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L'éveil d'une langue, prémices d'une littérature nationale

L'histoire de la naissance de la littérature finlandaise est intrinsèquement liée à celle du finnois. Dotée d'une forte tradition orale, faite de contes et légendes chantées au coin du feu, qui inspirera à Elias Lönnrot son célèbre Kalevala, la Finlande doit attendre l'avènement de la Réforme pour se doter d'un outil indispensable à toute création littéraire : sa langue écrite. En 1548, l'évêque de Turku Mikael Agricola, proche de Luther, se lance dans la traduction en finnois du Nouveau Testament, après avoir concocté un abécédaire basé sur l’alphabet suédois et un livre de prières pour le clergé. Jusque-là, seule la classe cultivée avait accès aux écrits en suédois ou en latin. S'il parvient à rendre accessible au peuple la nouvelle religion, le finnois écrit reste encore l'apanage du clergé pendant deux siècles, alors que les savants continuent à utiliser le latin et que le suédois reste la langue des élites. En 1640, la fondation de l'université suédoise d'Åbo à Turku, est une étape-clé dans la formation des élites finlandaises. Transférée à Helsinki en 1828, elle abrite dès 1850 la première chaire de langue finnoise.

Le miracle du Kalevala

C'est à des artistes et intellectuels suédophones que la littérature finlandaise doit en partie son émancipation. L'importance des travaux d'Elias Lönnrot est sans précédent. Parcourant à pied les quatre coins du pays et récoltant sur plus d’une dizaine d'années poèmes, légendes et histoires populaires auprès des familles et des laulajat de Carélie (bardes locaux), cet ancien médecin de campagne rêve de donner à ce qui est encore considéré comme un ensemble de dialectes ruraux ses lettres de noblesse. Féru de poésie, il travaille de manière acharnée sur la réécriture de sa récolte, aboutissant au Kalevala, recueil de plus de 32 chants représentant 12 078 vers, publié pour la première fois en 1835, et qui sera suivi par un Nouveau Kalevala (1849) et un dictionnaire monumental finnois-suédois. Œuvre majeure, tout à la fois épique, lyrique et comique, Le Kalevala est encore fêté aujourd'hui chaque 28 février. Outre que cette vaste et unique épopée rend hommage à la richesse d'un univers ancestral, peuplé de dieux et monstres emportés dans un vaste combat pour la quête du sampo (objet symbolique et magique assurant la fortune à son propriétaire), elle est aussi et avant tout un moyen de faire prendre conscience à un peuple en quête d'identité d'un patrimoine littéraire unique, national, que les Finlandais ne doivent ni à la Suède, ni à la Russie. Elle sera également le point de départ d'un vaste mouvement artistique. Peintres, compositeurs, philosophes et écrivains, inspirés du Kalevala, exaltent l'identité finnoise dans un romantisme national qui s'oppose violemment aux tentatives de russification. Parmi eux, Akseli Gallen-Kallela et Jean Sibelius. Johan Ludvig Runeberg, autre suédophone et futur « poète national de la Finlande » célébré chaque 5 février, contribue à l'éveil de la nation avec ses Récits de l'enseigne Stål, entre 1848 et 1860. Dans ce long poème en quatre chapitres, Runeberg rend hommage au courage et à l'héroïsme des Finlandais enrôlés dans l'armée du royaume de Suède, dans la débâcle contre l'Empire russe. Considéré comme l'un des plus grands poèmes épiques du patrimoine littéraire national, aux côtés du Kalevala, il sera d'ailleurs repris en partie dans l'hymne national Maamme (Notre pays), inspiré de son premier poème, le Vårt Land. Johan Vilhem Snellman, dans la lignée d'Hegel, écrit en 1842 sa Théorie de l'État. C'est lui qui, à force de prêcher pour la mise sur un pied d'égalité des langues finnoise et suédoise, parvient à arracher au tsar la création d'une monnaie nationale (1860), puis la reconnaissance du finnois comme langue nationale (1863). D'autres poèmes ancestraux transmis par la tradition orale sont recueillis dans une anthologie longtemps restée dans l'oubli, révélés par Henrik Gabriel Porthan. Un siècle plus tard, Zacharias Topelius les célèbre dans ses contes et son livre Notre pays (1875). D'autres poètes manifesteront une belle maîtrise de la prosodie kalévaléenne. Eino Leino apportera au mètre kalévaléen une subtile finesse dans son recueil Helkavirsiä (1903).

Le premier roman finlandais

Le véritable fondateur de la littérature finnoise moderne reste sans doute Aleksis Kivi (1834-1872) et son roman épique Sept Frères, qui décrit l'itinéraire de paysans analphabètes et leur rencontre avec la civilisation moderne. Parue en 1870, cette première grande œuvre finnoise, pourtant peu reconnue dans son propre pays en son temps, aura un rayonnement international, bien que la traduction des nuances du dialecte du Sud-Ouest de la France soit souvent jugée incapable de refléter l'ampleur de son génie. Le roman orientera largement la littérature finnoise.

Une littérature marquée par ses blessures de guerre

À l'aube du XXe siècle, dans les pas d'un Maupassant, un courant réaliste et naturaliste voit le jour pour décrire l'état de la jeune nation et les paysages resplendissants du pays, descriptions signées par exemple par l'un de ses plus marquants représentants, Juhani Aho. La guerre civile qui éclate en 1918 marque lourdement les esprits. Sainte Misère (1919), le grand roman de Frans Eemil Sillanpää, prix Nobel de littérature en 1939 (au moment où la Finlande lutte héroïquement pour garder son indépendance face à l'URSS), est représentatif de ces évocations d'un destin tourmenté. Si Mika Waltari est davantage connu pour ses romans historiques, à l'instar de son Sinouhé l'Égyptien (1945), le grand écrivain aura aussi participé de ce mouvement, avec Danse parmi les tombes, livre profondément patriotique, écrit en 1944, aux heures les plus sombres d'un pays déchiré. Vainö Linna, quant à lui, s'emploiera à soigner les traumatismes de la Finlande dus à la guerre de Continuation engagée aux côtés du IIIe Reich nazi contre l'URSS. Ce souvenir douloureux suscitera une forme d’autocritique nationale. En 1954, Soldats inconnus, son plaidoyer en faveur du simple soldat, est longtemps en tête des ventes dans le pays, suivi de sa trilogie Ici, sous l’étoile polaire (1959-1962).

La littérature contemporaine

Dans la grande tradition littéraire finlandaise, Arto Paasilinna, l'écrivain finlandais contemporain le plus apprécié du lectorat francophile, se fait connaître avec Le Lièvre de Vatanen (1975), hommage à la nature et à la vie simple, la plus en harmonie avec son environnement. Connu pour ses romans empreints d’une loufoquerie douce-amère, son succès sort la littérature finlandaise de sa confidentialité nordique et permet la traduction de nombreuses œuvres de qualité en d'autres langues, dont le français. Chaque année, plus de 200 titres sont ainsi traduits et publiés à l'étranger en plus de quarante langues, même depuis son décès en 2018. En février 2011 s’éteint Bo Caperlan, auteur du Vent des origines et de Voix de l'heure tardive, couronné pour son œuvre par le Prix du Conseil nordique (1977), la plus haute distinction littéraire au nord de l'Europe. Après son très beau roman Femmes merveilleuses au bord de l'eau, ce sont d'autres histoires tout aussi envoûtantes que nous livre Monika Fagerholm, de langue suédoise, avec La Fille américaine, le récit de deux enfances tranquilles tombant brutalement dans la tragédie et La Scène à paillettes, thriller hors norme prolongeant son livre précédent.

De jeunes talents émergent. Il s'agit surtout de femmes trentenaires à la plume sans détour, dont la plus célèbre est sans doute Sofi Oksanen, née d'une mère estonienne et d'un père finlandais. C'est son troisième roman, Purge, prix Roman Fnac, Prix Femina étranger et prix du Livre européen 2010, multiprimé dans les pays nordiques (Prix Finlandia, Runeberg et Grand Prix de littérature du Conseil nordique), qui consacre cette trentenaire engagée au look gothique auteur incontournable du paysage littéraire finlandais et de la vie intellectuelle helsinkienne. La publication en français de Baby Jane, son roman le plus intimiste, à la rentrée littéraire 2014, complète la traduction de son œuvre, avec Les Vaches de Staline (son premier roman) et Quand les colombes disparurent. Riikka Pulkkinen fait également partie de cette nouvelle génération de plumes finlandaises, avec son très émouvant roman intergénérationnel L'Armoire des robes oubliées (2012) ; quant à Laura Gustafsson, elle choque et séduit à la fois avec son odyssée trash et féministe Conte de putes (2011) et son deuxième roman, Anomalia, histoire glaçante autour du thème de l'enfance et de la maternité.

 

En 2023, la Finlande a eu la douleur de perdre celui qui était considéré comme l'étoile montante de la littérature nationale, Mikki Liukkonen. Auteur de trois recueils de poème, quatre romans et un roman graphique, sa plume savait donner vie à des oeuvres (presque) monumentales : ainsi son roman O (traduit en français en 2021), avoisine les mille pages et compte près d'une centaine de personnages. Il était également un guitariste talentueux au sein du groupe The Scenes.

Des personnages pour les enfants

Parmi les personnages favoris des petits Finlandais ? Les Moumines, bien sûr, ces héros mi-hippopotames, mi-trolls, créés par Tove Jansson. Devenus de véritables stars au Japon, ils sont aussi populaires que le Père Noël en Finlande. Et surtout, ces trolls à l’allure d’hippopotames des neiges font partie intégrante de l’imaginaire enfantin finlandais depuis 1945. Créés par Tove Jansson à Helsinki dans son atelier au n° 1 d’Ullanlinnankatu, ils sont devenus des classiques de la littérature finlandaise, avant d’acquérir une renommée internationale, grâce notamment aux BD de son frère Lars, puis aux films d’animation japonais (d’où le succès au Japon depuis des décennies…). Pour les fans, un parc d’attraction à leur image a été créé sur l’île de Kailo, à Naantali. L’histoire des Moumines est celle d’une famille de joyeux hippopotames, vivant paisiblement dans une vallée imaginaire, avec vue sur le golfe de Finlande, entourés de personnages hauts en couleur. Ce conte pour enfants, débuté avec Une comète au pays de Moumine, cache aussi des messages plus philosophiques et écologiques toujours d’actualité dans ses onze albums traduits en plus de 45 langues. Tove Marika Jansson (1914-2001), la maman des Moumines, a reçu en 1966 le prix Hans-Christian-Andersen pour sa contribution à la littérature pour la jeunesse. Elle a, bien entendu, été récompensée par de nombreux autres prix : Prix national de littérature (1963), prix Finlande de l’Académie suédoise (1972), Médaille pro Finlandais (1976), prix de la Fondation culturelle finlandaise (1990), prix Harvey (1997)… Elle est également l’auteur de six romans et d’une autobiographie publiée en 1968 La Fille du sculpteur.