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Histoire du cinéma serbe

Le 6 juin 1896, André Carr, opérateur des frères Lumière, donne à Belgrade la première représentation de cinéma de l'histoire des Balkans. Il sera également le premier à capter la ville sur pellicule, même si ces images ont été perdues aujourd'hui.

En 1909, la première salle permanente s'installe dans la capitale sous le nom de Grand Cinéma, suivie rapidement par d'autres dont le Kolosseum en 1911 et sa façade Art nouveau. Ce cinéma, devenu le Zvezda puis le Novi Bioskop Zvezda, est aujourd'hui un cinéma en occupation temporaire, préservé par un groupe de passionnés. Malgré ses cent dix ans, le cinéma reste malgré tout l'une des salles les plus courues de la ville. Entre la moquette vieillie et les guichets de tickets d'époque, vous trouverez votre bonheur devant des projections de classiques comme des pépites cachées. Pourquoi pas le premier long-métrage serbe ?

La Vie et les actes du chef immortel Karađorđe, ou simplement Karađorđe, est un film muet sorti en 1911, réalisé par Ilija Stanojević et mettant en vedette Milorad Petrović. Longtemps perdu, ce film a été miraculeusement retrouvé dans les archives yougoslaves avant d'être restauré et numérisé pour les générations futures. Narrant le récit du premier soulèvement serbe et de son leader Karađorđe, le film est désormais considéré comme patrimoine national serbe.

Durant l'entre-deux-guerres, la concurrence se fait rude avec l'augmentation des productions internationales françaises, allemandes et américaines qui envahissent les écrans de la jeune Yougoslavie. De nombreuses compagnies font faillite, et il faut attendre 1931 et une loi protectionniste pour que la production reparte à la hausse. Parmi les films notables de cette période, on peut citer Le Bonheur d'un mineur de Josip Novak (1926), ou encore le court-métrage L’Histoire d'un jour de Maks Kalmić, qu'il tourne dans la Belgrade de 1941. Après la guerre, le nouveau régime redynamise la production cinématographique à coups de grands projets autour des partisans yougoslaves et des héros nationaux réels ou légendaires. En parallèle, la création de l'Académie des arts en 1947 entraîne de nombreux étudiants vers le cinéma, contribuant à faire de la Serbie le cœur cinématographique de la Yougoslavie d'après-guerre. Pourtant, et comme en France, en Allemagne ou ailleurs, ce cinéma de divertissement ne tarde pas à faire naître un cinéma plus provocateur, plus engagé politiquement. La Vague noire, comme ses détracteurs l'appellent, est un mouvement de jeunes cinéastes qui utilisent à la fin des années 1960 l'humour noir pour transmettre le pessimisme qu'ils ont à l'égard de leur propre avenir et de celui de leur pays. Dušan Makavejev est l'une des figures marquantes de ce mouvement, réalisant en 1971 le film Wilhelm Reich : les mystères de l'organisme, une œuvre auréolée de prix à l'international, mais qui sera durement censurée dans son pays et forcera le cinéaste à s'exiler. Autre figure du mouvement, Aleksandar Petrović sera quant à lui exclu de l'Académie où il exerçait, après la sortie de son film J'ai même rencontré des Tziganes heureux (1968). À la même époque, l’Américain Peter Bogdanovich, Serbe par ses parents, fait partie des figures du nouvel Hollywood et côtoie John Cassavetes, Sofia Coppola ou encore Agnès Varda, oscillant entre acteur et cinéaste au fil des projets.

Kusturica et le cinéma serbe contemporain

En Serbie, c'est dans la postérité de la Vague noire que s'inscrivent les cinéastes du groupe de Prague, dont Kusturica est sans doute le plus connu. Détenteur de deux palmes d’or pour ses films Papa est en voyage d'affaires (1985) et Underground (1995), le réalisateur questionne au travers de son cinéma les dérives de son pays, alors que les bouleversements de l'après-Tito et la guerre s'invitent dans les cadres des artistes. Un cinéma poétique, où la musique joue un rôle prépondérant, accompagnant les laissés-pour-compte et les marginaux que le cinéaste se plaît à mettre en images. La renommée internationale qu'acquiert Kusturica amène également à la découverte de nombreux autres artistes serbes.

En 2006, la sécession du Monténégro plonge le cinéma serbe dans une grande crise. Des centaines de salles ferment suite à la privatisation de Beograd Film, la principale chaîne d'exploitation du pays. Depuis, les multiplexes se sont installés aux abords des grandes villes et il ne reste que quelques salles (dont le Zvezda mentionné plus tôt) qui résistent encore aujourd'hui. Annoncer la mort du cinéma serbe serait néanmoins fort prématuré, car les aides étatiques à la production sont nombreuses et le public reste friand de productions nationales. En 2011, la réalisatrice Mila Turajlić fait sensation avec son documentaire Il était une fois en Yougoslavie : Cinema Komunisto, tandis que de l'autre côté de l'Atlantique l'actrice Stana Katic elle aussi d'origine serbe interprète Kate Beckett dans la série policière à succès Castle (2009-2016), aux côtés de Nathan Fillion. Tout récemment, le film Impure Blood—Sin of Ancestors (2022) de Milutin Petrović est devenu le premier film serbe à être distribué sur Netflix.

Moments de cinéma en Serbie

Depuis 1971, le FEST accueille chaque année les plus grandes stars internationales du cinéma à Belgrade. Un festival riche en histoires, car il fut longtemps le seul événement de cinéma « de l'Est » où se rendaient les stars occidentales. Un festival où furent projetés 2001 : l'odyssée de l'espace, Easy Rider, M*A*S*H et tant d'autres classiques et où se rencontrèrent Wim Wenders, Krzysztof Kieślowski, David Cronenberg ou encore Werner Herzog. À côté de cet événement, la capitale accueille également deux autres festivals majeurs, le Martovksi, consacré aux courts métrages et au documentaire, ainsi que le Beldocs, uniquement consacré à ces derniers.

Au sud-ouest, rendez-vous dans à Mokra Gora, et plus précisément au Küstendorf Music and Film Festival, dans un village recréé par Kusturica pour son film La vie est un miracle (2005) et dans lequel il vit lui-même depuis. Enfin, terminez votre périple de cinéma serbe avec le Palić European film festival, l'occasion de découvrir cette petite ville idyllique et son lac tranquille, à quelques kilomètres de la Hongrie.