6400-100 av. J.-C

Les premiers peuples

Le territoire de la Serbie actuelle est situé sur l'une des principales routes migratoires reliant le Moyen-Orient à l'Europe centrale. Ainsi, on y trouve plusieurs sites archéologiques importants, tels que les sites de Starčevo et Vinča près de Belgrade et celui de Lepenski Vir sur le Danube. Au cours de l'âge du fer, ce territoire devient une zone d'interaction de plusieurs peuples d'origine indo-européenne : Illyriens, Thraces, Daces et Celtes. À la frontière entre les mondes grecs et latins, ces peuples apparaissent dans les textes comme des guerriers redoutables, renommés pour leur piraterie et leurs raids sur les côtes et dans les terres.

100 av. J.-C. - 845

La Serbie dans l’Empire romain

La conquête romaine de la région se fait lentement, motivée avant tout par le besoin d’arrêter les raids pirates sur les routes commerciales de l’Adriatique. Plutôt superficielle, elle s’intensifie une fois qu’ils découvrent les mines d’or et d'argent des Daces, plus au nord. La province de Dacie voit alors l’installation massive de garnisons de légionnaires et la culture latine s’y propage. Plusieurs villes sont fondées, avec aqueducs, ponts et fortifications. Les choses changent peu dans la région jusqu’en 395, quand l’Empire romain se sépare entre l’Orient et l’Occident. La Serbie passe alors sous l’autorité de Constantinople. À mesure que les troubles augmentent, cette zone frontière avec l’Empire romain d’Occident devient de plus en plus instable. Les Goths et les Huns font de nombreuses incursions dans les Balkans, s’y installent pendant des décennies et l’autorité impériale se délite. Au début du VIIe siècle, c’est le tour des redoutables Avars, basés en Hongrie actuelle, qui menacent sérieusement les frontières de l’Empire d’Orient. L’empereur Héraclius invite alors les Slaves de Pologne à lutter contre cet ennemi. Après quelques succès, un prince slave inconnu négocie de nouvelles terres dans les Balkans. Commence alors à partir de 640 la migration des Slaves du Sud, les futurs Serbes, Croates…, qui créent leurs villages et se réunissent en communautés claniques sous la suzeraineté de l’Empire, en tant que peuples fédérés.

850-1169

Début de l’émancipation : les principautés slaves des Balkans

À partir de 850, Constantinople ne contrôle plus que quelques villes sur les côtes. Tout le reste des terres est administré directement par des princes slaves, chacun à la tête d’un État indépendant. Dans cette galaxie politique, l’identité serbe n’existe pas encore et les Slaves sont appelés indifféremment Serbes ou Croates par les Romains. Parmi les royaumes slaves, la Rascie ou Raška, sous l’autorité d’un prince de la dynastie des Vlastimirović, s'impose comme un des plus importants. Le premier de ces princes dans nos sources est Višeslav. Ses successeurs continueront de servir les empereurs en échange d’une large autonomie. À la même époque (IXe siècle), les Serbes se convertissent au christianisme (avant le schisme orthodoxe qui, lui, a lieu en 1054). À partir de cette date, les Serbes seront chrétiens orthodoxes, en théorie. Dans la foulée, ils adoptent aussi l’alphabet cyrillique, né de l'évangélisme des Slaves par les moines Cyrille et Méthode, envoyés par l’empereur byzantin. Les siècles suivants sont marqués par des guerres civiles et des révoltes contre l’influence romaine. Jusqu’en 1169 et le règne de Stefan Nemanja.

1169-1371

Le royaume serbe des Nemanjides

En 1169, Stefan devient grand župan (prince) de Rascie et fonde la deuxième dynastie serbe, Nemanjić. Profitant d’une guerre civile chez les Byzantins, il s’émancipe, s’étend vers le sud et l’est et englobe le littoral adriatique et la Zeta. Il fait également construire les premiers grands monastères serbes, Studenica et Ðurđevi Stupovi. Son fils, Stefan Prvovenčani, devient le premier roi serbe en 1217 par don de l’empereur. En 1209, un autre de ses fils, Rastko, fonde le patriarcat serbe autocéphale (Orthodoxwie).

Ainsi, au début du XIIe siècle, les Nemanjides sont à la tête d’un État fondé sur une église et une monarchie indépendantes, incluant les territoires actuels du sud de la Serbie, du Kosovo, du Monténégro, de la Macédoine du Nord, de l’Albanie et d’une partie de la Grèce. C’est alors que, après quelques décennies où le pouvoir serbe se renforce et les Byzantins déclinent, sur fond de guerres civiles, de croisades venues de l’Occident et de djihad venu de l’Orient, qu'en 1346, Dušan le Grand se fait couronner « empereur des Serbes, des Grecs et des Albanais ». Son règne marque l'apogée de la puissance serbe médiévale et un âge d’or culturel dans le style byzantin, dont témoignent aujourd’hui encore de nombreux monastères : Mileševa et Sopoćani en Serbie centrale, Dečani, Peć et Gračanica au Kosovo, Hilandar en Grèce. Alors que Dusan s’apprête à conquérir pour de bon la ville Constantinople (en tout cas il l’espère, ayant été retardé plusieurs fois dans ce projet), il meurt inexplicablement. L’empire sombre à son tour dans la guerre civile.

1169-1236

Saint Sava de Serbie

Rastko Nemanjić, prince de naissance devenu moine, est le plus populaire des saints de Serbie. Il est vénéré le 27 janvier comme le fondateur de la culture religieuse serbe. La cathédrale Saint-Sava sur la colline de Vračar à Belgrade lui est dédiée.

Selon la légende, fils cadet du grand župan Stefan Nemanjić, il s’enfuit au cours d’une chasse pour rejoindre un monastère grec du mont Athos, où il devint connu pour des activités de patronage monastique sous le nom de Sava.

En 1219, il obtient auprès de Constantinople l’autonomie vis-à-vis du patriarcat œcuménique et de l'empereur byzantin pour l’Église orthodoxe serbe, gagnant l’autocéphalie et devenant son premier archevêque.

Il est également connu pour ses œuvres littéraires, ce qui fait de lui le patron des étudiants. Il a écrit les premiers ouvrages religieux serbes, dont notamment un recueil de lois ecclésiastiques connu sous le nom du Code de Sava, autrement Krmcija ou Nomocanon, ainsi qu'une biographie de son père, La Vie de saint Syméon, considérée comme l’une des plus remarquables créations de la littérature serbe.

Mosaique de Saint-Sava © Andrej Privizer - Shutterstock.Com.jpg

1371 – 1459

La conquête ottomane

En proie à des luttes intestines, le territoire, qui n’a jamais été très stable, se morcelle en féodalités autonomes : c’est le temps des despotes, alliés un moment contre les Ottomans à l’occasion de la chute d’Andrinople, mais incapables de maintenir cette union lorsque ceux-ci remontent vers la Bulgarie.

En 1371, la défaite serbe à la bataille de la Maritsa, centrale dans la mémoire nationale serbe d’aujourd’hui, marque le début d’une lente subjugation de la Serbie par les Ottomans. Elle se termine avec la prise de la forteresse de Smederevo en 1459, qui amorce de cinq siècles de domination ottomane. Sous ce nouveau système, la Serbie est divisée en régions qui, tous les cinq ans, envoient leurs enfants rejoindre les esclaves du palais et devenir hauts fonctionnaires ou les fameux janissaires (souvent pris de force lors du redouté devchirme) : des enfants du pays vont ainsi se démarquer à de nombreuses reprises au service des Ottomans. Alors que l’ascension sociale est limitée aux musulmans, qui sont exempts du tribut et paient aussi moins de taxes, les Serbes se convertissent très peu. En effet, ils bénéficient du système de tolérance ottomane, le kânûnname : la religion orthodoxe est autorisée mais encadrée, la langue serbe, son apprentissage et son écriture, est quant à elle limitée aux sphères de la maison et de l’église. Les monastères orthodoxes deviennent ainsi le cœur de la culture nationale et des révoltes anti-ottomanes qui secouent périodiquement la région. L’apport ottoman en Serbie est très visible dans l'architecture et dans les nombreux emprunts turcs dans la langue. Parmi les édifices ottomans remarquables : le pont de Višegrad, en Bosnie, construit sur les ordres de Mehmed Pacha Sokolović, le grand vizir ottoman d’origine serbe.

1590 – 1690

L’époque de la Longue Guerre

À partir de 1590, les Balkans deviennent une ligne de front entre les Ottomans et les Habsbourg. Les Serbes chrétiens sont courtisés par l’Autriche. C’est dans ce contexte instable que la première des grandes révoltes serbes a lieu, en 1594. Le Banat se soulève sous l’étendard de Saint-Sava. Le sultan mate les insurgés et brûle les reliques, créant un moment fort du nationalisme serbe. Quand la guerre s’installe dans les Balkans, les Serbes créent des bandes irrégulières auprès des Autrichiens : les haïdouks. Le retrait de l’armée autrichienne en 1690 pousse de nombreux Serbes à prendre la fuite. En quelques années, entre 40 000 et 200 000 Serbes du Kosovo et de Rascie suivent l’archevêque Arsenije III dans l’empire autrichien. Ils emportent reliques et livres religieux et obtiennent l’installation d’un patriarcat autonome ainsi que de comptoirs serbes, bientôt rejoints par des colons de tout l’empire. Leur territoire est une région spéciale, les confins militaires, et ils doivent le service militaire à la Couronne autrichienne.

1804 - 1882

La naissance de la nation serbe

Deux autres soulèvements vont permettre aux Serbes d’exister en tant que nation, et faire naître deux dynasties régnantes dans le pays. La première, en 1804, a lieu sous Georges le Noir, qui fonde la dynastie des Karadjordjević. Battu, Georges part en exil. Un de ses jeunes compagnons d’armes et rival, Miloš Obrenović, se révolte à nouveau en 1815. Après quelques victoires, il obtient la création d’un conseil des douze princes serbes à Belgrade, créant une région autonome. En 1817, Miloš est nommé prince régnant par la Skupština, l’assemblée des représentants de la principauté. Ce n’est pas un règne pacifique : Miloš règne en autocrate, fait assassiner ses opposants tels que Georges Karadjordjević, alors qu’il tente de rentrer d’exil. Les Ottomans reconnaissent la dynastie de Miloš en 1830, marquant les débuts de l’État serbe : une armée nationale est créée, on tente d’unifier la langue, etc. Le projet national serbe n’est pas un projet populaire. Les Balkans sont très ruraux et n’ont alors pas d’identités nationales spécifiques, au-delà de l’attachement aux traditions locales et à l'Église face aux Ottomans. Le projet national vient donc des élites, séduites par les idées des Lumières et le nationalisme français. Parmi les projets nationaux, celui de l’union des Slaves du Sud dans un seul État, la Yougoslavie, est très populaire. C’est ainsi que le Croate Ljudevit Gaj (1809-1872) et le Serbe Vuk Karadžić fondent ensemble au début du XIXe siècle la langue serbo-croate, posant les bases modernes de toutes les langues de la région.

Sous l’influence des Ottomans, le pays est très instable et connaît beaucoup de violence politique. Les princes sont en constante compétition, les oligarques corrompent les institutions et les deux dynasties des Karadjordjević et des Obrenović luttent pour le pouvoir et se succèdent au fil des coups et révoltes. Au cours de ce siècle très tumultueux, la Serbie s’agrandit progressivement sur les territoires voisins et obtient le départ des dernières garnisons ottomanes en 1867. Après la guerre de l’indépendance bulgare menée avec les Russes, le congrès de Berlin en 1878 libère l’ensemble des Balkans et redessine ses frontières : la Serbie est officiellement indépendante. Elle devient un royaume dirigé par Milan IV Obrenović, devenu Milan Ier. La nation serbe est complète.

1856-1943

Nikola Tesla

L’héritage de l’inventeur de génie Nikola Tesla est disputé par la Croatie et la Serbie, divisées sur la question de savoir si sa ville d’origine était plus croate ou serbe… bien qu’il ait vécu d'abord en Autriche puis aux États-Unis. Quoi qu’il en soit, vous pouvez voir les prototypes de ses inventions au musée Nikola-Tesla à Belgrade.

Nikola Tesla était un ingénieur électricien et inventeur naturalisé américain, l’inventeur du champ magnétique centrifuge et de l’ensemble (production/distribution) du système de courants alternatifs. Tesla a aussi construit les générateurs de haute fréquence de courants alternatifs à haute tension et transformateurs sans noyaux : les fameuses bobines de Tesla utilisées par tous les savants fous de dessins animés.

Il est né le 10 juillet 1856, à Smiljan, en Autriche-Hongrie et en Croatie actuelle. Après des études en Autriche et à l'université à Prague, il travaille à l’office des télégraphes de Budapest. Il commence sa carrière d’inventeur et se rend à Paris en 1882 pour rencontrer la Continental Edison Company, et en 1884, il part aux États-Unis travailler. L’année suivante, il quitte Edison pour fonder sa propre compagnie, Co. Tesla Arc & Light, notamment à cause de leur conflit entre le courant alternatif et le courant continu. Il passe les décennies suivantes à révolutionner les domaines de l'électricité, la télégraphie, la radiologie, la radio, l'ingénierie mécanique… mais échoue lamentablement à en vivre. Il considère que la science est au service du grand public et non pour le profit et il ne parviendra pas de son vivant à se faire reconnaître du public ni à défendre ses brevets (contrairement à Edison, communiquant de génie mais médiocre scientifique). Mort ruiné et oublié, le 7 janvier 1943 dans une chambre d'hôtel à New York, Tesla est redécouvert peu à peu dans les décennies d'après-guerre et est aujourd’hui réhabilité dans la science moderne.

Nikola Tesla © ZU_09 - iStockphoto.com.jpg

1882 - 1914

Le nationalisme et les tensions

L’effondrement de l’influence des Ottomans ouvre les Balkans aux grandes puissances. L’empire des Habsbourg et la Russie y sont les principaux rivaux, interrompus à l’occasion par les Français et Britanniques. À cela s’ajoutent les conflits entre les nouveaux pays. Les guerres sont très courantes et les traités de paix paraissent toujours temporaires. Dans ce contexte géopolitique difficile, la Serbie est très instable : le pays est sous-développé, l’armée est trop influente et avale la majorité du budget, le gouvernement est corrompu et souvent inepte, les influences étrangères favorisent les coups d’État entre les factions pro-autrichiennes ou pro-russes, la rivalité Obrenović/Karadjordjević continue d’empoisonner la politique, etc. La région est mûre pour déclencher une guerre mondiale.

Les éléments déclencheurs en Serbie sont :

après un énième coup d'État, dit coup d’État de Mai en 1903 qui met fin à la dynastie des Obrenović par le massacre sanglant d’Alexandre Ier et de sa femme Draga, leurs corps mutilés, défenestrés pour atterrir sur un tas de fumier, Pierre Karadjordjević prend le trône et promulgue une Constitution libérale ou « Miracle de 1903 ». Ce nouveau régime, un des plus démocratiques d’Europe, favorise en fait l’ultranationalisme : il permet de stabiliser le pouvoir politique et de détourner la faute des problèmes du pays aux étrangers ;

en 1908, la Bosnie-Herzégovine, administrée par l’Autriche-Hongrie depuis 1878 est annexée. Les Serbes sont fous de rage et se rangent corps et âme contre l’Autriche (pourtant leur ancien allié et premier partenaire commercial). Les nationalistes se lancent dans une guerre secrète intense dans la région : des sociétés secrètes, des groupes de guérilla et d’espionnage agissent malgré l’interdiction du gouvernement serbe ;

la Serbie est protégée par la Russie depuis son indépendance. Le grand frère russe est rejoint par la France au début des années 1900 grâce au réseau des alliances européennes.

1914-1918

La Première Guerre mondiale

Dragutin Dimitrijević, un officier influent des services secrets, fonde l’organisation nationaliste et terroriste de la Main noire. À l’été 1914, il envoie trois étudiants serbes, dont Gavrilo Princip, assassiner François-Ferdinand, le prince héritier du trône d’Autriche, lors de sa visite à Sarajevo. François-Ferdinand, réformiste, représentait un danger car il aurait pu facilement intégrer la Bosnie aux institutions de l’Empire et stabiliser la région. Princip réussit par un coup de chance et la Serbie se retrouve au cœur d’une crise diplomatique majeure : si elle n’est pas officiellement responsable de l’assassinat, les terroristes sont extrêmement influents dans toutes les administrations et même le gouvernement. Par ailleurs, l’État serbe ne peut pas donner l’impression de reculer devant les pressions austro-hongroises. La guerre est déclarée, la Première Guerre mondiale commence. Après quelques succès, les Serbes sont rapidement acculés et désespérés. En 1915, l’armée se replie par le « Golgotha albanais », elle traverse des montagnes enneigées et des cols à plus de 2 500m. Le reste du pays est occupé. 

Si en France on connaît peu la Serbie, les Serbes eux, connaissent et apprécient l’histoire qui unit les deux peuples.
L’alliance franco-serbe est née des rivalités ancestrales entre les Habsbourg et la France. Malgré quelques épisodes dès le Moyen Âge (par exemple, le mariage du roi Uroš avec la princesse Hélène d’Anjou) les contacts se solidifient réellement sous la IIIe République. À cette époque, le nationalisme serbe en pleine expansion est une épine dans le pied des Austro-Hongrois mais provoque des ravages dans l’économie en Serbie (parce que, paradoxalement, l’Autriche-Hongrie était le premier partenaire commercial du pays et que la haine raciale chasse les entrepreneurs musulmans et les étrangers). L’État français décide de financer très largement le gouvernement serbe avec des prêts avantageux, ce qui lui permet de continuer son militarisme agressif qui déclenche finalement la Première Guerre mondiale. Pendant la guerre, Serbes et Français deviennent camarades d’armes et les Français remettent sur pied l’armée serbe exilée. Ils reprennent les terres serbes et restent dans le pays jusqu’en 1921, laissant des souvenirs forts en Serbie. En France, de nombreux réfugiés serbes sont accueillis. Les enfants serbes sont même placés à l'école républicaine.

Depuis, l’amitié des Serbes pour la France est restée gravée dans les cœurs, tant au niveau politique que dans la population, qui considère que la France a sauvé la Serbie.

1918 - 1939

Le royaume de Yougoslavie

Le bilan de la guerre est terrible : 28 % de la population a péri. Dans le camp des vainqueurs, la Serbie obtient en négociant avec les autres États en exil la fondation du royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Les Serbes profitent de leur position de force pour faire vivre leur rêve de la grande Serbie et imposer la dynastie régnante des Karadjordjević.

En 1921, le royaume devient un État centralisé et parlementaire sur le modèle français, la Constitution créée par des juristes français donne des libertés aux minorités et on cherche à forger un sentiment national yougoslave. La lune de miel ne dure pas longtemps et les Croates sont désavantagés par les tentatives serbes de centraliser le pays. Le régime devient de plus en plus autoritaire et la politique, violente. En 1928, trois députés croates sont abattus en plein parlement par un radical serbe. En janvier 1929, le roi Alexandre suspend la Constitution et renomme son royaume la Yougoslavie : « pays des Slaves du Sud ». Le leader du Parti paysan croate est emprisonné et bon nombre de politiciens émigrent. Le roi est assassiné à Marseille en octobre 1934 par des partisans croates. La régence du prince Paul tente alors de combler les aspirations croates et le Premier ministre Cvetković signe avec les partis croates le Sporazum – l'Entente – en août 1939. La banovine de Croatie englobe dès lors, outre la Croatie, la Slavonie, la Dalmatie et même une partie de la Bosnie ; par ailleurs, les Croates ont un gouverneur (ban) et une assemblée (sabor) autonomes. Mais il est trop tard pour panser les plaies.

1941 - 1945

La Seconde Guerre mondiale

Espérant rester neutre, la Yougoslavie est forcée de rejoindre l’Axe en 1941. Cette décision provoque un coup d'État favorisé par les Alliés et en conséquence les nazis envahissent et occupent le royaume. La Yougoslavie est alors divisée entre la Croatie fasciste oustacha (dirigée par Ante Pavelić, elle a déclaré son indépendance pendant l’invasion) et la Serbie collaboratrice du général Nedić à sa tête.
Un soulèvement serbe débute dès l’été 1941. Les royalistes (tchetnik) se regroupent dans les maquis de Serbie orientale, sous la bannière du ministre de la Défense du gouvernement en exil, le général Draža Mihailović. Ses combattants ultranationalistes règlent de vieux comptes avec les Croates en Herzégovine et déciment les musulmans en Bosnie orientale. Ils tentent de former un territoire ethniquement pur. De leur côté, les oustachis croates, qui avaient installé un véritable État clérico-fasciste, mènent une extermination des Serbes. Ils fondent le camp de concentration de Jasenovac, troisième plus grand d’Europe (six fois plus grand qu’Auschwitz) et qui se démarque par l’extrême cruauté de ses méthodes. On estime qu’entre 100 000 et 700 000 personnes y ont trouvé la mort. Dans ce climat, les communistes du Croate Tito s’imposent comme la seule force d’unité nationale. Le 29 novembre 1943, dans la ville de Jajce, en Bosnie, les résistants communistes créent une fédération de six républiques, lors du deuxième conseil de l’Avnoj (Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie) et finissent par l’emporter sur tous leurs ennemis.

1945 - 1974

Le titisme et la Yougoslavie communiste

La Yougoslavie de Tito est fondée en 1945 sur le principe de l’égalité totale entre cinq peuples constitutifs, désormais les Slovènes, les Croates, les Monténégrins, les Serbes et les Macédoniens. Les Bosniaques seront reconnus un peu plus tard. Chacune de ces nations inscrites dans la Constitution dispose d’une entière souveraineté à l’intérieur de sa république : parlement, gouvernement, système scolaire, etc. Le texte constitutif va même jusqu’à prévoir en cas de nécessité un droit de sécession. Tito, en bon stratège politique, y voit aussi une façon d’affaiblir le poids des Serbes dans cette nouvelle fédération. Cette politique, dès 1946, se double d’une épuration féroce qui dure trois ans. Les nationalistes sont traqués, ainsi que les groupes indésirables tels que les Allemands de Voïvodine. Bien qu’un dictateur à la main de fer, Tito saura être un dirigeant très souple qui surfe entre les factions dans son pays et à l’international. En 1948, il refuse d’intégrer le bloc de l’Est et exécute ses opposants communistes. En 1952 il promeut sa « troisième voie » entre le bloc de l'Est et l'Occident et est l’un des fondateurs du Mouvement des non-alignés qui lui permet d'obtenir l’aide des deux camps de la guerre froide.

Entre 1949 et 1956, Goli Otok, l’un des plus importants camps politiques du monde communiste, était situé sur l’île Nue, une bande rocailleuse perdue dans l’Adriatique, en Croatie. L’inscription à son entrée, tout aussi absurde que celle d’Auschwitz, est « Le souci du Parti pour notre santé est un brillant exemple d'humanité ». Le camp  accueille les membres du Parti communiste de Yougoslavie après la rupture Tito-Staline et la dissolution du Komintern en 1948. Autour de 30 000 prisonniers seront déstalinisés par la torture : supplice de la brouette, pelotons d’exécution factices, séjours prolongés dans des fosses, etc. Tito ferme le camp en 1956 suite à sa réconciliation avec Khrouchtchev à Belgrade. Le bagne ne sera pas abandonné pour autant, il accueille ensuite des prisonniers de droit commun. Après le printemps croate de 1971, Goli Otok s’est de nouveau peuplée pour un moment de prisonniers politiques. La prison ferme ne ferme définitivement ses portes qu’en 1988.

Ayant renoncé à la collectivisation des terres, Tito tente de décentraliser complètement l’économie. Cette politique provoque des fractures majeures dans le pays et réveille les nationalismes en créant des républiques abandonnées et des républiques prospères. En 1974, il tente alors d’apaiser les tensions en cédant des droits politiques. La nouvelle Constitution porte les républiques membres au nombre de huit, avec le Kosovo et la Voïvodine séparées de la Serbie. Cela ne fera qu'accélérer le délitement de la Yougoslavie. Tito meurt en 1980.

1986 - 2000

Le régime Milošević

Président du Parti communiste serbe en 1986 puis président de la Serbie en 1989, le Monténégrin Slobodan Milošević est un vrai apparatchik nationaliste serbe. En 1987, il entame une « révolution bureaucratique » qui annule le statut particulier du Kosovo et de la Voïvodine, provoquant de nombreuses violences et l’inquiétude des autres républiques. En janvier 1990, affaibli par la chute du mur, le Congrès de la Ligue communiste yougoslave abolit le rôle dirigeant du parti et autorise la tenue d’élections multipartites. Milošević tente alors de dominer la fédération et provoque le départ des Croates et des Slovènes. Chacun des États de la fédération commence à se déchirer sur des bases ethniques et religieuses, en plus d’être en conflit avec l'État fédéral yougoslave, complètement exsangue. Des batailles entre milices, massacres et mouvements de population se multiplient. En Bosnie-Herzégovine, les commandos ultranationalistes serbes boycottent le référendum sur l’indépendance de la Bosnie, encerclent Sarajevo. La guerre qui s'ensuit durera trois ans, sera dès le départ une guerre de nettoyage ethnique et culminera avec le massacre de Srebrenica en juillet 1995. Le conflit se termine par les accords de Dayton qui divisent la Bosnie-Herzégovine en deux.

1992-1999

La République fédérale de Yougoslavie (RFY)

Le 27 avril 1992, devant le départ de la plupart des républiques de la Fédération, on déclare une nouvelle Yougoslavie qui n’est plus constituée que de la Serbie et du Monténégro. Slobodan Milošević, qui a échoué toutes ses tentatives d’unifier l’ancienne fédération autour des Serbes (en commettant au passage de nombreux crimes de guerre), en est le président. Il règne d’une manière autocratique sur les décombres d’un pays sous embargo international. Milošević réprime brutalement les Albanais du Kosovo pour les faire rentrer dans le rang. Alors qu’ils constituent près de 90 % de la population de la région, ils subissent une vraie ségrégation et n’ont aucune autonomie politique. La société s’organise alors de façon parallèle, avec un gouvernement du Kosovo en exil, des élections clandestines, des écoles et des hôpitaux clandestins, dirigés par exemple par les 6 000 enseignants albanais renvoyés par Milošević. À l’été 1998, la milice radicale de l’UCK entame une lutte armée contre les Serbes. Cette escalade mène au massacre de Račak qui fait réagir la communauté internationale. En mars, c’est le début de l’expulsion du Kosovo de 800 000 Albanais, contraints de se réfugier en Albanie, en Macédoine et au Monténégro.

1999

L’intervention de l’Otan

La conférence de Rambouillet ayant échoué, du 24 mars au 8 juin 1999, se déroule la plus grande opération que l’Otan ait jamais engagée, visant à obliger l’armée serbe à se retirer du Kosovo. Sans mandat de l’Onu, un bombardement massif est entrepris, d’abord contre des objectifs militaires, puis contre des objectifs civils. Les principaux ponts sur le Danube et la Morava, mais aussi des sites industriels sont atteints. Le bilan est désastreux : 2 300 civils serbes ou albanais sont morts sous les bombes, visées, les usines chimiques de Panćevo ont déversé pendant deux semaines des tonnes d’ammoniac dans le Danube, certaines bombes à l’uranium appauvri ont contaminé pour des décennies le Kosovo.

2000

La révolution des bulldozers

Alors que son mandat s’arrêtait en 2001, Slobodan Milošević décide d’appeler à des élections anticipées. Le mouvement Otpor (Résistance), financé par la National Endowment for Democracy, organise une large coalition d’opposition, la DOS (Opposition démocratique de Serbie), qui semble remporter le scrutin du 24 septembre. Pourtant, Milošević refuse sa défaite et appelle à un nouveau scrutin. L’opposition et la jeunesse de Belgrade lancent un grand mouvement de désobéissance civile : grèves, actions pacifiques et manifestations massives culminent le 5 octobre 2000. À cette date, près d’un million de personnes dans les rues de Belgrade prennent d'assaut au bulldozer le Parlement fédéral et la télévision d’État. Le soir même, Vojislav Koštunica s’adresse au pays en tant que nouveau président de Serbie : Milošević a perdu le pouvoir. Cette révolution est la première révolution pacifique financée par le gouvernement américain (il a dépensé directement près de 41 millions de dollars pour financer l’opposition serbe) et la première des révolutions de couleur.

2000- 2008

Une difficile transition

Le 4 février 2003, la RFY, moribonde, est devenue l’Union de Serbie sous l’initiative de l’Union européenne. Un mois plus tard, le 12 mars, Zoran Ðinđić, espoir de la fédération et brillant Premier ministre de Serbie, est assassiné par des anciens du régime de Milošević.

L’Union de Serbie fonctionne mal, la décentralisation de l’économie provoque des ravages et finalement le Monténégro organise un référendum d’indépendance le 21 mai 2006, avec 55 % des voix pour le oui. L’Union de Serbie laisse sa place à la République de Serbie, seule et indépendante pour la première fois depuis 1918.

Dernier chapitre douloureux pour les Serbes, le 17 février 2008, le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance. Le pays est alors animé par un seul objectif : rejoindre l’Union européenne.

2008

Aujourd’hui, la nouvelle Serbie

Après l’autodéclaration d’un Kosovo indépendant, les Serbes feront tout pour essayer de s’intégrer dans l’UE sans reconnaître à cette province son indépendance. Le 28 avril 2008, a été signé un accord d’association (ASA) qui représente un premier pas vers l’adhésion, subordonnée à l’arrestation des derniers criminels de guerre. Trois mois plus tard, Radovan Karadžić est arrêté et les Serbes se voient exemptés de visas pour entrer dans l’espace Schengen en novembre 2009. Malheureusement, la crise économique de 2008 qui secoue toute l’Europe en 2011 pousse la France (surtout) et l’Allemagne à mettre en pause l’élargissement de l’Europe. La nouvelle Serbie va devoir attendre des jours meilleurs. Contre toute attente, le pays réussit à se stabiliser, l’économie progresse et le système politique est assaini (bien que la corruption reste un problème). Aleksandar Vučić, Premier ministre de 2014 à 2017, est élu président de la République de Serbie le 2 avril 2017 dès le premier tour. Il est l’homme fort du pays, appuyé par une majorité absolue à l’Assemblée nationale (chambre unique du Parlement serbe). Après cette élection, la jeunesse belgradoise est descendue dans la rue pour protester contre l'élection de ce candidat conservateur et exprimer son ras-le-bol face à un régime aux tendances encore autoritaires. L’opposition civile serbe prend de plus en plus d’ampleur, sous la supervision de l’UE qui espère que c’est le point de départ d’une vie politique dynamique et non une nouvelle phase de la guerre civile incessante que connaît le pays depuis sa fondation en 1878.

2022

Une première en Serbie : Novi Sad est désignée capitale de la culture européenne, avec Kaunas en Lituanie et Esch-sur-Alzette au Luxembourg.

La ville espère attirer des touristes, en organisant plus de 1 500 événements.