Art nouveau s’en est allé, laissant la place à plus de sobriété et de géométrie. Horta entame alors une carrière de professeur (notamment aux USA), avant de reprendre le crayon pour imaginer de grands projets, cette fois-ci résolument classiques, comme en témoignent l’hôpital Brugmann, le palais des Beaux-Arts et la Gare centrale de Bruxelles. Malgré ces réussites, Horta finit sa carrière critiqué… puis oublié. Avant de renaître au XXIe siècle, qui voit ses hôtels particuliers bruxellois classés à l’Unesco, tandis que le Brussels Art nouveau & Art Deco Festival permet d’en découvrir les superbes intérieurs. Un patrimoine unique, témoin d’une époque de bouleversements étonnants.